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Ressources naturelles et réalités géopolitiques de l’Afrique

Abdelhak Bassou | May 25, 2017

Le forum de haut niveau de Tana sur la sécurité en Afrique (22-23 Avril, 2017, Bahir Dar, Ethiopie) a choisi pour thème à sa 6e édition la question de la gouvernance des ressources naturelles en Afrique. L’une des sessions du forum avait cherché à « comprendre et à expliquer pourquoi l’exploitation de ces ressources est de plus en plus source de tension et de violence qui ont des répercussions dramatiques sur la paix et la stabilité sur le continent ».

Lors des différentes interventions qui avaient jalonné le déroulement du forum, force était de retenir que non seulement les ressources africaines abondantes et généreusement disponibles ne permettaient pas une réelle émergence du continent, mais plus grave encore, elles sont source de crises et de tensions.

C’est dans cette même veine que se place le présent papier qui examine les ressources naturelles de l’Afrique sous l’angle des réalités géopolitiques africaines et les relations causales ou d’entraînement que ressources et faits géopolitiques peuvent entretenir dans le continent.

Introduction

Evoquer les ressources naturelles en Afrique, en relation avec les réalités géopolitiques du continent, reviendrait d’une part à examiner la place que tiennent les ressources naturelles dans la géographie et l’économie africaine et d’autre part à rendre compte des réalités les plus en vue de la géopolitique de l’Afrique, avant de rechercher les liens ou corrélations entre les deux.

1. Les ressources naturelles

Les ressources naturelles sont généralement étudiées dans le cadre de la géographie et de l’économie où elles constituent un facteur important dans toutes les études et analyses. Il est cependant relevé que malgré son importance, la disponibilité des richesses n’est malheureusement pas un générateur automatique ni un indicateur suffisant de développement. Le Niger qui figure au 'Top-Ten' des pays les plus pauvres dispose d’importantes ressources naturelles (or, fer, uranium, charbon et le pétrole).

Cet Etat n’est qu’un exemple qui illustre le cas de plusieurs pays africains sinon de la majorité parmi eux. Le continent africain est bien doté en termes de ressources naturelles, et pour ne citer que les richesses du sous-sol, il y aurait lieu de souligner que le continent dispose de réserves importantes par rapport aux réserves mondiales et parfois même à des pourcentages très importants montrant que certaines matières tel que le coltan ne se trouvent quasiment qu’en Afrique. Voir le tableau et la carte ci-dessous.

 

Cette grande disponibilité de richesse interpelle les chercheurs du fait qu’elle ne contribue pas à l’émergence du continent, au moins en tant que puissance économique, à défaut d’être une puissance complète. A contrario, certains Etats dont les ressources naturelles sont limitées arrivent à bien se comporter parmi les pays à revenu moyen et frappent parfois même à la porte des émergents.

2. La géopolitique

Elle étudie les relations politiques entre les entités étatiques, intra-étatiques et supra étiques en usant des données géographiques ; lesquelles données incluent les éléments physiques, les éléments humains et les ressources naturelles. Sont également prises en considération des éléments non géographiques tels que la gouvernance ou la puissance militaire.

En fonction de la région ou de l’entité étudiée, les éléments géographiques en général et les ressources naturelles en particulier, prennent plus au moins d’importance en fonction des effets qu’ils ont sur les relations politiques.
La géopolitique de l’Afrique est marquée par quatre grands aspects :

- La fragmentation et les disparités aussi bien entre sous-régions qu’entre pays, voire entre zones d’un même pays ;
- Les conflictualités interétatiques dans le continent ; (Parmi les 345 conflits armés qui secouaient le monde en 2008, 79 avaient lieu en Afrique) ; 
- Les convoitises étrangères et ;
- Les recherches incessantes d’intégration et de coopération entre les Etats du continent.

La question essentielle reviendrait donc à se demander quelles corrélations existent  entre l’abondance de 
richesses naturelles en Afrique d’une part et la fragmentation, la conflictualité, la convoitise et l’incessante recherche de coopération et d’intégration qui caractérisent le continent en termes de géopolitique.

I. Les ressources naturelles comme facteur de conflictualité dans la géopolitique de l’Afrique

Le lien à établir entre conflits et ressources naturelles ne peut être interprété comme une relation causale automatique. Toute existence de ces ressources n’implique pas une génération automatique de conflit, comme tout conflit n’est pas fatalement le résultat d’une dispute autour des ressources naturelles. Dans un article, intitulé « Ressources naturelles et conflits en Afrique », Roland Pourtier écrivait en 2012 que :

« L’histoire mondiale des conflits enseigne qu’ils sont toujours multidimensionnels ; Même s’il n’existe pas de détermination univoque, la question des liens entre ressources et conflits reste néanmoins posée. Un rapport du programme des Nations Unies pour l’environnement de 2009, avance qu’au cours de soixante dernières années au moins 60 % des conflits intra-étatiques ont un lien avec les ressources naturelles. En ce qui concerne l’Afrique, elle compte pour un tiers des conflits répertoriés dans le monde et la majorité d’entre eux ont un rapport direct avec les productions minières ou pétrolières (Nigeria, Libéria, Sierra Leone, Angola, RDC et Soudan). « Malédiction du pétrole », « Diamants du sang », ces expressions médiatisées par les ONG, expriment avec force ce lien de causalité, qu’il convient toutefois de relativiser ».

Tel est le cas en Afrique où, même si une majorité de conflits trouve ses racines dans la rivalité autour des ressources naturelles, d’autres causes sont recensées en dehors des éléments économiques et de richesse. Les causes économiques et matérielles sont même généralement cachées derrière des mobiles jugés plus nobles tels que liberté, dignité ou souveraineté.

Par ailleurs, la plupart des pays africains adoptent des économies qui s’appuient sur l’exportation de matières premières ; d’où toute l’importance donnée aux ressources naturelles. Ces ressources sont pour la plupart des pays la seule source de survie de leurs économies. Ils ne peuvent, donc, faire l’économie d’un conflit lorsque celui-ci tourne autour des richesses naturelles.

En termes de conflictualité, plusieurs formes de tensions liées aux ressources naturelles peuvent être relevées (Philippe Hugon ; 2009) :

- Les ressources naturelles peuvent attiser les différends frontaliers, terrestres ou maritimes.
- Elles peuvent, favoriser des tentatives séparatistes.
- Les ressources naturelles peuvent, du fait de leur abondance, attiser les convoitises étrangères.
- La rareté des ressources naturelles peut exacerber les conflits régionaux et internationaux.

Le cas africain recèle toutes ces formes de conflictualité liées aux ressources naturelles. Certaines ont été par moments de l’histoire plus prépondérantes que les autres, mais elles n’ont jamais été absentes à tel point que certains analystes ont, comme souligné plus haut, parlé de la malédiction des richesses naturelles en Afrique, phénomène qui veut que le secteur des ressources naturelles tourné vers l’exportation, génère des recettes publiques mais entraîne paradoxalement une stagnation économique et une instabilité politique.

1. Conflits frontaliers

a. Au lendemain de leur indépendance, les Etats africains ont vécu des disputes frontalières. Cette période entre les années soixante et 90 verra plusieurs pays impliqués dans des conflits frontaliers ayant généralement des prétextes déclarés mais qui dans leur majorité trouvaient leurs racines dans la recherche des richesses que renfermaient les zones convoitées. C’est notamment le cas de :

La bande d’Aozou, située entre le Tchad et la Libye, envahie en 1973, par le colonel Kadhafi qui décide de l’annexer en 1976. Ce n’est qu’après sa défaite militaire, que la Libye se résout à accepter un règlement pacifique du différend. L’objet réel de la convoitise aussi bien entre Français et Italien lors de la période coloniale, qu’entre la Libye et le Tchad après l’indépendance, n’est rien d’autre que les ressources pétrolières, d’uranium et de manganèse que la région était réputée renfermer.
Le Burkina et le Mali se sont livrés à des affrontements armés lors de deux conflits en 1974 et en 1985. La cause déclarée avait une dimension territoriale liée à la revendication de la zone frontalière de l’Agacher ; une bande de terre semi-désertique de 160 kilomètres de long et de 30 kilomètres de large se trouvant entre le nord du Burkina Faso et l’est du Mali. Ceci n’obnubile pas la raison économique. La bande de terre en question est réputée receler du gaz naturel et des ressources minières, dont chacune des parties y voyait un levier pour son essor économique.

b. La signature de la convention de Montégo-Bay sur le droit de la Mer en 1982 et la série de découvertes ininterrompues d’hydrocarbures dans le golfe de Guinée à partir du milieu des années Quatre-vingt-dix vont accentuer l’importance des zones économiques exclusives et pousser les Etats de la région à s’intéresser avec plus d’insistance à leurs frontières maritimes, d’autant plus que les mers s’avèrent receler des richesses en hydrocarbures en plus des richesses halieutiques. Il en résultera la naissance de nouveaux conflits autour des frontières maritimes et l’aggravation ou la résurgence de conflits anciens. Le Dr Charles Ukeje et le Pr. Wullson Mvomo Ela, expriment cela dans une étude intitulée « Approche africaine de la sécurité maritime : Cas du Golfe de Guinée » comme suit :

« Si la décision prise à l’indépendance par les Etats africains de garder les frontières coloniales a réduit le risque de conflits, des affrontements frontaliers parfois violents ont été recensés ces dernières décennies. Avec les progrès technologiques qui facilitent la découverte d’hydrocarbures et de gaz le long de la côte du Golfe de Guinée et dans les eaux profondes de la région, les risques de litiges autour des frontières maritimes se sont accrus. Si de telles disputes perdurent, il est fort probable qu’elles déclenchent de nouveaux conflits et qu’elles contribuent à l’aggravation des conflits existants et a l’érosion des efforts minuscules consentis pour promouvoir une réponse régionale efficace à l’insécurité maritime dans la région ».

Certains exemples sont très illustratifs de ces conflits :

Le Conflit de la péninsule de Bakassi : datant de 1981, cet important contentieux frontalier bilatéral est réactivé en 1994 puis en 1996. Il oppose le Nigeria au Cameroun et concerne le tracé des frontières de part et d’autre de la péninsule. Après être passés par des conflits armés limités, les deux pays ont porté le litige devant la CIJ. Celle-ci a reconnu en octobre 2002 la souveraineté du Cameroun sur cette péninsule. Ce territoire, anciennement administré par le Nigeria, est riche en hydrocarbures et en ressources halieutiques qui étaient à la base du conflit. La récupération par le Cameroun de la péninsule le pousse à demander aux Nations Unies de reconsidérer le tracé de ses frontières maritimes avec la Guinée équatoriale, dans la zone comprise entre la péninsule récupéreé et le nord-ouest de l’île de Bioko qui fait partie de la Guinée équatoriale;

En Afrique Centrale, la Guinée Équatoriale et le Gabon sont brouillées par un différend frontalier portant sur la souveraineté des îlots de Conga, Cocotier et de Mbanié. Le conflit date des débuts des années soixante-dix, mais les récentes découvertes de gisements d’hydrocarbures exacerbent les tensions et les crispations des Etats sur leurs positions. Même dans les cas de solutions négociées, chacun des Etats durcit sa position pour obtenir le maximum de concession de l’autre. Encore une fois, les ressources naturelles marquent les réalités géopolitiques et impactent les relations politiques et les appréhensions de voisinage.

2. Séparatisme et remous internes

Les tensions autour des richesses naturelles ne se limitent pas aux relations entre Etats africains ; même à l’intérieur d’un même Etat. Les régions où se concentrent les richesses naturelles ont tendance à vouloir s’approprier la meilleure part et priver les autres régions. Il en naît des tensions internes surtout de la part des régions démunies qui, au nom de la solidarité nationale, réclament leurs parts de ces ressources jugées appartenir au pays tout entier et non à la seule région qui les recèle.

Cet aspect s’illustre souvent dans les pays africains par des tensions entre régions sud/Nord ou Est/Ouest et qui aboutissent souvent à des velléités séparatistes.

Sur cet aspect de la géopolitique, l’Afrique connaît et a connu dans son histoire récente plusieurs exemples qui étayent cette tendance au séparatisme qui mine les efforts d’intégration, de coopération et de développement:

 Le Biafra, région orientale du Nigeria, avait fait sécession en se proclamant Etat indépendant sous la dénomination de « République du Biafra » en 1967. Il s’en est suivi une guerre civile sanglante jusqu’en 1970. Là aussi, et en dépit des arguments ethniques avancés, on ne peut feindre d’ignorer que le Biafra renferme les deux tiers des réserves pétrolières du Nigeria, premier producteur africain — dépassé dernièrement par l’Angola- et que le contrôle de cette richesse n’est pas étranger à l’action séparatiste.

Depuis 1982, le Sénégal est confronté à une rébellion sécessionniste en Casamance où le groupe indépendantiste armé Diola a mis sur pied le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (M.F.D.C.). A la fin des années 1990, des milliers de personnes ont trouvé la mort et plus de 20 000 Sénégalais ont fui la région. L’armée sénégalaise est déployée, et les combats persistent jusqu’à la signature d’un cessez-le-feu en 1993. Plusieurs prétextes peuvent être avancés, mais force est de constater que la zone agro écologique de la Basse et Moyenne Casamance dispose d’un fort potentiel en ressources naturelles avec d’importantes ressources hydriques, fauniques, forestières (formations forestières les plus importantes du pays) et halieutiques. La disponibilité et l’abondance de richesses locales ne sont pas étrangères aux ambitions séparatistes.

Entre 1946 et 1998, la République Démocratique du Congo, l’ex-Zaïre, a été déstabilisée par plusieurs conflits sécessionnistes (Katanga, Haut Congo, Kwilu, Kasaï, Kivu…) Elle a connu 24 tentatives de sécession. Aujourd’hui, il devient clair que ces conflits tournent autour des ressources naturelles. C’est ce qu’affirme le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). L’exploitation illégale de ces ressources (Or, bois, ivoire et minerais) se chiffre à 1,3 milliard de dollars par an. Ce n’est pas aux groupes armés que va tout cet argent. Il est en grande partie capté par des gangs criminels transnationaux notamment basés en Ouganda, au Rwanda et au Burundi. Les ambitions séparatistes ont cédé la place au crime transnational dont les réseaux alimentent et équipent les groupes armés sous différents prétextes pour créer le désordre, les conflits et les absences de pouvoir utiles à leurs activités criminelles.

La naissance du Sud/Soudan est un exemple des plus illustratifs de l’impact des ressources naturelles sur la géopolitique. Le sud du Soudan, riche en pétrole avait très tôt cherché à se séparer du Nord. Ayant obtenu effectivement son indépendance depuis 2011, ces mêmes richesses deviennent le moteur d’une guerre civile entre composantes sudistes qui non seulement menacent de ruine la nouvelle entité, mais constituent aussi un risque de déstabilisation de toute la région.

3. Les ressources naturelles africaines objet de convoitises étrangères

Après avoir été un enjeu entre les puissances coloniales jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, l’Afrique est devenue un terrain de convoitise des deux super clans lors de la guerre froide. Aujourd’hui, à côté des puissances classiques, les ressources africaines sont également convoitées par les émergents.

Cette convoitise des richesses africaines entre les puissances et entre les émergents est également l’un des aspects saillant de la géopolitique africaine. Les relations autour des ressources naturelles dessinent également le schéma des relations politiques entre les pays africains et le reste du monde.

Dans ce domaine, la différence entre le politique et l’économique est très ardue à faire. La relation entre la Chine et l’Afrique qui vise en premier lieu les ressources naturelles africaines s’est d’abord basée sur des convergences politiques et idéologiques. De plus, pour s’approcher des pays africains, la Chine s’est toujours auto définit comme pays en voie de développement. Ce rapprochement de statut et d’idéologie anti-impérialiste et anticolonialiste avait ouvert, à la Chine, portes et fenêtres sur les ressources d’Afrique.
Les puissances occidentales classiques conservent, en dépit des avancées enregistrées par la Chine, l’Inde et dans une moindre mesure le Japon, leur part d’accès aux richesses de l’Afrique. L’accès est facilité par le besoin en sécurité parfois de certains pays africains et parfois de certains régimes en Afrique.

Puissances occidentales et pays émergents se concurrencent pour s’approprier les richesses naturelles des Etats africains. Cette concurrence dépasse les richesses du sous-sol et vise même les terres arables, devant l’impuissance de l’Afrique à mettre elle-même ces terres en valeur.

II. Fragmentation et recherche de coopération

1. Fragmentation et disparités au niveau des ressources naturelles et leur gestion

Les impacts des ressources naturelles africaines sur la géopolitique du continent différent en fonction de deux éléments majeurs :

La répartition naturelle qui fait que certains pays sont plus nantis que d’autres et ;
La gouvernance économique qui fait que des pays exploitent mieux que d’autres les ressources dont la nature les a dotés.

Il en naît une disparité entre pays africains riches ou développés et d’autres qui subissent encore les affres de la pauvreté. Cette disparité influence le positionnement des pays africains dans le monde. En effet, si certains Etats africains trouvent leur place auprès de la communauté internationale et agissent d’une manière ou d’une autre sur les relations internationales, d’autres pays sont marginalisés et ne sont évoqués auprès des instances mondiales que par les aides qu’ils reçoivent et les crises qui y sévissent et que la communauté internationale se doit de résoudre.

a. La gouvernance des ressources naturelles

Plus que la disponibilité des ressources, c’est la gouvernance qui fait la différence de positionnement des pays africains parmi leurs pairs du monde. Le classement de 21 pays africains (sur 58 dans le monde) selon leur gouvernance des ressources naturelles, d’après le « Revenue Watch Institute » en 2013, montre que :

« Le Ghana, pays africain le mieux classé, arrive à la 15e position. Il se situe dans la catégorie des pays qui respectent partiellement les normes de transparence et de redevabilité dans la gouvernance des richesses de leurs sous-sols, aux côtés du Libéria (16e dans le classement général), la Zambie (17e), l’Afrique du Sud (21e) et le Maroc (25e).
Les 16 autres pays africains concernés par le classement figurent tous dans la catégorie des pays dont la gouvernance des ressources naturelles est mauvaise ou catastrophique. 11 pays africains figurent, en effet, dans la liste des 20 pays les plus mal notés : Egypte (38e dans le classement général), Nigeria (40e), Angola (41e), RD Congo (44e), Algérie (45e), Mozambique (46e), Cameroun (47e), Soudan du Sud (50e), Zimbabwe (51e), Libye (55e), Guinée Équatoriale (56e) ».

Il est à remarquer dans ce classement que certains pays bien nantis en termes de ressources naturelles, notamment pétrolières, figurent dans les derniers rangs du classement dès lors qu’il s’agit des règles de transparence et de redevabilité dans la gouvernance de ces ressources. Il résulte de ces divergences de système de gestion une fragmentation qui freine la coopération entre pays africains et divise ces pays en catégories distinctes selon le régime de gestion des ressources.

La gestion des ressources en terres arables est un autre exemple des disparités de gestion en Afrique. Si des pays nantis en terres fertiles importent leurs denrées alimentaires, certains comme l’Afrique du Sud se trouvent parmi les 11 puissances agricoles du monde. Par ailleurs, l’Afrique représente 24 % des terres agricoles mondiales et un tiers des bassins fluviaux du monde, mais seulement 9 % de la production agricole. Encore un domaine où l’Afrique se trouve en tête en termes de dotations naturelles, mais perd ses premières positions dès lors qu’il s’agit de combiner à la fois ressources naturelles et bonne gouvernance.

L’Afrique se trouve ici au cœur de la différence entre la géographie qui rend compte des aspects physiques, démographiques et naturels; et la géopolitique qui, dans son analyse, peut dépasser les seules données géographiques vers des questions tels que la gouvernance et la gestion des relations internationales.

b. Les disparités en termes de dotations naturelles

Les richesses naturelles de l’Afrique ne sont pas naturellement réparties sur l’ensemble du continent. Plusieurs ressources où le continent compte parmi les grands producteurs ou parmi les détenteurs des plus grandes réserves sont en fait concentrées sur certains pays. Parfois, c’est un même pays qui occupe les premières places pour plusieurs ressources :

En ce qui concerne les hydrocarbures, cinq pays africains se partagent la plus grosse part des réserves et des productions ; les autres restent soit au niveau de productions très moyennes ou insignifiantes, soit dépourvus de ressources en hydrocarbures. Aussi bien pour le pétrole que pour le gaz, la majeure partie est répartie entre cinq pays, voir tableaux joints.

 

Pour la production d’or, si une bonne place est accordée à l’Afrique en termes de production mondiale de l’or, force est de constater que cette production se concentre sur quelques pays (Afrique du Sud, Tanzanie, Ghana).

S’il y a une leçon géopolitique à tirer de ces deux exemples, c’est la différence de langage dont il faut user lors des analyses et études géopolitiques. Parler de ressources naturelles en Afrique n’a et ne doit pas avoir le même sens que parler des ressources naturelles des pays africains. En effet, lorsqu’on prend en compte les richesses naturelles africaines, le continent paraît, tout entier, disposer d’assez de ressources pour s’assurer une bonne place dans le monde et sortir de la dépendance vers l’interdépendance. Cependant, si une partie des Etats du continent sont - sinon des émergents - du moins des pays à revenus moyens, une bonne partie reste encore en voie de développement pour ne pas dire simplement pauvre. Dans ce cas, il convient mieux de parler de ressources des pays africains et non de ressources africaines.

Prise dans son ensemble, l’Afrique semble riche et les richesses de ses pays semblent complémentaires. Il reste cependant que l’absence d’outils efficaces de coopération et de mécanismes de complémentarité, donnent de l’Afrique l’image d’un continent qui cherche à dépasser son ordre dispersé vers une recherche des meilleures voies de coopération, voire d’intégration.

C’est cette volonté de dépasser les lignes de fragmentation et les querelles intestines qui - en se dégageant de l’action de certains leaders africains partisans de la solidarité interafricaine et de la coopération — constitue la lueur d’espoir de voir l’Afrique occuper dans le monde la place que lui confère sa richesse en ressources naturelles.

2. Les ressources naturelles leviers de coopération et d’intégration

Les pays perçoivent généralement les ressources naturelles comme un capital national stratégique lié à la souveraineté et qui doit rester à la disposition exclusive des intérêts nationaux. Tout libre accès des partenaires à ces ressources est jugé comme une atteinte directe à la souveraineté. C’est à partir de cette vision que les ressources naturelles riment plus avec conflit qu’avec coopération.

Le principe est certes confirmé par le droit international, notamment par la résolution 1803 du 14 décembre 1962 qui stipule que :

« Le droit de souveraineté permanente des peuples et des nations sur leurs richesses et leurs ressources naturelles doit s’exercer dans l’intérêt du développement national et du bien-être de la population de l’Etat intéressé ».

Plusieurs pays ne peuvent se départir de l’idée que l’intégration impliquerait que les pays les plus dotés en ressources supportent le poids le plus important de l’intégration.

Cependant, plusieurs tentatives sont relevées en Afrique pour une meilleure gestion des ressources naturelles, dans un cadre bilatéral ou multilatéral, qui non seulement permet l’optimisation des productions et des exploitations mais surtout de créer un meilleur chemin pour les ambitions d’intégration.

Ces recherches de voies de coopération ont, à maintes reprises, évité le prolongement de certains conflits, et aidé, en assurant des procédures de gestion commune des ressources, à résoudre certaines crises. Certains cas sont à citer dans ce domaine :

En 2001, le Nigeria a négocié avec Sao Tome et Principe en 2001 un traité portant sur une zone de développement conjoint. La zone se situe sur les espaces maritimes entre les deux pays, une zone riche en pétrole où les réserves avoisineraient le 1 milliard de barils. En vertu de ce traité, Sao Tome obtient 40 % et le Nigeria 60 %. Ce procédé d’exploitation commune des ressources marines en général, et pétrolières en particulier, dans les zones de développement conjoint, permet non seulement de faire des ressources un facteur de coopération et un pas vers une véritable intégration, mais encore d’éviter aux deux pays les conséquences néfastes d’un différend frontalier non résolu.

La République Démocratique du Congo et l’Angola ont réglé à l’amiable, un différend frontalier maritime qui les opposait. Il passe pour être un bon exemple de coopération autour de ressources pétrolières pour combattre l’esprit de tensions infructueuses. La République Démocratique du Congo avait déposé une requête auprès des Nations Unies visant à étendre son plateau continental. Il s’avérait cependant que cette zone couvre l’aire pétrolière dans laquelle l’Angola puise ses ressources. Les deux pays ont porté le différent devant les instances juridiques, mais en attendant le verdict et pour éviter les manques à gagner durant la période d’attente, les deux pays ont identifié une ZIC (Zone d’Intérêt Commun), au terme d’un accord, qui prévoit le partage à égalité de l’exploitation et des revenus, signé et ratifié en 2008.

Le Gazoduc Nigéria-Maroc est un autre visage de la recherche de coopération. Le 3 décembre 2016, le Maroc et le Nigeria ont conclu un partenariat entre leurs fonds souverains respectifs pour le financement d’un projet de gazoduc qui acheminerait du gaz nigérian le long de toute la côte de l’Afrique de l’Ouest, jusqu’au Maroc. Il pourrait constituer le prolongement du West African Gas Pipeline (WAGP) qui dessert déjà le Bénin, le Togo et le Ghana, voisins du Nigeria. Ce projet exprime la volonté de transformer une ressource naturelle de facteur de conflits à levier de coopération. A son aboutissement, le Gazoduc aura traversé quinze pays dont il aura facilité l’électrification.

Les ressources naturelles ont également été à plusieurs reprises un initiateur de vision commune et de rapprochement entre les pays africains. Tels sont les cas, à titre indicatif, de :

Conscients du fait que la contradiction entre une disponibilité révélée de ressources naturelles et la situation de non-émergence voire de pauvreté du continent est due à une absence de vue stratégique dans la gouvernance de ces ressources, les pays africains ont pris l’initiative de la Vision Minière pour l’Afrique (VMA). Une initiative qui rapproche les pays producteurs et remplace la géopolitique de belligérance par celle de la collaboration et de l’entraide.

Le Centre Africain de Développement Minier (CADM) : Ce centre se présente comme ayant pour mission de « travailler avec les Etats membres et leurs organisations nationales et régionales afin de promouvoir le rôle transformateur des ressources naturelles dans le développement du continent grâce au renforcement des relations économiques et sociales ». L’un de ses objectifs primordiaux serait de « faire en sorte que les intérêts et les préoccupations de l’Afrique dans ce secteur soient convenablement articulés et internalisés sur le continent tout entier, pour le bénéfice et la prospérité de tous ».

Conclusion

Il ressort en termes de conclusion de ce qui précède, que les réalités géopolitiques de l’Afrique impactent et sont impactées par les ressources naturelles du continent. Ces dernières sont à l’origine d’une grande partie des conflits, tensions et manifestations d’instabilité que vit le continent. Cependant, il émerge une prise de conscience que les dysfonctionnements dans la gestion des ressources naturelles qui sont responsables des précarités dans le continent ne peuvent être vaincus que grâce à l’effort commun, la solidarité continentale, la collaboration entre Etats et surtout la coopération Sud/Sud. Les Africains tentent donc, grâce à des initiatives communes, de faire de leurs ressources naturelles un levier de développement en dépassant les vues souverainistes restreintes.

Les ressources naturelles sont, dans ce sens, l’un des outils dont les acteurs de la géopolitique africaine usent pour atteindre soit des objectifs de puissance dans un cadre conflictuel et concurrentiel, soit pour réaliser la coopération, la solidarité et la collaboration pour le bien du continent. L’outil est le même, c’est l’usage ou le cadre d’utilisation qui en changent la fonction.