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L'intégration économique en Afrique: un processus en cours

Vera Songwe | December 22, 2016

Partout dans le monde, l'intégration économique régionale permet d'accélérer la croissance et le développement en apportant une panoplie d'avantages liés à une meilleure coopération politique, à un commerce intra-régional accru et à la création d'emplois. Les régions qui sont plus intégrées se sont révélées capables de connaître une croissance plus rapide et ont fait preuve d'une plus grande capacité d'adaptation en période de ralentissement de l'économie mondiale. Alors que l'économie mondiale lutte pour retrouver ses niveaux de croissance élevés d'il y a dix ans, la stimulation de la croissance interne et régionale est devenue la principale solution stratégique pour de nombreux pays et régions. La Chine tisse davantage de liens avec ses voisins, l'Inde fait pareil, et même dans l'Union Européenne le commerce intra-régional est en passe de retrouver ses niveaux qui existaient avant la crise financière. En Afrique, le Maroc et l'Afrique du Sud adoptent aussi des stratégies commerciales régionales de manière vigoureuse, alors que l'Europe reste le principal marché d'exportation de l'Afrique. Le commerce de l'Afrique avec les nations atlantiques de l'Europe se rétrécit à un moment où l'Afrique envisage d'intensifier ses relations commerciales avec elle-même. Toutefois, à mesure que l'Afrique s'intègre dans les chaînes de valeur mondiales, on devrait s'attendre à ce que le commerce avec l'Europe continue d'augmenter, sachant que la concurrence avec les autres voisins atlantiques de l'Afrique au sud des États-Unis s'accentuera probablement.

Figure 1. Part des exportations de l'Afrique par destination, 2014

Source: OMC, Statistiques du commerce international, 2015

Améliorer le commerce intra-régional et le climat des affaires en Afrique

L'intégration régionale est une priorité essentielle de la stratégie de développement de l'Afrique, où le libre-échange entre les membres constitue l'une des pierres angulaires de l'Agenda 2063, récemment adopté par l'Union africaine. Le commerce intra-régional devrait générer des gains de productivité considérables pour le continent. Dans le contexte africain, de tels gains permettront d'améliorer la sécurité alimentaire globale en acheminant, à moindres coûts, les produits alimentaires et agricoles des zones excédentaires vers les zones déficitaires. De nouveaux débouchés existent également pour le commerce transfrontalier des industries manufacturières de base, tels que les produits en métal et en plastique dont l'importation est coûteuse sur le marché mondial. En outre, dans une période marquée par une production d'énergie vulnérable aux conditions climatiques, l'intégration régionale des marchés de l'énergie est susceptible de réduire considérablement les coûts, diminuer les émissions, et améliorer l'accès aux ressources énergétiques.

Le secteur privé a joué un rôle primordial dans tous les marchés où l'intégration régionale s'est amorcée et s'est accélérée. L'Afrique ne fera pas exception. En effet, le rôle du secteur privé est incontournable dans la mobilisation des investissements privés dans les biens échangeables, ce qui sera essentiel pour la croissance soutenue de la productivité, l'augmentation des exportations, et le perfectionnement du savoir-faire dans le domaine des exportations, aboutissant ainsi à une meilleure création d'emplois, en termes de quantité et de qualité. L'intégration régionale permet aussi au secteur privé africain d'innover, de prospérer, et de transférer plus rapidement les connaissances, tout en contribuant à l'amélioration de sa compétitivité à l'échelle mondiale. Il convient donc d'exploiter davantage le potentiel et la capacité des chaînes de valeur de la production régionale à participer aux chaînes de valeur mondiales, à l'instar de celles de l'Asie de l'Est. Les économies africaines riches en ressources naturelles peuvent aussi développer des chaînes de valeur régionales axées sur des produits de base, tels que le minerai de fer et l'or. Pour sa part, le commerce interrégional des services offre un potentiel inexploité pour l'amélioration de la productivité, à travers le développement du secteur privé et l'exportation des services professionnels. De même, les exportations des services offrent une occasion d'améliorer les services publics essentiels pour les citoyens, comme les soins de santé et l'éducation. Les premiers exportateurs de services dans le monde sont l'UE, les États-Unis, la Chine, le Japon et l'Inde. Parmi les pays les moins avancés, la Gambie et le Cambodge ont affiché les ratios les plus élevés des exportations de services commerciaux par rapport au PIB en 2014.

La petite taille d'un grand nombre de pays et de marchés sur le continent nécessite aussi le renforcement de l'intégration économique. Et pour cause, plus de la moitié des pays du continent comptent une population de moins de 10 millions d'habitants. Pour bénéficier des économies d'échelle régionales, le commerce régional est donc indispensable. L'importance économique du commerce transfrontalier dans les pays à faible revenu, ainsi que dans les États fragiles en proie aux conflits, revêt une importance particulière. L'analyse de la pauvreté indique que les échanges transfrontaliers à petite échelle ont un fort impact sur la réduction de la pauvreté dans les pays. De plus, une part non négligeable des échanges transfrontaliers entre les pays africains se fait sous forme de petites transactions qui ne figurent pas dans les statistiques officielles du commerce, comme c'est le cas, par exemple, entre le Ghana, le Libéria et la Sierra Leone, le Nigeria et le Bénin, la République démocratique du Congo et le Rwanda. Le fait de faciliter la transition de ces commerçants - dont un grand nombre sont des femmes - de l'économie clandestine vers l'économie officielle est susceptible de stimuler l'implication du secteur privé, l'entrepreneuriat et le commerce.

Malgré le rôle important que le commerce joue pour stimuler la croissance économique et réduire la pauvreté, tout en améliorant la sécurité alimentaire et énergétique en Afrique, les échanges commerciaux des pays africains sont toujours très limités entre eux (voir Figure 2). Le commerce intra-régional en Afrique occupe l'avant dernière position parmi les régions du monde, ce qui signifie qu'il s'agit d'une source de croissance importante qui reste inexploitée. Ce constat est dû en grande partie à une combinaison de politiques commerciales fortement axées sur l'accès aux économies développées, et à des efforts d'intégration régionale qui n'ont pas été bien conçus ou n'ont pas été pleinement mis en œuvre. Cependant, force est de noter que le commerce intra-régional a augmenté depuis les années 2000, et cette amélioration a été soutenue par le remaniement des efforts internes et les taux de croissance sans précédent que les économies africaines ont enregistrée au cours de la dernière décennie.

Figure 2. Part du commerce intra-régional par région du monde, 1995, 2000 et 2014

Source: OMC, 2015

Le graphique ci-dessus indique qu'à partir d'un niveau très faible, l'Afrique est le continent qui a pu accélérer le commerce intra-régional à la cadence la plus forte depuis le début des années 2000. En effet, pour les pays africains, le commerce au sein de l'Afrique a atteint 17,7% du total des exportations de la région en 2014, contre seulement 10% en 1995 et 2000. Cependant, le continent se trouve encore loin derrière les leaders mondiaux du commerce intra-régional. En Europe, en Asie et en Amérique du Nord, le commerce intra-régional représente une part importante des exportations. En Europe, le commerce dans la région a représenté en moyenne plus de 70% des exportations totales de marchandises de la région au cours des 20 dernières années. En Asie, 52% des exportations ont été vendues en Asie. La part de l'Amérique du Nord dans le commerce intra-régional a été légèrement inférieure, soit 50% des exportations totales qui sont écoulés dans la région. Pour le Moyen-Orient, le commerce dans la région joue un rôle mineur par rapport à l'ensemble des activités commerciales. Ainsi, en 2014, seuls 113 milliards de dollars ont été vendus à l'export dans la région, comparativement à des exportations totales de 1.288 milliards de dollars, soit 9% du total.

Le commerce intra-régional en Afrique est en augmentation depuis 2008. Cependant, la part globale des exportations africaines vers le reste du monde ne représente que 3%. En revanche, la contribution de l'Asie, en tant que région commerciale, aux exportations mondiales a considérablement gagné en importance. En 2014, les exportations mondiales de marchandises vers l'Asie se sont élevées à 5,465 milliards de dollars, soit près du tiers du commerce mondial de marchandise. Malgré les efforts visant à diversifier la gamme des exportations, les exportations africaines restent fortement concentrées dans les produits de base, qui représentent plus de la moitié des produits que le continent exporte, contre seulement 10% pour l'Asie et les économies avancées. La part de l'industrie manufacturière dans le commerce intra-régional en Afrique a toujours été plus élevée que sa part dans le commerce extrarégional du continent (voir Figure 4). Cela témoigne de l'importance de l'industrie manufacturière dans le renforcement de l'intégration régionale en Afrique, dans la mesure où cette industrie stimule davantage le commerce intra-africain des produits manufacturés. Les leaders régionaux du secteur privé qui opèrent dans des créneaux comme le ciment et les boissons sont à l'origine de cette croissance du commerce intra-régional de l'industrie manufacturière.

Figure 3. Composition du commerce africain des marchandises, 2014

Source: CNUCED, 2014

Au cours des 20 dernières années, l'Europe a constitué la principale destination des exportations africaines. Près de 37% du commerce mondial des marchandises part de l'Europe ou y aboutit. Les deux tiers de ce commerce sont réalisés parmi les économies européennes, plaçant ainsi son commerce régional au premier rang à l'échelle mondiale. Néanmoins, cette performance n'a pas été réalisée au détriment des relations commerciales mondiales. L'Europe entretient également d'étroites relations commerciales avec toutes les autres parties du monde: le continent importe plus de produits manufacturés en provenance d'Asie et d'Afrique que les États-Unis, et commerce plus avec le monde en développement que n'importe quelle autre région. Parmi les aspects importants qui ont fait la réussite de l'intégration européenne, il convient de citer le maintien de l'engagement à l'égard du libre-échange. L'intégration économique européenne a été un processus continu depuis les premiers jours de la Communauté européenne du charbon et de l'acier après la Seconde Guerre mondiale, et une marche à suivre pour mettre en place davantage de coopération économique et politique à travers l'intensification de la coopération régionale. L'UE a également fourni un point d'ancrage aux réformes structurelles et à l'harmonisation institutionnelle globale grâce à tout un éventail de traités, de lois et de règlements qui régissent l'union économique. Pour que l'Afrique puisse mettre en place des lois et des règlements en faveur du libre-échange entre les pays du continent, les principaux blocs commerciaux comme la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE), la Communauté de développement de l'Afrique australe (CDAA), la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) et d'autres groupements devront conjuguer leurs efforts et collaborer de manière constructive pour passer au crible et revoir les barrières tarifaires et non tarifaires qui grèvent actuellement les échanges commerciaux, ainsi que pour établir de nouveaux règlements susceptibles de promouvoir le commerce intra-africain.

L'amélioration du climat général des affaires est tout aussi importante pour l'Afrique. Les pays fournissent de plus en plus d'efforts, individuellement et collectivement, pour améliorer l'environnement des affaires. Un fait marquant réside à cet égard dans l'instauration du passeport africain, qui est délivré aux chefs d'entreprise régionaux et à d'autres investisseurs institutionnels pour faciliter leurs déplacements sur le continent. En outre, l'Afrique subsaharienne a mis en place un chiffre record de 80 réformes dans 37 pays parmi les 48 qui composent la région au cours de l'an dernier. Ce chiffre représente près du tiers des réformes enregistrées dans le monde (283), soit une progression de 14% par rapport au nombre de réformes enregistrées l'année antérieure (69). En bref, l'Afrique subsaharienne a occupé la première place parmi les régions, avec le plus grand nombre de réformes à l'échelle mondiale.

Au cours de l'an dernier, le Niger a mis en œuvre le plus grand nombre de réformes (6), suivi par le Kenya avec 5 réformes, tandis que le Rwanda, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, la Mauritanie et le Togo ont mis en place 4 réformes. Le Burkina Faso, Madagascar, le Mali, l'Ouganda et le Zimbabwe ont entrepris, chacun, trois réformes. Comparée à d'autres régions qui utilisent les indicateurs Doing Business de la Banque mondiale, la mesure de la distance de la frontière pour l'Afrique a progressé à un rythme d'amélioration qui a été trois fois supérieur à celui des économies de l'OCDE à revenus élevés. Les communautés économiques régionales ne cessent de renforcer le rythme des réformes. Par exemple, l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a fait de 2016 une année couronnée de succès, puisque tous les 18 pays membres ont adopté une réforme dans le domaine de l'indicateur de la Banque mondiale relatif à la résolution de l’insolvabilité, ce qui représente 17 parmi les 24 réformes enregistrées à cet égard au niveau mondial.

Chaînes de valeur mondiales et chaînes d'approvisionnement régionales

Selon l'OMC, 49% des échanges mondiaux de biens et de services en 2011 ont eu lieu au sein des chaînes de valeur mondiales (CVM), contre 36% en 1995. L'Afrique enregistre une part faible mais croissante dans le flux des échanges commerciaux. La part de l'Afrique dans le commerce mondial en termes de valeur ajoutée est passée de 1,4% en 1995 à 2,2% en 2011, ce qui représente une augmentation d'environ 60%, alors que les régions bien établies des CVM aux États-Unis, en Asie et en Europe ont connu une baisse relative de leurs parts. La croissance de l'Afrique a également été plus élevée que celle de l'Amérique latine et du Moyen-Orient, qui jouent de petits rôles dans les chaînes de valeur mondiales, mais qui demeurent inférieures à celles de l'Asie du Sud.

Pour l'Afrique, les gains potentiels qui résulteront d'une plus grande intégration régionale pourraient être renforcés davantage grâce à l'intégration dans les chaînes de valeur mondiales. Les progrès de l'Afrique en matière de connexion aux CVM peuvent approfondir encore plus le processus d'intégration économique. Les CVM offrent de nombreuses possibilités pour transformer les économies africaines en créant de nouvelles activités concurrentielles et en améliorant la performance du secteur manufacturier, de l'agriculture et des services, tout en élargissant le champ de la diversification et la sophistication technologique des exportations. Les chaînes de valeur régionales peuvent également jouer un rôle de premier ordre en offrant aux producteurs locaux - y compris aux petites et moyennes entreprises (PME)- des opportunités d'accéder à des marchés à forte croissance et plus facilement accessibles dans toute l'Afrique.

La réussite spectaculaire de l'Asie est une importante source d'enseignements pour l'Afrique. En effet, les progrès rapides de l'intégration régionale enregistrés en Asie ont résulté d'une amélioration accélérée du commerce transfrontalier. En favorisant l'intégration régionale, l'Asie a pu créer des chaînes de valeur régionales et a réussi à devenir plus efficace, permettant ainsi à la région de devenir un acteur incontournable des CVM qui ne cessent de marquer le commerce mondial de nos jours. Et pour cause, en 2011 près de la moitié du commerce mondial s'est réalisé à travers des chaînes de valeur transfrontalières. Certaines économies d'Asie de l'Est, dont la Chine, la Corée du Sud et la Thaïlande, ont tiré parti des investissements dans les infrastructures et les ressources, ce qui leur a valu d'être qualifiés de «Factory Asia» (grande fabrique de l’Asie). Le Cambodge est un exemple prometteur de la rapidité de l'intégration dans les chaînes d'approvisionnement régionales. Malgré son classement parmi les pays les moins avancés, ce pays a été en mesure d'accroître sa spécialisation verticale d'un taux impressionnant de 24% entre 1995 et 2011.

Figure 4: Participation des pays africains aux chaînes de valeur mondiales en 2011

Source: BAfD, Perspectives économiques en Afrique, 2014

Le processus d'intégration aux CVM a toujours été associé à des niveaux assez élevés d'activité et de croissance des revenus au fil du temps, comme en témoignent les exemples de l'Asie du Sud et de l'Est, au même titre que de l'Europe de l'Est. La participation régionale de l'Afrique aux CVM revient essentiellement à l'Afrique australe et à l'Afrique du Nord, qui représentent la plus grande part du commerce dans les CVM, suivis de l'Afrique de l'Ouest, l'Afrique de l'Est, et l'Afrique centrale. L'Afrique australe et l'Afrique du Nord sont à l'origine de la plus grande part du continent dans l'intégration des chaînes de valeur, tant en amont qu'en aval (voir Figure 4). Le continent présente des variations importantes dans le taux de participation global, ainsi que dans les taux d'intégration en amont et en aval. Les cinq premiers pays ayant le taux de participation le plus élevé sont le Lesotho, les Seychelles, le Swaziland, la Tanzanie et le Zimbabwe. Les 5 derniers pays en bas du classement le Soudan du Sud, la Somalie, le Soudan, le Bénin et la Gambie. La plus forte croissance du taux de participation global entre 1995 et 2011 a été réalisée par la Tanzanie, les Seychelles, le Zimbabwe, la République du Congo et la Mauritanie.

À quoi ressemble le commerce régional en Afrique?

Pour mesurer l'intégration commerciale des pays africains, les parts moyennes des exportations intra-régionales dans les exportations totales sont considérées comme des indicateurs principaux de l'intégration commerciale. Comme mentionné précédemment, le commerce intra-régional est faible en Afrique, par rapport à celui des autres régions. Lorsque le niveau d'exportations et d'importations intra-africaines est élevé, cela signifie qu'un pays a pris des mesures significatives pour maintenir les barrières commerciales avec les autres pays africains à un faible niveau (voir Figure 5). Autrement, le coût des échanges aura tendance à rendre les produits du pays non compétitifs sur les autres marchés africains et à réduire la part du revenu d'un pays consacrée aux importations en provenance du reste de l'Afrique.

Les pays de l'Afrique de l'Ouest, du Sud et de l'Est semblent être dans le peloton de tête en matière de commerce intra-régional. La tendance du commerce intra-régional a été façonnée, n'est-ce qu'en partie, par la formation des communautés économiques. Il existe huit communautés économiques régionales reconnues par l'Union africaine, à savoir la Communauté de l'Afrique de l'Est, la COMESA, l'Union du Maghreb Arabe (UMA), la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD), la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), l'Autorité intergouvernementale pour le Développement (IGAD), la Communauté de développement de l'Afrique australe (CDAA) et la CEDEAO.

Figure 5. Part des exportations intra-régionales dans les exportations totales, 2014

Source: Calculs de l'auteure, fondés sur la base de données des statistiques de l'ONU sur le commerce des produits de base (Comtrade) à partir de 2014 ou de la dernière année disponible; les zones en gris indiquent les données manquantes.

Il convient de noter que le commerce régional africain présente de grandes disparités entre les différentes communautés économiques. Malgré l'existence de nombreux accords commerciaux intra-régionaux, certains groupements économiques demeurent à la traîne pour ce qui est de la réalisation d'une plus grande intégration commerciale parmi les membres - probablement parce que le chevauchement de leurs groupements de pays réduit considérablement leur efficacité. C'est le cas de l'IGAD, de la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC) et du COMESA.

La CDAA dispose du cinquième ratio du commerce intra-régional le plus élevé au niveau mondial, parmi 32 blocs commerciaux régionaux. Toutefois, certaines des communautés économiques régionales de l'Afrique réalisent une forte progression par rapport à d'autres blocs d'intégration régionale en Afrique et dans le monde. En particulier, la CDAA n'est pas seulement la communauté économique la plus performante d'Afrique, mais aussi l'une de celles qui enregistrent les meilleurs résultats au monde. La CEA indique que la CDAA réalise un ratio de commerce intra-régional qui se chiffre à 6,6% par rapport au PIB. Les pays d'Afrique australe semblent afficher le volume le plus élevé du commerce intra-régional. La plupart des pays africains qui réalisent la plus forte proportion des exportations intra-régionales par rapport au total des exportations sont membres de la CDAA. La densité des échanges intra-régionaux dans ces pays est en partie due à leur proximité avec la puissance économique régionale qui est l'Afrique du Sud, ainsi qu'à leur appartenance à la CDAA.

Figure 6. Commerce de la Communauté économique, en millions de $ en 2014*

Source: Base de données Comtrade des Nations Unies, 2014

Note: Les flux non enregistrés à travers les frontières à l'intérieur de l'Afrique sont probablement plus importants qu'ailleurs dans le monde, et les chiffres rapportés peuvent ne pas être suffisamment précis.

Pour des pays de la CDAA comme le Lesotho et le Zimbabwe, l'Afrique du Sud est en effet le principal partenaire commercial. La majeure partie des exportations des pays de la CDAA sont destinées à l'Afrique du Sud. Toutefois, ce n'est pas le cas pour d'autres membres de la CDAA ayant des parts aussi élevées sur cette mesure, comme la Namibie et la Tanzanie. Ce constat suggère que le commerce entre les pays de la CDAA et l'Afrique du Sud explique, en partie seulement, la forte performance des pays de la CDAA en matière d'exportations intra-africaines.

La CEDEAO occupe la seconde place dans cette répartition, en termes de volume d'échanges. Malgré les avancées réalisées sur la voie d'une intégration économique accrue, la part du commerce régional dans la CEDEAO est restée plus ou moins constante et nettement inférieure à l'objectif de 40% que le bloc ambitionne d'atteindre à l'horizon 2030. Toutefois, ce chiffre global est largement dominé par le poids du Nigeria dans les exportations totales de la région. Ces exportations se composent principalement de pétrole et de produits de base qui sont largement destinés au marché mondial. Les autres exportateurs de produits de base au sein de la CEDEAO, à savoir la Gambie et la Guinée, rejoignent le Nigeria avec des nombres à un seul chiffre de parts d'exportations intra-régionales (voir Figure 7). Pour le reste des pays membres de la CEDEAO, le commerce régional joue un rôle beaucoup plus important, avec des ratios élevés pouvant atteindre 59% au Togo, 41% au Sénégal et 31% au Niger.

En ce qui concerne la composition du commerce, la gamme des exportations des biens à destination des partenaires de la CEDEAO et du reste du monde varie sensiblement d'un pays membre à l'autre. Ainsi, il ne semble pas y avoir de configuration claire entre les pays en ce qui concerne la nature de ce qui est exporté au niveau régional et ce qui est exporté au niveau mondial. La principale exception à cet égard reste le Nigeria, dont les exportations vers toutes les régions sont fortement dominées par le pétrole brut.

Figure 7. Commerce intra-régional de la Communauté économique africaine

Source: Base de données Comtrade de l'ONU, 2014

Le développement des chaînes de valeur régionales a enregistré ses niveaux les plus élevés dans la CDAA et la CEDEAO, mesuré sous forme d'importations et d'exportations de biens intermédiaires et de biens d'équipement de chaque pays, réalisées avec le reste de l'Afrique en tant que part du PIB. Cela implique que ces deux communautés économiques régionales disposent de réseaux de production plus solides qu'ailleurs en Afrique.

Que peut-on faire pour améliorer l'intégration et le commerce régionaux?

L'Afrique n'a pas été en mesure de tirer pleinement profit de l'expansion rapide du commerce mondial, et la productivité du travail n'a pas augmenté autant que dans d'autres régions, contribuant ainsi à un déficit commercial et à une faible intégration dans les CVM - un facteur clé pour valoriser le commerce et soutenir la création d'emplois à long terme. En outre, l'Afrique a enregistré des progrès dans les domaines de l'industrie manufacturière, de l'agriculture et de l'agro-industrie, du tourisme, et des transports, dont les derniers ont également révélé le plus grand potentiel d'une intégration bien poussée. Pour tirer parti de ce potentiel, les constats soulignent la nécessité de combler les lacunes dans les infrastructures, de réduire les droits de douane et les obstacles non tarifaires, et d'améliorer le climat des affaires et l'accès au crédit.

L'Afrique devrait connaître une croissance démographique importante au cours des prochaines années. Toutefois, pour qu'elle puisse tirer parti de cet atout démographique, l'Afrique doit être en mesure de fournir des emplois aux personnes qui rejoindront le marché du travail à l'avenir.

L'intégration régionale et l'énergie

Pour que l'Afrique puisse accroître ses échanges avec elle-même ou avec le reste du monde, les pays africains doivent fournir davantage d'efforts pour améliorer la logistique commerciale, réduire les temps de déplacement à travers les frontières, s'industrialiser plus rapidement, et réduire les coûts des extrants. Un élément clé de cette démarche consistera à réduire le coût de l'énergie et à accroître sensiblement la capacité de production.

L'Afrique subsaharienne toute entière, qui compte environ un milliard de personnes, ne consomme que 145 térawattheures d'électricité par an, soit à peine la consommation d'un petit État des États-Unis d'Amérique. C'est à peu près l'équivalent d'une ampoule incandescente par personne, à raison de trois heures par jour. En Afrique aujourd'hui, plus de 600 millions de personnes sont privées d'électricité. Dans de nombreux pays, plus de 75% de la population n'a pas d'accès à une énergie abordable et fiable, dont 70 millions de personnes en Éthiopie et 60 millions autres en RDC.

L'Afrique dispose de ressources énergétiques abondantes, à faible teneur en carbone et à faible coût: éolienne, hydraulique et solaire. Pourtant, la plupart des pays continuent de recourir à l'énergie thermique dont le coût est élevé. Toutefois, en l'absence de projets de production d'énergie bien développés, l'avènement de marchés suffisamment importants et la disponibilité du financement à plus long terme permettront de remédier considérablement à ces problèmes. En fin de compte, ce qui rendra rentable la production d'énergie en Afrique, ce sera l'accès du secteur privé à des marchés plus vastes, à travers l'intégration régionale.

La plupart des réseaux électriques africains sont trop restreints pour produire efficacement de l'énergie. Actuellement, 21 parmi les 54 pays du continent ont une capacité installée inférieure à 200 MW. En raison de ces petites tailles, le coût moyen de la production d'électricité demeure élevé et dépasse dans certains cas 0,25 $/kWh, comparativement à moins de 0,10 $ dans d'autres régions du monde.

Les investissements du secteur privé dans le secteur de l'énergie en Afrique ne représentent que 1% de l'ensemble de ce type d'investissements dans d'autres régions en développement (34% pour l'Asie du Sud, 26% pour l'Amérique latine et les Caraïbes, 25% pour l'Europe et l'Asie centrale). Six pays de l'Afrique subsaharienne s'accaparent 80% de ces investissements (Nigeria, Ouganda, Cameroun, Ghana, Kenya, et Tanzanie), dont la majeure partie n'a pas de dimension régionale.

Ce sera le commerce régional de l'énergie qui établira de nouvelles règles de jeu pour l'avenir de l'énergie propre en Afrique, grâce au développement de pools énergétiques régionaux. La mise en place de pools énergétiques régionaux- où de nombreux pays faisant partie de sous-régions mettent en commun leurs atouts énergétiques et commercent entre eux- a commencé à travers le continent avec la construction de lignes transfrontalières de transport de l'énergie, et la création et le renforcement d'institutions intergouvernementales, telles que l'Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), qui gère des projets de production d'énergie pour le Sénégal, le Mali, la Mauritanie et la Guinée.

Les pools énergétiques régionaux de l'Afrique peuvent réduire sensiblement le coût de l'électricité, relier les marchés aux ressources, améliorer la balance des paiements des pays exportateurs de produits énergétiques, puisqu'ils négocient en devises étrangères, et renforcer la fiabilité de l'offre. Par exemple, le Projet d'autoroute de l'électricité pour l'Afrique de l'Est (interconnexion des réseaux de l'Éthiopie et du Kenya) est une ligne électrique transfrontalière de 1000 km de lignes de transport de courant continu haute tension de 500 kV, qui devrait réduire les prix de l'électricité de plus de 20% une fois achevée, en les ramenant de 0,17 $/kWh à 0,14 $/kWh. En développant les ressources hydrauliques et gazières, le continent peut aussi s'assurer qu'il passera d'un modèle lourd de production d'énergie à base de combustibles fossiles vers un réseau plus diversifié avec une intensité carbone considérablement réduite.

Actions stratégiques spécifiques

Élargir les horizons grâce à la libéralisation du commerce. Une plus grande ouverture commerciale est de nature à créer des emplois pour absorber la population en âge de travailler dont le nombre ne cesse d'augmenter, et permettre à l'Afrique de tirer parti des transferts technologiques et de l'intégration dans les chaînes de valeur mondiales. L'expansion du commerce intra-régional et des marchés régionaux pourrait stimuler les incitations à la production intérieure, en particulier dans les secteurs manufacturiers à forte intensité de main-d'œuvre, et attirer davantage d'investissements.

La poursuite de la réduction des droits de douane dans la région est susceptible de renforcer le développement du commerce, tant mondial que régional. L'alignement des droits de douane sur la moyenne mondiale pourrait générer près de 14% de commerce supplémentaire. Toutefois, il faut tenir compte du fait que les taxes sur le commerce représentent encore une source substantielle de revenus pour de nombreux pays de la région et que les politiques visant à réduire les droits de douane doivent aller de pair avec les efforts visant à mobiliser les recettes provenant d'autres sources. En outre, les pays et la région doivent se pencher sur les obstacles non tarifaires qui entravent le commerce, les coûts élevés de la logistique, la faiblesse de la gestion des chaînes d'approvisionnement, l'entreposage et la réfrigération. L'harmonisation des normes de qualité reste importante pour l'intégration du capital-risque dans l'agro-industrie, par exemple, qui est le principal secteur d'activité de l'Afrique de l'Ouest.

Approfondir la coopération économique régionale. Au niveau régional, le renforcement des unions douanières existantes avec une plus grande intégration économique donnera de bons résultats, comme cela a été le cas de la CDAA, de la Communauté de l'Afrique de l'Est, et de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Cependant, le fait de disposer d'une monnaie unique ne suffit pas en lui-même, comme en témoigne la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) où les flux commerciaux à l'intérieur d'une union monétaire ne se sont pas avérés significativement supérieurs aux flux régionaux réalisés en dehors d'une union monétaire. La création d'unions monétaires doit être parachevée par des accords commerciaux mutuellement bénéfiques, des investissements dans les institutions chargées de réglementer et de promouvoir le commerce, ainsi que l'amélioration des compétences.

Accroître la productivité agricole et diversifier les activités à forte intensité de main-d'œuvre en dehors de l'agriculture. Il est possible d'améliorer la productivité agricole par l'augmentation de l'accès à l'irrigation, l'accroissement de l'utilisation de variétés à haut rendement, et l'amélioration de l'accès aux marchés. En outre, la diversification économique nécessiterait la réduction des contraintes administratives, la simplification des réglementations, la promotion de la concurrence et l'investissement dans le capital humain et le capital physique.

Promouvoir le développement du secteur privé. Une telle mesure permettrait au secteur privé de s'engager dans de nouveaux domaines d'activité économique. Le développement du secteur privé peut se faire par le biais de réformes qui favorisent un environnement plus propice aux entreprises.

Améliorer l'accès au crédit. L'accès au crédit pour le secteur privé joue un rôle primordial dans le commerce de la région. Le FMI prévoit que si l'Afrique renforce le développement du secteur financier au niveau observé ailleurs dans le monde, cela permettrait une expansion du commerce de l'ordre de 29%. Toutefois, une telle expansion devra s'accompagner de cadres de gestion macroéconomique adéquats pour gérer soigneusement les risques y afférents.

Répondre aux besoins en matière d'infrastructures. A ce propos, il est essentiel de combler les lacunes des infrastructures dans les secteurs des transports, des télécommunications et de l'énergie pour développer davantage les secteurs manufacturiers et des services, tout en réduisant les coûts relatifs à la conduite des affaires. Les pays enclavés qui disposent de peu de ressources naturelles sont des économies qui restent fermées - leurs exportations ne représentent que 10% du PIB - et qui continuent encore à lutter pour accroître l'intégration commerciale, souffrant ainsi de la médiocrité des infrastructures de transport et de l'intérêt limité pour les marchés émergents.

Conclusion

Dans l'ensemble, l'intégration régionale est importante pour l'Afrique. Les accords régionaux du commerce et de la coopération ont soutenu ce programme et il convient de les approfondir. En outre, bien que des progrès aient été réalisés dans certaines régions, d'autres zones restent à la traîne et la prochaine étape du programme d'intégration régionale devra également s'articuler autour des questions commerciales interrégionales.

L'intégration régionale est particulièrement avancée dans le secteur manufacturier. Il s'agit d'une dimension essentielle du programme d'intégration régionale, dans la mesure où cela signifie que les pays peuvent créer des chaînes de valeur régionales à mesure qu'ils se développent et progressent dans la chaîne de valeur productive. Pour accompagner ce développement, il faut davantage de travail pour mieux cerner les chaînes de valeur manufacturières régionales et faire en sorte que les gouvernements adoptent des politiques qui permettent et favorisent leur développement. De telles politiques pourraient prévoir, entre autres, l'adoption de règlementations spécifiques pour favoriser ces modèles de commerce et le soutien conjoint avec le secteur privé pour rehausser l'enseignement technique et professionnel dans ces chaînes de valeur. À un moment où le continent accélère le rythme de l'intégration, il est impératif de faire plus pour rattraper le retard par rapport à d'autres régions.