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Le Sahel face aux tendances Al Qaeda et Daech: Quel dénouement possible ?

Ihssane Guennoun , Abdelhak Bassou | January 05, 2017

Le paysage terroriste au Sahel se caractérise par une multiplicité d’acteurs qui déstabilisent les pays de la région. Malgré que chaque groupe terroriste possède des spécificités d’action et des zones d’influence propres à lui, il n’en demeure pas moins que deux grandes tendances idéologiques s’affrontent au Sahel. D’une part, Al Qaeda au Maghreb Islamique et d’autre part, l’organisation Etat islamique. Cependant, certains groupes continuent d’agir indépendamment des allégeances qu’ils ont prêtées en refusant de suivre les ordres de leurs leaders hiérarchiques.

Face à cette complexité des acteurs terroristes qui sévissent dans le Sahel, ce Policy Brief se propose d’examiner la situation en levant le voile sur le système des allégeances, la relation entre les différents groupes, mais également, le jeu des acteurs étatiques dans leur lutte contre ces différentes nébuleuses. 

Introduction

Déjà infesté par les groupes terroristes depuis les premières années 2000, lorsque le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) y avait élit domicile, le Nord du Mali avait vu l’activité des groupes terroristes s’accroitre et s’organiser lorsque ce groupe avait prêté allégeance à AL Qaeda, pour devenir Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI).

La crise libyenne avait eu pour première grande répercussion, l’occupation au début de l’année 2012, du Nord Mali par le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), un groupe séparatiste Touareg qui depuis 1960 est à l’origine de crises et conflits récurrents qui opposent l’Azawad et ses mouvements au gouvernement Malien. Les impacts de cette occupation furent aggravés par un coup d’Etat militaire à Bamako qui non seulement affaiblissait l’Etat malien, mais permettait en conséquence aux groupes terroristes et séparatistes d’étendre leur emprise sur l’ensemble du Nord malien.

La cohabitation dans cette partie du Mali de groupes djihadistes, séparatistes et réseaux de criminalité organisée avait abouti à la prolifération de groupuscules terroristes nés de dissidences au sein d’AQMI (MUJAO) et au sein du MNLA (Ansar Dine). L’opération militaire déclenchée en 2013 par la France, eut l’effet du « coup de pied dans la fourmilière » qui provoque un éparpillement des djihadistes sans pour autant les neutraliser. Aujourd’hui, ils sont de retour sous des appellations et articulations différentes, mais avec des capacités de nuisance toujours considérables.

Parallèlement, l’organisation Boko Haram, née dans les années 2000 au Nigéria s’est étendue à toute la région du Lac Tchad et menace une partie des pays de l’Afrique centrale. Compte tenu de ces éléments, il serait judicieux de dresser un état des lieux permettant de mieux appréhender les développements dans la région ainsi que de poser des hypothèses d’évolution. Ainsi, nous verrons dans un premier lieu la situation dans la région qui se caractérise par une opposition de deux courants idéologiques avant de nous livrer dans un second lieu à formuler des perspectives d’évolution.

I. Forces terroristes en présence : deux courants qui s’opposent

Bien qu’il s’agisse souvent de mouvements autonomes, des groupes extrémistes existent à travers des systèmes d’allégeance qu’ils prêtent à de plus grands mouvements terroristes. Ainsi, deux idéologies extrémistes sont présentes aujourd’hui en Afrique et se partagent le paysage terroriste qui sévit au Sahel avec chacune ses propres objectifs. D’une part, la tendance de l’organisation « Etat Islamique » ou Daech et d’une autre part, la tendance « Al-Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) ».

Si AQMI et l’organisation Etat islamique semblent agir par les mêmes moyens, leurs aspirations politiques sont divergentes et elles sont en compétition pour le leadership en matière de djihadisme. Tandis qu’Al Qaeda vise l’ennemi lointain que représente l’Occident, l’organisation Etat islamique mène plutôt des combats territoriaux contre l’ennemi proche. 

1. L’Etat Islamique : une tactique plus violente combinée à une stratégie plus séduisante

Les répercussions de la crise libyenne se sont répandues au-delà de ses frontières en affectant les pays voisins, notamment le Niger, le Mali et le Nigeria. Des combattants armés rejoignaient le sud de la Libye et un trafic d’armes s’est organisé dans le sud du pays. C’est au nord du Nigeria, au Mali et au Niger que se sont déversés ces éléments qui ont nourri la violence et l’extrémisme. La crise libyenne a également ravivé une rébellion dormante ; celle des Touaregs. 

Par conséquent, des mouvements extrémistes commençaient à proliférer dans la région sahélienne. Des factions s’organisent entre le Maghreb et le Sahel et prêtent allégeance à l’Etat Islamique. Ainsi, ces groupes extrémistes mènent leurs activités au-delà des frontières étatiques traditionnelles.

A ce stade, il serait judicieux de se demander si les conditions de prolifération de l’Etat Islamique au Moyen Orient sont présentes en Afrique et si elles constituent un terrain de prolifération favorable pour l’organisation Etat islamique. 

a- Jund Al-Khilafa fi Ard al-Jazaïr

En 2014, une faction extrémiste algérienne basée dans la région Kabyle se sépare d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) et prête allégeance à l’Etat Islamique, le considérant davantage sur le droit chemin en comparaison à AQMI. C’est ainsi que Jund Al-Khilafa, mouvement distinct de Jund  Al-Khilafa historiquement actif dans la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, voit le jour en Algérie.

Bien qu’elle ne soit pas connue du grand public, l’organisation fait sa première apparition médiatique quelques jours après sa création avec la publication d’une vidéo dans laquelle un otage français est décapité. C’est face au refus des forces françaises de cesser leurs frappes sur les positions de l’Etat Islamique en Irak que Jund Al-Khilafa a commis cet acte.

Jund Al-Khilafa disposait de 30 membres, ce qui ne représente pas une force suffisante pour maintenir ses activités en Algérie. Bien que le groupe soit devenu plus violent depuis qu’il s’est affilié à l’organisation « Etat Islamique », il a progressivement perdu du terrain en Algérie et de facto, vu son impact se réduire. Ce déclin s’est davantage concrétisé suite à l’assassinat d’Abu Doujana, leader du groupe ainsi que d’un autre membre. Par conséquent, la présence et l’influence même de l’organisation « Etat Islamique » s’est affaiblie en Algérie et peut même être vouée à disparaitre du pays.

b- L’Etat Islamique province de l’Afrique de l’Ouest : faction de Boko Haram

En répandant son action en Libye, l’organisation Etat Islamique profite du chaos et s’enracine petit à petit en Afrique. Cette introduction en Afrique lui permettra de séduire d’autres groupes extrémistes en Algérie, Libye, Egypte et Nigéria. Dans le Sahel, Boko Haram, un groupe extrémiste armé basé au Nigéria lui prêtera allégeance pour s’affirmer comme groupe ayant les mêmes objectifs et les mêmes ennemis que l’organisation Etat Islamique. Ce système d’alliance assoit l’expansion de l’organisation Etat Islamique en Afrique et démontre que sa sphère d’action s’étend au-delà du Moyen Orient où elle commence à perdre du terrain.

Après avoir remporté les élections présidentielles, Muhammadu Buhari se fixe comme objectif de mandat de contrer le groupe extrémiste Boko Haram. Un an après son arrivée au pouvoir, le nombre d’attaques s’était fortement réduit bien que Président Buhari n’était pas aux commandes de l’opération la plus lourde.

Boko Haram reflète bien la scission idéologique qui existe entre AQMI et l’organisation « Etat Islamique ». En effet, à sa création en 2002, le groupe prônait l’instauration d’un califat dirigé par la charia. Huit ans plus tard, lorsqu’Abubakar Shekau prend la tête de l’organisation, il est influencé par les thèses d’Al Qaeda, mais aussi par celles de l’organisation « Etat Islamique ». Peu à peu, son groupe se rapproche davantage de l’organisation « Etat Islamique » et lui prête allégeance en mars 2015. Il se surnomme ainsi « État islamique Province d’Afrique de l'Ouest » ce qui lui confère davantage de légitimité. Cependant, plusieurs rumeurs du décès d’Abubakar Shekau ont émergé depuis 2009 qu’il discréditait à travers des vidéos ou des enregistrements prouvant qu’il était toujours en vie. Suite à l’une des annonces de son décès en 2016, l’organisation Etat islamique a remis le leadership de sa Province d’Afrique de l’Ouest à Abu Musab al-Barnawi, ancien porte-parole de Boko Haram. L’organisation Etat islamique critiquait en réalité les méthodes de Shekau, qu’elle jugeait beaucoup trop radicale, en particulier lorsqu’il utilisait des enfants pour des opérations de kamikaze. Suite à cette nomination que Shekau a rejetée, il résulte de Boko Haram deux tendances : celle de Shekau et celle d’al-Barnawi. Ainsi, près de la moitié des membres de Boko Haram avait rallié les rangs de l’organisation Etat islamique en représailles à Shekau qui refusait de se plier aux ordres de l’EI.  Cette situation a grandement contribué à une scission interne de Boko Haram confirmée par Marine Lieutenant General Thomas Waldhauser, nommé pour prendre les commandes de l’US Africom.

c- Etat islamique en Libye

Avec l’avènement du printemps arabe en 2011, la Libye a traversé une crise politique sans précédent. La montée de la violence combinée à un bilan élevé de décès a poussé la communauté internationale à intervenir en se fondant sur le principe de la Responsabilité de Protéger. En revanche, l’intervention n’a pas anticipé les répercussions possibles ce qui a conduit à un chaos dans le pays une fois Mouammar Kadhafi déchu.

Actuellement, la Libye est fragmentée entre cinq entités politiques qui gouvernent chacune une partie du pays. Le gouvernement officiel ne contrôle qu’une petite partie à l’est du pays ainsi qu’une province au nord-ouest. La résolution du conflit est d’autant plus problématique que plusieurs acteurs entrent en jeu ce qui rend difficile toute tentative de négociations.

Fragilisée par les frappes de la coalition internationale, l’organisation Etat Islamique recule en Irak et en Syrie et se propage progressivement vers la Libye. Profitant des conditions de chaos dans le pays, elle multiplie ses actions en Libye en se reposant sur des organisations locales, parmi lesquelles ‘Majlis Choura Chabab al-Islam’, qui lui prêtera allégeance en 2014. Pour l’organisation Etat islamique, cette allégeance revêt d’une importance capitale car la Libye se présente comme la clé de voute pour l’implantation dans le Sahel. Cependant, il serait judicieux de souligner que ‘Majlis Choura Chabab al-Islam’ sont en réalité des combattants provenant de Syrie et qui se sont implantés en Libye. Depuis que le champ politique est libre, la situation a profité à l’organisation ‘Etat Islamique’ (EI) qui a fait de la Libye ses bases arrières après sa défaite progressive en Syrie. L’EI s’est donc installée progressivement dès avril 2016 sur le littoral du pays et plus particulièrement à Syrte. Cette implantation est stratégique de deux points de vue. D’une part, Syrte est à mi-chemin entre Tobrouk et Tripoli où siègent les deux gouvernements opposés et d’autre part, Syrte est à quelques kilomètres des principaux champs pétroliers du pays. Ainsi, l’EI occupe un contrôle central dans le pays et s’y propage en tache d’huile en direction du sud libyen. Aujourd’hui, et en dépit de sa défaite à Syrte, l’Etat Islamique se déploie aussi bien vers le Sud que vers l’Est. Daech espère toujours trouver un allié parmi les factions en conflit en Libye.

Revoir la situation de la Libye et de Daech en Libye 

En mars 2016, l’organisation Etat Islamique lance un assaut contre les forces de l’ordre tunisiennes à Ben Gardane, une ville à 25 kilomètres de la Libye . Cette attaque a permis à l’organisation Etat Islamique de s’affirmer en Tunisie et d’y établir des points de contrôle. Par ailleurs, cette progression en Libye s’est accompagnée d’un flux d’armes et de combattants provenant des fiefs de l’Etat islamique en Iraq et en Syrie.

2- Al Qaeda au Maghreb Islamique : entre influence, scissions et objectifs

a- AQMI 

Au Sahel, AQMI couvre près de huit pays et s’organise autour de quatre Katibat (ou unités opérationnelles) dont la plus active demeure Katibat Al-Furkan. Apparue en 2007 avec l’allégeance de son chef à Ben Laden, AQMI ambitionne d’agir dans l’ensemble du Maghreb Islamique. Pourtant, une contradiction territoriale donne naissance en 2011 au MUJAO, Mouvement Unifié pour le Jihad en Afrique de l’Ouest. Cette organisation s’active principalement au Sud de l’Algérie et au Nord du Mali et vise l’ensemble des pays d’Afrique de l’Ouest. Ainsi, elle vient rectifier la sphère d’action d’AQMI qui prétend agir au Maghreb Islamique, mais qui en réalité, est basée au Mali et plus particulièrement depuis le coup d’état militaire survenu au Mali en mars 2012.

En effet et dès Janvier 2012, le gouvernement d’Amadou Toumani Touré commençait à légèrement perdre le contrôle du pays. Deux mois plus tard, un coup d’état militaire survient dans le pays et conduit à la prise de contrôle du nord du pays par un groupe islamiste armé qui revendiquait son autonomie. Accusé de ne pas avoir été à la hauteur dans la gestion de la crise des rebelles Touaregs, Président Touré est déchu de ses fonctions. Il sera remplacé temporairement par un gouvernement civil intérimaire dirigé par Président Dioncounda Traore. Le pays se fragilise progressivement et se retrouve politiquement divisé entre le Nord, revendiqué par le mouvement de l’Azawad en Avril 2012, et le sud, sous contrôle du gouvernement. A cela s’ajoutait la rébellion Touaregs elle-même scindée entre rebelles et partisans du mouvement de l’Azawad. Face à cette situation, près de 75 000 maliens se sont réfugiés en Mauritanie entre autres dans le camp de Mbera tandis que 50 000 autres ont rejoint le Niger pour échapper à la guerre. Cette perturbation politique va libérer du terrain pour AQMI qui, en 2015, revendique deux attaques au Mali : à Nampala le 5 Janvier, et à l’hôtel Radisson Blu à Bamako le 23 Novembre. Elle continue de perpétrer des attaques dans le nord du Mali contre des agents de la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali), de la Croix Rouge ou encore des soldats maliens ou de l’opération Barkhane.

Eu égard du rythme des attaques, il serait légitime de se demander si AQMI n’est pas progressivement en phase de devenir la version malienne de Boko Haram. En marge d’AQMI en tant qu’organisation, deux mouvements extrémistes, Ansar Dine et Al Mourabitoun ont prêté allégeance à AQMI et lui fournissent un support logistique.

b- Al Mourabitoun - Al Qaeda en Afrique de l’Ouest

Composé d’une force de 100 hommes issus des Touaregs et des Arabes du Mali ainsi que d’autres pays (Algérie, Tunisie…), les ‘Al Mourabitoun’ représentent une branche d’Al-Qaeda en Afrique de l’Ouest. Ne se pliant pas aux exigences de territorialité, ils sont actifs dans six pays que sont l’Algérie, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Libye, le Mali et le Niger. Leur leader, Mokhtar Belmokhtar, avait déjà accumulé des fonctions précédentes dans des groupes extrémistes avant de fusionner avec la MUJAO (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest) pour créer les Al Mourabitoun. Ainsi, il cherche à mettre en œuvre son expérience - accumulée notamment auprès du GIA puis du GSPC algériens avant de rejoindre Al-Qaeda – pour s’implanter hors d’Algérie. Il sera d’ailleurs le premier homme d’AQMI qui réussira à s’établir dans la région sahélienne.

Après la création d’Al Mourabitoun, un désir de légitimité pousse le groupe à prêter allégeance à une organisation plus reconnue à l’échelle internationale. C’est dans cette foulée que le groupe se divise entre Adnan Abu Walid Sahraoui (ancien porte-parole de la MUJAO) qui prête allégeance à l’Etat islamique et Belmokhtar qui refuse de reconnaitre cette allégeance en stipulant qu’elle n’a pas été validée en amont. Il en résulte une séparation entre les deux groupes qui débouche sur une allégeance d’Al Mourabitoun à AQMI en 2015. Depuis sa création, le groupe compte à son actif six attaques dont Bamako, Ouagadougou et Grand Bassam.

c- Le MUJAO

Depuis la dissidence avec Belmokhtar, il ne reste que des débris du MUJAO dont le leader, Adnan Abu Walid Sahraoui, a prêté allégeance à l’organisation Etat islamique. Il rebaptise son groupe Etat islamique au Sahara sans pour autant obtenir la reconnaissance de l’organisation. Son groupe ne revendiquera qu’une seule attaque depuis son allégeance à l’organisation Etat islamique : une attaque au Burkina Faso en septembre 2016.

d- Ansar Dine

Dans la foulée des perturbations politiques qui se sont emparées du Mali en 2012, Ansar Dine voit le jour. Composé de combattants du Mali, de l’Algérie et du Nigéria, ce mouvement basé au nord du pays a pour principal objectif d’instaurer la loi de la Sharia. Son leader, Iyad Ag Ghaly, est une ancienne figure politique touareg ayant été écarté du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA). Etant le cousin d’un membre d’Al Qaeda, le mouvement a souvent été associé à AQMI.

En 2012, lorsque les militaires, insatisfaits d’Amadou Touré le renversent par un coup d’Etat, Ansar Dine et le MNLA profitent du vide politique pour prendre le contrôle de trois villes stratégiques Kidal, Gao, and Timbuktu où Ansar Dine instaure strictement la loi de la Sharia. Ansar Dine avait une vocation idéologique plutôt que territoriale dans la mesure où le groupe voulait instaurer la Sharia dans l’ensemble du pays. Le MNLA en revanche, était un mouvement à vocation ethno-politique et territoriale puisqu’il voulait obtenir l’indépendance de l’Azawad, un territoire situé dans le nord du Mali et qui représente près du 2/3 du pays. Bien que les deux mouvements aient signé un pacte pour la création d’un Etat islamique au Mali, ils y renoncent en raison de divergences idéologiques. Ils entrent en guerre dans la bataille de Gao et Timbuktu où Ansar Dine et le MUJAO, après avoir remporté la bataille, mettront fin à l’existence de l’Azawad, Etat auto-proclamé par le MNLA.

D’Ansar Dine émergeront principalement trois autres factions ou katibat : Ansar Charia ou Ansar Dine Nord, le Front de Libération du Macina ainsi qu’Ansar Dine Sud. Ces factions coopérant entre elles démontrent de la croissante influence du mouvement au Mali, ce qui poussera le gouvernement de transition à demander le soutien de l’ECOWAS pour mettre fin à la crise alimentée par les violences.

II- Dynamiques idéologiques, luttes des Etats et perspectives d’évolution 

Au regard du paysage dressé en première partie, il semble judicieux de se pencher dans cette seconde partie sur les perspectives d’évolution des groupes terroristes dans la région. En effet, celles-ci  dépendent principalement d’éléments que nous allons étayer sous forme de trois parties. Dans un premier temps, nous allons nous intéresser à la relation entre les groupes terroristes avant d’étudier dans un second temps la relation entre les groupes terroristes et le crime organisé. Enfin, nous verrons comment les Etats s’organisent pour lutter contre ce phénomène et à grâce à quelles capacités.

1. Les relations entre groupes terroristes

a- La tendance à la multiplication des groupes

En 2007, lorsque le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) prête allégeance à Al-Qaïda, toute la région du Sahel à l’Atlantique ne connaissait que les trois groupes terroristes suivants :

- Le GSPC qui, en prêtant allégeance à Al Qaeda est devenu sa branche au Maghreb Islamique (AQMI) ;

- Boko Haram qui avait fait son baptême du feu terroriste depuis 2002 ;

- Les tribunaux islamiques en Somalie, qui vont par la suite donner naissance aux Shebbab.

La région sahélienne va connaître par la suite une prolifération de groupes et groupuscules par le biais de deux éléments. Soit par dissidence au sein des anciennes organisations ou encore par désir d’autonomie du fait de petites structures qui appartenaient à ces organisations qui s’en sont graduellement détachés. C’est ainsi que l’on assiste à  une dissidence au sein d’AQMI suite à laquelle le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) verra le jour. Par ailleurs, une dissidence au sein du MNLA donnera naissance à Ansar Dine. On observe également une autonomie graduelle de la Katiba des « Enturbannés » qui changera de nom au profit des « Signataires par le Sang ». Cette dernière va s’allier au MUJAO pour devenir Al Mourabitoun avant de se transformer en « Al Mourabitoun-Al-Qaeda en Afrique de l’Ouest ». Cependant, certains déçus de l’alliance entre Belmokhtar et le MUJAO continuent à agir sous leur ancienne appellation, et une poignée de combattant d’Al Mourabitoun agissent sous la conduite d’Abou Walid Sahraoui sous la bannière de Daech. Du côté de Boko Haram, le groupe voit ces derniers temps son ancien leader Youssoufou, avec une partie des combattants revenir sur son allégeance à Daech, alors que l’autre partie reste fidèle au soi-disant Etat Islamique sous la conduite d’al-Barnawi, leader désigné par Daech.

Parvenus à ce stade de réflexion, il serait pertinent de se demander si cette tendance à la prolifération des groupes va continuer ? Constitue-t-elle une tendance lourde du terrorisme en Afrique et au Sahel ou s’agit-il de tourments conjoncturels ? D’une part la première constatation nous montre que les dissidences, principal facteur de naissance de nouveaux groupes, va de pair avec l’élargissement de l’espace infecté par le phénomène terroriste. Ainsi, une plus large extension en Afrique de l’Ouest (le Sénégal, la Côte d’Ivoire et d’autres pays) ou même vers l’Afrique centrale pourrait donner naissance à des groupes qui,  bien que tournant dans le giron d’Al Qaeda et dans une moindre mesure de l’Etat islamique, se feront prévaloir de certaines spécificités locales, telle que la jonction avec des mouvements séparatistes à l’image d’Ansar Dine. D’autre part, le rassemblement des Etats au sein de structures qui renforcent leurs capacités à lutter contre le terrorisme pourrait pousser les groupes terroristes à plus de mutualisation de leurs effectifs et de leurs moyens pour augmenter leurs capacités de nuisance. Cette mutualisation ne s’exprimerait certainement pas par un rassemblement des djihadistes pour constituer une seule structure combattante (ils sont conscients qu’ils doivent garder le caractère asymétrique de leurs guerres), mais se manifesterait surtout par des appuis logistiques et des fournitures d’abris ou de formation. 

b- Une tendance à la domination d’Al Qaeda

Le soi-disant Etat Islamique avait profité des périodes de succès qu’il avait enregistrés au Moyen-Orient pour attirer dans son giron plusieurs combattants et groupuscules de la région du Sahel. On note ainsi que

- Boko Haram avait annoncé son allégeance à Daech en 2015, au moment où elle avait été boutée hors de son territoire au nord du Niger ;

- Une petite faction d’AQMI en Algérie avait également annoncé son adhésion au projet de Daech sous la dénomination de Jund Al Khilafa ;

- Une autre mini-faction d’Al Mourabitoun sous la conduite d’Abou Walid Sahraoui avait également prêté allégeance au proto-Etat Islamique.

Ces adhésions à l’organisation auto-proclamée Etat, se sont multipliées durant l’année 2015, au même moment où les groupes relevant d’Al Qaeda, étaient encore sous les effets des opérations Serval et Barkhane qui les avaient éparpillés à travers le désert du Sahel. C’était également les moments où Daech connaissait son apogée et multipliait les acquisitions de territoires.

Dès 2016, l’essoufflement des interventions françaises et africaines et les premières défaites du soi-disant Etat Islamique notamment dans la province d’Al Anbar vont permettre :

- D’une part, le retour en force et la réorganisation des groupes pro-Al Qaeda dans le Sahel ;

- Et d’autre part, le coup d‘arrêt au mouvement d’adhésion à Daech des groupuscules sahéliens.

Al Qaeda semble aujourd’hui reprendre en main le Sahel. AQMI, Al Mourabitoun, Ansar Dine, les Shebbab et une partie de Boko Haram sont restés fidèles à Al Qaeda. Quant à Daech, elle a aujourd’hui perdu son bastion de Syrte et une bonne partie des effectifs parmi les rangs de Boko Haram. De plus, on entend de moins en moins parler des mini-groupes qui lui avaient prêté allégeance tel que celui d’Abou Walid Sahraoui ou Jund Al Khilafa.

Force est de constater que la tendance Al Qaeda l’emporte aujourd’hui au Sahel et risque de renforcer davantage en raison de plusieurs facteurs. Premièrement, l’un des moteurs principaux de l’idéologie de Daech qui est le conflit sunnites/chiites n’a pas de pertinence au Sahel. L’idée de Califat en Afrique du nord et au Sahel renvoie davantage au Calife Ottoman comme le croit Al Qaeda et non au Calife Abbasside comme le croit Daech. Enfin, il est plus facile pour les combattants terroristes étrangers qui reviendront après la défaite de Daech en Syrie et en Irak de rejoindre Al Qaeda que de reconstituer Daech au Sahel.  

2. La relation entre les groupes terroristes et le crime organisé : L’hybridation

L’hybridation dans le sens commun est le croisement de deux races ou de deux espèces. Elle unit donc deux éléments ayant chacun ses propres spécificités. L’hybridation entre le crime organisé et le terrorisme est en fait le croisement entre deux phénomènes dont l’un à pour motivation le profit matériel et pécuniaire et dont l’autre est motivé par des considérations politiques et idéologiques. Le phénomène qui en naitra lorsque le croisement déjà remarqué, mais pas encore entièrement consommé au Sahel- arrivera à maturité emprunterait à chacun de ses parents les caractéristiques qui en faisaient le danger. Au crime organisé, il emprunterait les modes de chantage, de corruption de prévarication des sociétés, de falsification et toute la pratique mafieuse et, au terrorisme, il empruntera la violence, la sauvagerie les modes de recrutement et de conviction. Le phénomène qui est en train de se développer de l’Hybridation Terrorisme /Crime organisé sera aussi intelligent que barbare et aussi fourbe qu’atroce.

Le Sahel est aujourd’hui l’un des espaces où cette hybridation trouve le maximum de conditions pour se développer. Les itinéraires et pistes dans les ergs et déserts du Sahel sont empruntés aussi bien par les terroristes que par les réseaux criminels. La ville d’Agadez au Niger est connue pour être le carrefour et l’escale forcée de tous les trafiquants et contrebandiers. Elle est aussi le lieu d’approvisionnement des groupes terroristes et de rencontre entre leurs différents messagers.

De plus, plusieurs tribus qui s’adonnent aux divers trafics préfèrent assurer leur protection par les groupes terroristes armés que par les forces officielles de sécurité. Les terroristes se contentent de se faire payer pour la protection qu’ils accordent alors que les services officiels ont de temps à autre tendance à leur demander des comptes. Pour les réseaux de crime organisé et les tribus qui vivent des activités illicites, la présence des terroristes est plus souhaitée que celle des Etats.

De ces simples services mutuellement rendus, et de la proximité sur le terrain nait une interdépendance entre les groupes terroristes (souvent fournie en argent, en véhicules et en vivres par les réseaux mafieux) et ces réseaux de criminalité transnationale (souvent sécurisés sur les itinéraires de leurs trafics par les groupes terroristes).

Plus cette relation se renforce et plus on voit se renforcer l’hybridation du terrorisme pour devenir une activité également mafieuse et celle du crime organisé qui aura lui-même recours aux méthodes terroristes pour affronter les services de sécurité des Etats. Autrement, la tendance chez les terroristes deviendrait d’avoir leurs propres réseaux de trafic et chez les trafiquants d’avoir leurs propres groupes armés terroristes. Chacune des activités cherchera à fructifier ses investissements en s’hybridant.

3. Lutte des Etats contre les groupes terroristes : entre éradication et endiguement

Les Etats victimes d’actes terroristes étant parfois incapables d’assumer la responsabilité en termes de défense et de sécurité de leurs citoyens laissent place à d’autres acteurs pour intervenir et tenter de rétablir l’ordre. Le Sahel a connu des interventions diverses fussent-elles initiées par des Etats ou encore supervisées par des institutions régionales ou internationales.

La France est historiquement présente dans la région pour préserver ses intérêts stratégiques. Depuis 1986, elle est militairement présente au Chad à travers l’opération Epervier qui s’est terminée en 2014. Elle est également intervenue au Mali en Janvier 2013 à la demande du gouvernement et faisant suite à la résolution 2085 du Conseil de Sécurité de l’ONU afin de contrer l’extrémisme qui se propageait au Nord du Mali. L’opération Serval a globalement été considérée comme un succès dans la mesure où elle a permis de prévenir l’extension des djihadistes. Dès janvier 2013, les troupes françaises ont pu reprendre Gao et Timbuktu, puis, à la fin du mois, ont pu entrer à Kidal qui était la dernière ville principale contrôlée par les rebelles. Cependant, elle n’a pas su remédier aux causes sous-jacentes du phénomène. C’est dans cette optique que la France a déclenché l’opération Barkhane dans le Sahel en 2014. Mobilisant une troupe de 3000 hommes, elle concentre son action dans le Nord du Mali ainsi qu’au Chad. Afin de mener à bien ses objectifs, la France repose sur son partenariat stratégique avec les pays du G5 Sahel. S’allier avec les pays de la région est un choix réfléchi étant donné qu’il protège plus ou moins de toute accusation d’ingérence française.

Le président français s’est rendu le 14 mai 2016 à Abuja au Nigéria pour participer au Sommet Régional sur la Sécurité qui a connu la présence d’autres chefs d’Etat du Sahel. L’une des conclusions principales du sommet est la lutte contre Boko Haram dans la province du Nord Est du Nigeria ainsi que dans le bassin du lac Chad. De plus, sa participation laisse présager la signature d’accords avancés de défense suite à des discussions entre les deux présidents.

Si l’on s’intéresse aux Etats-Unis comme acteur dans la région, le constat que l’on peut faire est que la relation avec le contient est traditionnellement fondée sur une coopération principalement à caractère sécuritaire. Les Etats-Unis ne possèdent pas de prétention hégémonique dans la région et n’ont commencé à s’y intéresser que dans les années 1990 car ils n’y voyaient pas d’intérêt stratégique auparavant. Ils considèrent qu’il revient à l’Europe la responsabilité d’assurer la stabilité dans la région. C’est dans cette optique qu’ils s’allient avec la France pour mener une lutte contre AQMI et Boko Haram en mettant à disposition une troupe de 8500 hommes. L’alliance avec la France permet aux Etats-Unis de s’impliquer indirectement dans la région et de ne pas reproduire les erreurs du passé. Toujours est-il, les Etats-Unis disposent d’une troupe d’intervention rapide basée en Espagne qui leur permet d’intervenir en Afrique du Nord ou au Sahel si le besoin se présente. Ils disposent également de l’Africom basée en Allemagne et destinée à intervenir en Afrique, mais également à assurer la coordination avec les organisations régionales.

Les Etats du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, mettent parfois au point des forces conjointes pour combattre le terrorisme, soit dans le cadre d’initiatives de l’Union Africaine ou de l’ONU. C’est le cas de la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA) par exemple. Dans d’autres occasions, ils montent ces forces sur simples initiatives de quelques pays tels est le cas de la Force Mixte Multinationale (FMM) entre le Nigéria, le Niger, le Tchad et le Cameroun pour combattre Boko-Haram.

Cependant, le Maroc commence à occuper une place considérable dans la région sur le plan économique, culturel, religieux et sécuritaire. Ainsi, les Etats-Unis entretiennent une relation privilégiée de coopération sécuritaire avec le Maroc dans la région. En novembre 2013, le Maroc a abrité la 2e conférence ministérielle régionale sur la sécurité des frontières à laquelle les Etats-Unis étaient aussi présents aux côtés des pays de la région sahélo-saharienne. Dans la ‘Déclaration de Rabat, les pays représentés à la conférence se sont accordés pour la création d’un Centre Régional de formation et d'entrainement à la sécurité des frontières qui ferait face à la menace djihadiste.

En conclusion, il serait analytiquement téméraire d’avancer une issue à l’évolution du terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest et Centrale du moins sur le long et moyen terme pour plusieurs raisons. D’un côté, le démantèlement de Daech et les retours annoncés des combattants maghrébins et les quelques Africains qui combattent dans ces rangs est un facteur à prendre en considération. Les vétérans maghrébins de Daech et de Jabhat Annousra seront plus enclins à retourner en Libye ou dans le Sahel que dans leurs pays respectifs ou dans un autre foyer de tension. Qu’ils optent pour une reconstitution de Daech en Afrique ou le retour à Al Qaeda serait un élément déterminant du futur visage du terrorisme au Sahel.

La résolution de la question libyenne est également une question influente sur les développements du terrorisme au Sahel. Plus la solution tarde à venir et plus le terrorisme s’enracine dans le pays et renforce les développements futurs du fléau dans la région du Sahel. L’évolution de l’initiative du G5 Sahel destinée à combattre le terrorisme est également un facteur marquant. Les aides de l’Union européenne et des Nations Unies tentent de faire avancer le projet pour en faire une véritable force de frappe contre le terrorisme au Sahel. Néanmoins, ne faudrait-il pas, pour plus d’efficacité, dégager certains nuages en faisant participer certaines forces régionales disposant de plus de moyens ?

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