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Retour des combattants terroristes étrangers : Une menace imminente à gérer

Abdelhak Bassou | February 15, 2017

Au dernier trimestre de l’année 2016, les spécialistes du terrorisme étaient encore occupés par la contre-radicalisation, l’endoctrinement et les dangers des départs des jeunes recrues vers les foyers de tension, alors que la question du retour chez eux commençait déjà à se poser, dans leurs pays d’origine, de ceux qui ont expérimenté la guerre et acquis d’importantes capacités de combat. Ils avaient dès les débuts de la deuxième décennie afflué en Syrie et en Irak de partout dans le monde.

En Irak : Depuis le début de l’année 2016, Daech se trouve sur une courbe descendante et perd des territoires aussi bien dans les provinces de Ninawa et d’Al Anbar que dans celle de Salah Eddine. Lancée dès la mi-Octobre 2016, la bataille de récupération de Mossoul avance, quoique difficilement, notamment du côté Est, qui a déjà été récupéré.

En Syrie : Daech est dans les mêmes difficultés. Depuis son échec en 2015 à Kobané et à Tall Abyad face aux kurdes syriens (unités de défense du peuple Kurde) soutenus par la coalition occidentale, elle surfe également sur une vague de défaites aggravée par l’entrée effective dans la bataille des forces armées turques, appuyant l’armée syrienne libre. Ces derniers sont sur le point d’achever le déboutement des combattants de Daech hors des positions qu’elle occupait dans le nord syrien à la frontière syro-turque. Auparavant, le soi-disant Etat Islamique avait perdu la ville symbolique de Dabiq qui compte non seulement pour une perte territoriale, mais également comme un coup porté à l’appareil de propagande de l’organisation terroriste.

Jabhat Fath Al Sham, ex Jabhat Annousra à laquelle se sont alliés plusieurs groupes armés, est obligée de se retirer vers Idlib après avoir perdu Alep. Les troupes du régime, soutenus par l’aviation russe et les milices du Hizbollah ont repris les quartiers Est d’Alep, bastion de l’opposition armée au régime de Bechar Al Assad, conduit par l’ancienne franchise d’Al Qaeda, qui encore une fois change de nom, en ce début de 2017, pour devenir Hay’aat Tahrir Al Sham.

De nombreux retours des combattants terroristes étrangers ont certes été constatés au cours des deux dernières années, mais le démantèlement des structures militaires organisées de Daech et de Jabhat Fath Al Sham va accélérer le mouvement. Les retours se feront durant les deux prochaines années de manière plus dense. La perte des territoires par les organisations terroristes en Irak et en Syrie ainsi que les traitements que risquent de subir les combattants étrangers s’ils sont arrêtés par le régime syrien ou les combattants du Hachd Acchaabi, les poussera à quitter le terrain des opérations pour retourner chez eux ou rejoindre d’autres foyers de violence.

I. Définitions, formations et destinations possibles

1. Qui sont les combattants terroristes étrangers ?

a. La résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité́

Elle les définit comme des individus « qui se rendent dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou de nationalité́ dans le dessein de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer, de dispenser ou recevoir un entrainement au terrorisme, notamment dans le cadre d’un conflit armé ».

Les conditions sont ici au nombre de trois. La personne doit :

- Se rendre dans un pays autre que celui de sa nationalité ou de sa résidence ;

- Avoir pour dessein de participer par quelque moyen que ce soit à des actes terroristes ou d’y recevoir/dispenser un entrainement au terrorisme ;

- Une précision est ajoutée concernant le cadre du conflit armé.

b. Thomas Hegghammer

L’expert norvégien fournit une définition plus étoffée en établissant quatre critères. « Le combattant terroriste étranger est pour lui un individu qui :

- A rejoint une insurrection et qui opère en son sein ;

- N’a ni la citoyenneté ni le lien de parenté avec les parties en conflit ;

- N’est pas affilié à une organisation militaire officielle et ;

- N’est pas payé. »

La notion de « combattant terroriste étranger » est donc bicéphale :

- Un « combattant étranger » est un individu qui a quitté son pays d’origine et qui a rejoint un groupe armé non étatique dans un conflit armé à l’étranger par idéologie, croyance ou affinité.

- Il est terroriste. Cet attribut renvoi à deux explications :

  • Il s’agit soit d’une personne qui rejoint des pays sur les territoires desquels des organisations terroristes sont installées et disposent de camps d’entraînement où il peut recevoir une formation qui lui permettra d’opérer des attentats à son retour dans son pays d’origine ;
  • Ou encore d’un combattant qui commet des actes terroristes sur le territoire où se déroule le conflit armé, sachant que ce territoire n’est pas celui de son pays d’origine.

2. Une formation et une qualification étudiées et ciblées

a. La première préparation

Il s’agit ici de l’entrainement que subissent toutes les recrues de Daech. Une sorte de programme de base qui qualifie le candidat et le prépare à rejoindre les zones de combats. Ainsi, lorsqu'un djihadiste rejoint l'organisation, il est envoyé dans le camp «de première préparation ». Il y subit un entraînement intensif qui couvre aussi bien le maniement des armes, y compris des fusils et des mitrailleuses Kalachnikov, des pistolets que des épreuves sportives et d’endurance. Cette formation est assortie de cours de religion destinés à légitimer toute les atrocités qu’il est demandé aux combattants d’exécuter. Ces cours sont beaucoup plus des séances d’endoctrinement et de radicalisation que de simple cours de théologie musulmane. La nature de cette formation, dite religieuse, la destine à faire du combattant une machine à tuer qui exécute des actes barbares sans émotions ni remords. Selon un rapport diffusé par Europol en Janvier 2016, la formation des recrues de Daech porte essentiellement sur l’utilisation d’armes et d’explosifs ainsi que sur des différentes techniques pour tuer. Elles sont également formées pour des actions clandestines, pour le renseignement et la « contre-surveillance » comme techniques de guérillas ou de terrorisme urbain. Après avoir été intégrés dans les unités de combat, les terroristes subissent des entrainements plus spécifiques dans des camps «de continuité » qu’on peut assimiler à une sorte de formation continue ou de spécialisation.

Les combattants de Daech n’ont à ce niveau rien à envier à ceux entrainés par Al Qaeda. Si les niveaux des performances en termes de rigueur des règles de survie, d’endurance et de maniement des armes et explosifs s’équivalent chez les deux organisations, les combattants entrainés par Daech dépassent ceux d’Al Qaeda en termes de barbarie. Plus que l’Afghan arabe des années 1990 qui était inhumainement violent, le combattant terroriste étranger actuel est inhumain de manière barbare, cruelle et atroce.

Daech s’appuie dans sa barbarie sur l’ouvrage intitulé الجهاد فقه من مسائل « Questions tirées de la jurisprudence du Jihad » (Masa’il min Fiqhi0 Ljihad) d’un théologien égyptien nommé Abou Abdallah Al Mouhajer6. Ce dernier a légitimé toutes sortes de barbarie, de la décapitation à l’assassinat de musulmans en passant par celle des femmes et des enfants. L’enseignement des théories d’Al Mouhajer finit par convaincre les recrues de la légitimité et de la légalité de la barbarie qu’ils pratiquent.

b. Formation des unités d’élite

Harry Sarfo, ancien combattant allemand de l’État islamique qui purge une peine de trois ans pour une accusation de terrorisme dans une prison de Brême, a été interviewé en l’été 2016 par Gordon Welters pour le New York Times. C’est à travers cette interview que l’on connaitra le plus sur la formation des unités d’élites de Daech, les commandos destinés aux missions à l’extérieur. Ils sont, durant une longue période, questionnés, recensés et réinterrogés.

On retient aussi qu’après les formalités administratives, le test de volonté de combattre commence :

« Se doucher était interdit. Manger aussi à moins qu’ils ne vous donnent de la nourriture, la caverne qui sert de dortoir est partagée entre cinq ou six personnes. L’eau potable était sévèrement rationnée. Chaque habitation recevait un demi-litre d’eau par jour, mis sur le pas de porte, l’objectif étant de tester les recrues pour s’assurer de qui en voulait vraiment de manière inflexible. » rapporte Harry Sarfo.

La formation proprement dite consiste en :

- La première semaine, les candidats passent des heures à courir, à sauter, à faire des pompes, des barres parallèles, à ramper. Certaines recrues commençaient à s’évanouir ;

- La deuxième semaine, commence l’entrainement avec un fusil d’assaut Kalachnikov. La consigne est de le garder avec soi, même pour dormir, jusqu’à ce qu’il devienne « comme un troisième bras » ;

- La punition pour désobéissance était sévère. « Un garçon a refusé de se lever, parce qu’il était trop épuisé, » a déclaré M. Sarfo aux autorités. « Ils l’ont attaché à un poteau pieds et poings liés et l’ont laissé là » ;

- Ce programme des forces spéciales comporte 10 niveaux de formation. Après avoir obtenu le diplôme de niveau 2, le candidat est emmené sur une île d’une rivière de Tabqa, en Syrie. Le couchage des recrues était fait de trous dans le sol, recouverts de bâtons et de brindilles. Ils sont entrainés à la natation, à la plongée sous-marine et à l’orientation.

C’est sur ce genre de combattant que Daech compte pour ses opérations spéciales, celles qui selon le jargon de l’organisation « Font mal à l’ennemi ». Si plusieurs sources de renseignement européen affirment que plusieurs combattants de ce genre sont déjà retournés en Europe et dans d’autres pays, leur renforcement par ceux qui seront obligés de retourner après la défaite de Daech accentue le risque et augmente la menace.

c. La formation des enfants

L’organisation djihadiste accorde une grande importance aux enfants qu’elle appelle les garçons « lionceaux » et les filles « perles ». D’où viennent-ils ?

- Certains parmi eux vivaient en Irak et en Syrie avant que la conquête par Daech des terres où ils vivaient ne les rattrape ;

- D’autres ont accompagné leurs parents venus d’Occident, en famille, pour mener le djihad au Moyen-Orient ;

- Il y a également ceux nés sur le territoire du "Dar al islam" selon la dénomination employée par Daech pour désigner les territoires tombés sous son contrôle depuis 2013. Dans ces zones, les femmes sont tenues d’enfanter, durant un an à dix-huit mois maximum à compter de la date de leur mariage.

Selon le témoignage de deux enfants syriens qui ont fui les camps de Daech, les enfants suivent un même programme répété à l'identique de manière à transformer les gestes en réflexes et les pensées en instincts :

Lever à 8 heures, petit déjeuner puis entraînement physique. Les garçons devaient courir lestés de poids. Quand ils lambinaient, leurs instructeurs n'hésitaient pas à tirer autour d'eux à balles réelles. Ensuite, tir au fusil et au pistolet.

Après le déjeuner, leçon sur la ceinture explosive. Puis, comment tuer un ennemi en lui plantant un couteau dans le cou. Chaque mouvement répété jusqu'à atteindre la perfection.

Tuer devenait la chose la plus normale au monde.

3. Des destinations probables 

Trois solutions possibles se présentent devant les combattants terroristes étrangers aussi bien ceux affiliés à Daech que ceux de Jabhat Fath Al Sham :

a. Mener les combats ultimes

Les succès enregistrés sur le terrain par les coalitions occidentale et russe ainsi que les avancées de l’armée turque ne signifient nullement que la fin des combats est pour les semaines ou les mois prochains. Si en Irak Daech est à son dernier combat où elle défend son dernier bastion à Mossoul, sa situation sur le territoire syrien est plus favorable. L’organisation contrôle encore de larges pans du territoire syrien à Raqqa ; Dir-Ezzour, et sur la frontière irako-syrienne notamment dans la région d’AlQaem. L’organisation a également repris le contrôle de Palmyre. Dans ces derniers fiefs, Daech maintiendra des poches de résistances où certains combattants étrangers préfèreraient lutter jusqu’au souffle ultime. Il en est de même de la région d’Idlib en Syrie où s’est retiré Jabhat Fath Al Sham et les groupes qui lui sont alliés après leur défaite à Alep. Les combattants étrangers de cette organisation peuvent encore rester dans ces régions et mener de la résistance.

b. Rejoindre d’autres pays, des zones grises ou d’autres foyers de tension

> Les Balkans :

Certains pays des Balkans peuvent servir de refuge même provisoire aux terroristes de retour des foyers syro-irakiens. Des pays comme la Bosnie, le Kosovo ou encore l’Albanie, conservent des traces des réseaux d’Al Qaeda qui ont rejoint ces pays dans les années 1990. Répondant à la question de savoir si l’Etat islamique avait un intérêt particulier à s’implanter dans les Balkans, Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du "Courrier des Balkans" déclare que « c’est effectivement un sujet d’inquiétude... les Balkans sont un terreau particulièrement favorable pour les candidats au djihad et que ces derniers peuvent bénéficier de relais dans la région. Les Bosniens qui se rendent en Syrie et en Irak pour combattre au côté de l’Etat islamique sont pour la plupart des hommes jeunes qui ont souvent grandi à l’étranger avec le "mythe" des moudjahidines venus "sauver la nation" et le djihad est parfois vu par cette génération comme un moyen de recoller à leur identité… »

> L’Afrique du Nord :

Deux destinations attirent l’attention en Afrique du Nord ; d’une part le Sinaï, ou s’implante l’organisation ‘’Ansar Beit Al Maqdis’’ affilié au soi-disant Etat Islamique et d’autre part, la Libye où pullulent des organisations et groupes terroristes de tout bord.

Si la première destination se caractérise par sa proximité des foyers Irako-syriens, la seconde est une destination possible en raison de l’absence d’un véritable Etat et de la persistance notamment au sud d’un chaos où se mêlent influences tribales, criminelles et terroristes. Plusieurs combattants de retour, peuvent choisir de continuer l’action djihadistes dans ces foyers.

> Le Sahel :

La région est ici infestée de groupes de tendance Al Qaeda, elle est donc ouverte aux maghrébins de cette tendance et qui pour la plupart se trouvent aujourd’hui aux côtés de Jabhat Fath al Sham. Certains combattants de Daech peuvent également opter pour le Sahel moyennant un changement d’Allégeance.

> Les foyers asiatiques :

En Asie du Sud-Est, 22 groupes et groupuscules djihadistes ont prêtés allégeance au Calife autoproclamé, Abu Bakr al-Baghdadi. Parmi ces groupes, les deux plus influents sont la Djamaa Islamiya en Indonésie, et le groupe Abou Sayyaf aux Philippines. L'Indonésie constitue l’épicentre du phénomène islamiste radical en Asie du Sud-Est. Le pays connaît des violences depuis de nombreuses années. Une analyse fondée sur l’antécédent afghan montre que les années 1980-1990 sont marquées par des centaines d'Indonésiens, de Malaisiens et de Philippins qui étaient partis combattre les Soviétiques en Afghanistan. Ils étaient revenus entraînés et endoctrinés par Al-Qaïda, et avaient commis plusieurs attentats et prises d'otages.

En Asie centrale, certains experts craignent aussi pour l’Ouzbékistan après la mort du président Islam Karimov qui a mené la lutte contre les extrémistes d’une main de fer. La vallée de Ferghana comme foyer de groupes et groupuscules radicaux pourrait également en raison de tendances radicales autochtones et de la proximité de l’Afghanistan devenir un nouveau foyer d’asile pour les combattants étrangers issus de toute la région.

L’Afghanistan peut à nouveau constituer une terre d’asile pour les combattants terroristes étrangers obligés de quitter le foyer syro-irakien.

c. Revenir dans leurs pays d’origine

Les pays d’origine sont très nombreux, certaines sources citent plus de cent pays soit plus que la moitié des Etats du monde. Cependant, le risque lors des retours ne sera pas de la même intensité au vu du nombre de combattant que chaque pays a vu partir vers la Syrie ou l’Irak pour rejoindre Daech ou Jabhat Annousra.

Le retour de ces combattants dans leurs pays d’origine, pose au-delà de la question du traitement qui doit leur être accordé, celle de savoir si, dans ces pays, les conditions qui les ont poussés à se radicaliser ont changé ou s’ils vont revenir pour revivre dans le même environnement qui a facilité leur départ10. Dans ce cas, non seulement la réinsertion et la réintégration de ces vétérans de Syrie et d’Irak seraient difficiles, mais cela leur donnerait des arguments de radicalisation des plus jeunes.

Il serait peut-être édifiant sur ce point de citer le cas du quartier de Sidi Moumen à Casablanca d’où sont sortis les kamikazes des attentats de 2003. L’INDH s’est attelée non seulement à changer les conditions de vie dans ce quartier, mais dans tout l’arrondissement dont il dépend. On lit dans l’Economiste édition N° :4844, le 26/08/2016, le témoignage d’un Marocain Résident à l’Etranger installé en Italie : « Je suis originaire de Bernoussi. Pourtant, à mon retour durant ces vacances, je n’ai pas reconnu mon quartier. J’ai cru que je me suis égaré à l’entrée de l’autoroute ». C’est ce genre de réflexion que doit avoir tout combattant en retournant dans sa ville, son arrondissement ou son quartier d’origine.

« Le traitement » de ces jeunes radicalisés à leur retour dans leurs pays d’origine serait donc d’autant plus facile que les conditions ayant présidé à leurs départs auraient changé.

D’une part, cela faciliterait leur réinsertion en leur donnant matière à réflexion et en les encourageant par conséquent à se réviser et, d’autre part, cela priverait les inconditionnels d’entre eux qui aurait décidé de continuer l’embrigadement des plus jeunes des arguments (la marginalisation et la précarité) qui leur avaient servi auparavant pour recruter les victimes de ces aléas.

II. « Evaluation de la menace : Nature et mesures premières »

1. La menace

a. La perpétration d’attentats

La question de ces retours de combattants terroristes étrangers est d’autant plus préoccupante que des statistiques reprises par plusieurs études11 révèlent qu’un combattant sur neuf, parmi ceux qui retournent, réussit à échapper aux mesures de sécurité et à perpétrer un attentat. Cela signifie que sur chaque mille combattants qui retourneront les deux prochaines années, 111 échapperont à la vigilance des services de sécurité et perpétreront un attentat.

b. Le renforcement des cellules dormantes

Les publications de Daech, les rapports de services de renseignements et les interrogatoires et interviews de combattants arrêtés et emprisonnés confirment l’existence de cellules dormantes dans plusieurs pays du monde. L’interview d’Harry Sarfo cité plus haut est très édifiante à ce sujet. L’ancien combattant affirme que « un paquet de gens vivant dans les pays européens attendaient les ordres pour attaquer les populations européennes ».

Plus d’autres combattants retournent et plus les cellules seront renforcées, non seulement en nombre d’individus mais également en apport de savoir-faire terroriste.

c. La radicalisation d’une nouvelle génération

Les combattants terroristes étrangers qui retournent dans leurs pays d’origine ne représentent pas seulement le danger de perpétration d’attentats mais aussi de diffusion de messages de haine prônés par les organisations terroristes. Ils constituent à ce titre un prolongement idéologique en tant que véhicule de concepts radicaux, extrémistes et haineux. Ce prolongement s’exprime par la conversion d’un maximum de jeunes à l’idéologie de Daech.

La leçon de l’Afghanistan nous apprend que la deuxième génération d’Al Qaeda est une génération dont les individus n’ont eu aucun contact avec l’Afghanistan ni le Djihad contre les soviétiques. Ils ont été recrutés, radicalisés et formés par les vétérans de la première génération.

d. La constitution de nouveaux groupes armés

Il est à ce stade judicieux de revenir au parallèle avec les retours des vétérans d’Al Qaeda. Les années quatre-vingt-dix ont vu dans plusieurs pays arabes et musulmans la constitution au gré des conjonctures, de nouveaux groupes combattants armées. Un dénominateur commun rassemblait ces groupes : ils avaient à leur tête des vétérans tous retournés d’Afghanistan.

En Algérie, au Maroc, en Libye et ailleurs, ces anciens djihadistes entrainés, endoctrinés et radicalisés par les concepteurs d’Al Qaeda se sont regroupés dans d’autres structures qu’ils ont créées à l’instar du GIA en Algérie, du GICM au Maroc et du GICL en Libye.

A la différence des groupes qui ont vu naissance après la guerre de l’Afghanistan et qui n’ont concerné que des pays arabes et musulmans, les groupes futurs peuvent s’implanter même dans les pays européens qui aujourd’hui comptent un nombre important de djihadistes bien plus qu’avant.

2. Suggestions de mesures

Que doivent viser les mesures contre les menaces que représente le retour des combattants terroristes étrangers ? Les mesures édictées par les organismes internationaux telle la résolution 2178 du Conseil de Sécurité des Nations Unies sont-elles suffisantes ou faut-il imaginer des mesures spécifiques pour le traitement des retours ?

Comment détecter les entrées par les postes frontières de ces terroristes ?

Faut-il opter pour l’intransigeance et le tout sécuritaire ?

Qui doivent être les acteurs dans la réception et le traitement de ces jeunes égarés après leur retour chez eux ?

a. La détection à l’entrée

Le plus grand danger que peuvent encourir les pays où ces combattants vont retourner est de ne pas les détecter à l’entrée. S’ils arrivent à rejoindre les pays de manière anonyme, ils disposeront alors du temps nécessaire pour construire les labyrinthes d’une vie clandestine (faux papiers, planques, réseaux d’approvisionnement) ce qui les mettra alors de plus en plus hors de portée des services de sécurité.

Une grande vigilance est donc à observer au niveau des postes frontaliers, notamment en ce qui concerne l’usage de documents falsifiés ou contrefaits comme demandé par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Les itinéraires et les techniques utilisés par les combattants terroristes étrangers rendent le travail des agents de premières lignes, notamment aux frontières, très ardues et très délicates ce qui nécessite des formations spécialisées et très poussées.

De telles mesures rencontrent cependant des obstacles dus en grande partie aux moyens financiers que ces mesures mobilisent. L’ensemble des Etats constituant la communauté internationale ne disposent ni des mêmes moyens ni des mêmes capacités pour installer à leurs frontières des dispositifs capables de détecter les faux et les contrefaçons. Or, la menace étant globale, la chaine sécuritaire internationale est rompue dès lors que l’un de ses maillons est défaillant.

D’après le rapport du Comité́ Contre le Terrorisme du Conseil de Sécurité́ des Nations Unies, « seuls 51 Etats, soit environ un quart de tous les membres des Nations Unies, se sont dotés d'un programme d'information préalable sur les voyageurs, à savoir de systèmes permettant d'améliorer la sécurité́ des frontières et de l'espace aérien, et de détecter l'arrivée ou le départ de combattants terroristes étrangers potentiels. Le rapport ajoute que la moitié seulement de ces 51 Etats utilise ces systèmes dans la pratique.

L’aide au développement dans le cadre de la sécurité humaine devra prendre cet aspect en considération de façon à dédier une part de l’aide à la sécurisation des frontières. Les bailleurs de fonds doivent également veiller à ce qu’une part de leurs prêts et dons soit consacrée aux mesures qui puissent entraver la libre circulation des terroristes en général et des combattants terroristes étrangers en particulier.

b. Répression et réinsertion

L’une des questions épineuses à laquelle font face les politiques publiques destinées à réagir face au problème des retours des combattants étrangers est celle de choisir entre la répression, la réinsertion ou la combinaison des deux. En effet, cette catégorie de personnes peut être rassemblée sous une seule enseigne comme constituant un contingent qui est allé, en dehors de tout cadre institutionnel étatique, participer à des actes de violence non légitime, dans un pays tiers. Cependant, il ne serait ni judicieux ni juste de les traiter de manière standard qui s’appliquerait à l’ensemble en dépit des différences qui peignent leur degré d’implication.

A leur retour, ils constitueraient au moins trois strates :

- Ceux qui constitueront le prolongement du bras armé des organisations terroristes ;

- Ceux qui formeront le corps de missionnaires pour continuer à prolonger l’idéologie djihadiste et ;

- Ceux qui prendraient conscience de l’hérésie dont ils ont été victimes et qui pourraient servir la contre-propagande du Djihadisme.

Non seulement les réactions des gouvernements doivent être déclinées en politiques adaptées pour réduire les risques, mais les opinions publiques et les expressions populaires doivent également être sensibilisées pour prendre en considération les différences entre degrés d’implication et ne pas presser les gouvernements à adopter des mesures inappropriées.

Les Etats doivent parfois difficilement arbitrer entre le légalement correct et les penchants populaires dictés par le subjectif et l’affectif.

Opter pour la répression automatique et à outrance ne peut, au point de vue de plusieurs spécialistes, constituer la solution idoine :

- Les politiques restrictives et répressives découragent les combattants qui ont pris conscience de leurs erreurs et qui se sont révolté contre les actes barbares de Daech et d’Annousra de choisir le repenti et le retour ;

- De telles politiques réduisent également la probabilité que les familles encouragent leurs membres engagés auprès des organisations terroristes à revenir, de peur qu’ils ne soient condamnés à de lourde peines sans véritable étude de leurs cas et sans différencier entre ceux, inconditionnels, irrécupérables et ceux qui manifestent le désir de repenti ;

- Toute exagération ou automatisation de la répression ne peut générer que des injustices qui peuvent à leur tour être sources de radicalisation et de violences futures.

Comme pour la lutte contre la radicalisation, le tout sécuritaire et répressif ne semble pas récolter des opinions favorables ni parmi une grande majorité de décideurs, ni dans les rangs des chercheurs, analystes et experts ; ni évidement parmi les défenseurs des droits de l’Homme.

Il ne doit également pas y avoir de politiques automatiques d’amnistie sur les simples déclarations de repentis des candidats au retour. Cette manière de faire pourrait permettre aux terroristes usant de la technique de la Taqqia de cacher leurs jeux et de pouvoir ainsi échapper aux contrôles qui pourraient déterminer leurs véritables intentions.

La solution ne peut donc venir que de la combinaison intelligente de la répression et de la réhabilitation.

Les lois ou réglementations intérieures, communautaires et/ou nationales devront aller dans le sens de création de hot spots où les opérations de tri devront s’effectuer. Le combattant terroriste étranger qui formule le vœu de revenir dans son pays ou qui est intercepté à la frontière devra être conduit dans des « centres spéciaux » où son régime n’est pas celui de détenu, mais de personne dont le statut est à vérifier. Là étant, le candidat au retour verra sa situation examinée par des commissions spécialisées (juges, théologiens, imams, psychologues, sociologues, spécialistes du renseignement) qui détermineront si l’intéressé doit :

- Etre confié à des organismes civils ou gouvernementaux qui doivent l’aider à dépasser les traumatismes des conditions de vie dans lesquelles il a évolué lors de son séjour en Syrie ou en Irak et par conséquent faciliter sa réintégration ;

- Etre confié aux services de renseignement pour débriefing et éventuelle participation à des programmes de contre propagande idéologique du Djihad ;

- Etre confié aux services judiciaires pour instruction de procédures de présentation devant les juridictions compétentes.

c. L’implication des familles

Les familles des combattants terroristes étrangers, leurs amis et proches, constituent un maillon important dans le dispositif de traitement de ces personnes lors de leur retour dans leur pays d’origine. Ils peuvent même, pour les pays qui veulent encourager les retours, constituer un outil qui peut aider à convaincre les plus récalcitrants parmi eux.

Plusieurs de ces combattants, voire même une majorité, est restée en contact avec leurs familles après leurs départs. Certains membres des familles ont même fourni des informations fructueuses sur la vie de leurs proches en Syrie et en Irak, car parfois, dans leur désespoir, les personnes qui ont rejoint Daech se confient à leurs amis ou parents pour décrire les affres de leurs aventures.

Ces mêmes proches peuvent jouer un rôle important dans la réinsertion de ceux parmi les combattants terroristes étrangers qui se révéleraient « récupérables ». Cette implication des parents et proches implique la participation de la société civile aux côtés de la justice, de la sécurité, des services de santé et des communes afin que soient organisés des débats, des formations, des sensibilisations et des collectes d’idées sur la meilleure manière de faire des familles des combattants terroristes étrangers un acteur agissant dans le traitement des retours.

d. Une nouvelle résolution du conseil de sécurité

Plusieurs dispositions de la résolution 2178 du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur les combattants terroristes étrangers peuvent servir aux Etats pour leur inspirer les nouvelles mesures concernant le retour de cette catégorie de personnes. Certaines mesures telles que celles prises aux frontières pour empêcher les départs des combattants vers la Syrie et l’Irak peuvent aussi aider dans la détection des retours. Cependant, la question des retours qui se posera avec plus d’acuité durant les deux prochaines années et qui concerne plus que la moitié des Etats de la planète, nécessite la mise au point d’une nouvelle résolution du Conseil de Sécurité :

- D’une part, la résolution inciterait les Etats à prendre la menace au sérieux et à l’appréhender en tant que danger global qui ne peut être combattu ou endigué que par l’implication de tous ;

- D’autre part, la résolution servirait de guide pour l’inspiration de bases communes pour les mesures régionales, nationales voire locales ;

- Cependant, il serait opportun qu’une éventuelle résolution à prendre mette plus fermement l’accent sur la coopération internationale, notamment pour ce qui est des aides aux pays qui ne peuvent s’acquitter de leur part de mesures pour répondre aux soucis de la communauté internationaux sur la question.