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La voie vers Marrakech : Quelles priorités pour la COP22 ?

Laura El Katiri | September 07, 2016

Les changements climatiques sont devenus une composante de plus en plus intégrante de notre réalité. Au cours des prochaines décennies, et bien plus que nous pouvons l'imaginer, le réchauffement planétaire aura une incidence sur notre développement socioéconomique, sur la santé humaine, la disponibilité de notre nourriture et nos ressources en eau, ainsi que nos écosystèmes et notre faune. Adopté l'année dernière en décembre lors de la 21ème session de la Conférence des parties (COP 21) par les 196 parties (195 pays et l'Union européenne) signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), l'Accord de Paris constitue, de l'avis de beaucoup d'observateurs, un tournant décisif dans les efforts mondiaux visant à atténuer les changements climatiques, et à préparer les sociétés par le biais de mesures propres à renforcer leurs capacités d'adaptation face aux conséquences négatives que nous aurons probablement à affronter continuellement, même si les efforts d'atténuation parviennent à restreindre le réchauffement climatique dans la limite de l'objectif de moins de 2 °C.

Avec la COP 22, prévue en novembre 2016, les parties à la CCNUCC se retrouveront dans le cadre de leur prochain cycle de négociations à Marrakech, marquant la tenue de la Conférence pour la deuxième fois au Maroc. On ne saurait sous-estimer l'importance cruciale que revêt cette réunion pour les travaux qui font suite à ceux de Paris: Marrakech sera le moment de déblayer le terrain pour la mise en œuvre de l'Accord de Paris, à travers la mise en place de mécanismes et de modalités qui feront que l'Accord devienne opérationnel. Parmi les principales questions à aborder à Marrakech – outre la transparence des données, le renforcement des capacités, et l'octroi aux pays en développement du financement pour la lutte contre les changements climatiques – figurera donc également la question fondamentale du timing. Eu égard au progrès considérable réalisé au niveau de la ratification de l'Accord de Paris cette année, une question fondamentale de la prochaine réunion concernera évidemment la date à laquelle l'Accord deviendra probablement opérationnel – il serait faisable, en principe, de rapprocher le délai initial de 2020 à une date antérieure, en phase avec ces récents développements. Pour que l'Accord de Paris puisse entrer en vigueur, il est nécessaire de procéder à sa ratification par 55 pays signataires qui représentent 55% des émissions de gaz à effet de serre. Au moment de la rédaction de cet article, 57 pays ont exprimé leur intention de ratifier l'Accord avant la fin de 2016.

Marrakech ramène également les négociations sur le climat à une région qui est elle-même très vulnérable au réchauffement planétaire, mais elle a aussi beaucoup à gagner de la mise en œuvre réussie de l'Accord de Paris. Le Maroc a lui-même augmenté considérablement sa capacité de production des énergies renouvelables au cours des dernières années et constitue un modèle qui pourrait s'avérer attrayant pour d'autres pays de l'Afrique du Nord, mais aussi sub-saharienne. Le Maroc a aussi pour particularité de disposer d'excellentes perspectives dans des régions dotées d'importantes ressources énergétiques propres, telles que l'énergie solaire (ESC) dans le cas de l'Afrique du Nord, lui permettant d'apporter une contribution significative à la réduction des émissions à moyen et à long termes, à condition de mettre en place les incitations appropriées et de réduire les obstacles à l'investissement dans les technologies d'énergie renouvelable. Chose importante au chapitre du développement et à plus long terme, il pourrait y avoir des retombées économiques importantes pour l'ensemble des acteurs, pourvu que l'on fasse en sorte que Marrakech soit une occasion pour offrir aux pays en développement les possibilités d'investir dans les technologies d'atténuation des changements climatiques, et renforcer le transfert de technologie vers ces pays. Ce Policy Brief examine quelques-uns des principaux points à l'ordre du jour de la voie de Marrakech.

Cinq priorités pour la COP 22

1. Améliorer l'action climatique

La réussite de l'Accord de Paris repose essentiellement sur la mise en œuvre d'actions concrètes en faveur du climat, c'est à dire donner effet à l'Accord de Paris mais aussi trouver des moyens qui permettent à ses signataires d'atteindre de manière réaliste leurs propres objectifs, voire les surpasser. Ce n'est pas une tâche facile, en particulier dans les pays en développement, au-delà de ceux qui font les manchettes. Pays hôte de la COP cette année, le Maroc incarne les vulnérabilités non seulement de nombreuses parties du monde arabe, mais aussi des pays développés et en développement, à l'égard des changements climatiques dans leurs diverses manifestations, notamment les températures et les précipitations encore plus extrêmes, la fréquence plus accrue des sécheresses, l'acidification des océans, et l'élévation du niveau de la mer, sans omettre les conséquences qui en découlent pour la vie humaine, telles que la dégradation des sols et des ressources hydriques, le stress dû à la sécheresse dans les régions déjà exposées à la sécheresse comme l'Afrique, la baisse des rendements culturaux, la recrudescence des dégâts causés par les parasites et les maladies, et les effets des inondations sur les systèmes et les infrastructures alimentaires, parmi tant d'autres. En outre, une étude récente a démontré encore plus le lien entre les catastrophes naturelles causées par le changement climatique et les conflits violents, et cela souligne davantage l'urgence de la cause de l'atténuation des changements climatiques et d'adaptation à travers le monde.

Une pression supplémentaire découle des contraintes de temps et du retard pris aux niveaux nationaux dans l'avancement des mesures de l'Accord de Paris en faveur du climat, alors que les modalités de l'Accord sont encore à déterminer au cours des prochains cycles de négociations. Le fait de retarder les efforts d'atténuation en particulier est de nature à augmenter les coûts d'atténuation à moyen et à long termes, c'est à dire une situation sans issue favorable compte tenu des défis parallèles qui consistent à accélérer l'action climatique et veiller en même temps à ce que toutes les parties de la CCNUCC conviennent du moindre aspect des modalités opérationnelles qui doivent faire partie de l'Accord. Marrakech sera donc un terrain d'essai pour outiller et pousser les pays à prendre des mesures climatiques au cours de la période d'avant 2020, à savoir avant l'entrée en vigueur de l'Accord.

Atténuation des changements climatiques. L'atténuation des changements climatiques est au cœur de l'Accord de Paris: le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) définit l'atténuation comme une intervention anthropique pour réduire les sources ou augmenter les puits de gaz à effet de serre. Les signataires de l'Accord ont soumis leurs contributions déterminées au niveau national (CDN) dans le cadre des préparatifs de la réunion, et se sont ainsi engagés à réduire leurs émissions de GES à un certain niveau par diverses actions. Toutes les parties doivent désormais préparer, communiquer et maintenir les CDN qui devraient constituer, au fil du temps, une progression par rapport à leurs cibles initiales (article 4.4). Les CDN sont des mesures d'atténuation et des objectifs de limitation des émissions qu'un gouvernement national envisage d'adopter. Toutes les parties doivent également faire rapport tous les deux ans à la CCNUCC sur leurs émissions nationales et les progrès qu'elles ont réalisés dans la mise en œuvre de leurs mesures d'atténuation nationales, dont l'évaluation se fera multilatéralement. Il s'agit d'un défi de taille pour de nombreux pays, et cela nécessite une capacité institutionnelle spécialisée, chargée de la collecte et de la communication de données, mais aussi, et de même importance, l'élaboration et la mise en œuvre des stratégies nationales visant à réduire systématiquement l'intensité des émissions de leurs économies, au fil du temps.

En tant que pays hôte de la COP 22 de cette année, le Maroc illustre de manière exemplaire les défis, mais également les opportunités liées à la traduction des objectifs climatiques en actions quantifiables. En septembre 2015, la France et le Maroc ont lancé et signé l'“Appel de Tanger” sur le changement climatique, à savoir un bref manifeste qui exprime leurs préoccupations communes à l'égard des nombreux impacts négatifs du changement climatique, et appelle à l'accélération de la transition vers une “économie verte mondiale”. Le Maroc a inscrit le développement durable dans sa Constitution de 2011 comme un droit fondamental pour tous les citoyens, et a adopté la Charte nationale pour l'environnement et le développement durable. Bien que ces mesures, parallèlement à la signature et à la ratification de l'Accord de Paris, constituent des conditions-cadres importantes pour l'action climatique, elles ne correspondent pas, en fait, à des plans d'action concrets, laissant aux gouvernements et à leurs citoyens le soin de voir comment aller de l'avant à partir des cibles initiales.

Le Maroc a également présenté ses propres CDN, aux côtés de 168 autres pays. Le profil de ce pays en matière d'émissions n'a cessé d'augmenter, tout comme l'intensité des émissions – et l'intensité énergétique par rapport à son PIB – une tendance observable aussi dans d'autres parties de la région d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient dans son ensemble. Le Maroc a donc lié ses objectifs d'atténuation à la transformation de son secteur énergétique- sa principale source d'émissions de GES- bien qu'avec d'importantes interventions dans d'autres secteurs comme l'agriculture, l'eau, les déchets, les forêts, l'énergie, l'industrie et le logement (voir Encadré 1). Le Maroc envisage également d'élaborer un plan national de lutte contre les polluants climatiques de courte durée (PCCD), avec le soutien de la Coalition pour le Climat et l’Air pur. Dans le cadre de ce processus, le Maroc vise à réaliser l’inventaire des émissions de ces polluants de courte durée et à évaluer les avantages de les réduire pour le climat, la santé et la production agricole. La réduction des PCCD, à savoir le carbone noir, le méthane, l'ozone troposphérique, et les hydrofluorocarbures, est essentielle pour ralentir le rythme du réchauffement planétaire à court terme.

Encadré 1. Objectifs d'atténuation du Maroc, tels que présentés dans le cadre de ses CPDN à la CCNUCC, en juin 2015

“L’engagement du Maroc est de réduire ses émissions de GES en 2030 de 32% par rapport aux émissions projetées pour la même année selon un scénario “cours normal des affaires”. Cet engagement ne sera atteint qu’à condition que le Maroc ait accès à de nouvelles sources de financement et un appui additionnel par rapport à celui reçu au cours des dernières années, dans le cadre d’un nouvel accord contraignant sous l’égide de la CCNUCC. L’effort que le Maroc devra consentir pour atteindre cette ambition nécessite un investissement global de l’ordre de 45 milliards dollars, dont 35 milliards sont conditionnés par un appui international grâce aux nouveaux mécanismes de la finance climat dont le Fonds Vert pour le Climat.”

Objectifs d'atténuation

- Objectif inconditionnel: Une réduction de 13 % des émissions de GES à l'horizon 2030 par rapport au scénario "cours normal des affaires" (CNA);
- Objectif conditionnel: Une réduction additionnelle de 19% réalisable à certaines conditions, ce qui porterait à 32% la réduction totale des émissions de GES en deçà des émissions selon le scénario CNA en 2030.

Trajectoires escomptées des émissions

- Atteindre 113 Mt éq‐CO2 en 2020 et 129 Mt éq‐CO2 en 2025, soit des réductions respectives de 7% et 10% par rapport aux émissions anticipées selon le scénario CNA en 2020 et 2025;
- 103 Mt éq‐CO2 en 2020 et 104 Mt éq‐CO2 en 2025, soit des réductions respectives de 16% et 27% par rapport aux émissions anticipées selon le scénario CNA en 2020 et 2025.

Objectifs spécifiques du secteur de l'énergie

- Réaliser 42 % de la puissance électrique installée à partir de sources renouvelables (dont 14% en énergie solaire, 14% en énergie éolienne et 14% en énergie hydraulique) d’ici 2020;
- Réaliser une économie d’énergie de 12% d’ici 2020 et 15% à l'horizon 2030, par rapport à l’évolution tendancielle;
- Réduire la consommation d'énergie dans les bâtiments, l'industrie et le transport de 12% à l’horizon 2020 et 15% en 2030;
- Installer à l’horizon 2030 une capacité supplémentaire de 3 900 MW en technologie de cycle combiné fonctionnant au gaz naturel importé;
- Augmenter de façon substantielle l’utilisation du gaz naturel grâce à des projets d’infrastructures permettant l’importation de gaz naturel liquéfié.

Source: CCNUCC (2015)

 

En outre, il existe d'importantes opportunités liées aux mesures d'atténuation qui visent, non seulement à réduire l'empreinte carbone à long terme des pays, mais peuvent aussi contribuer de manière significative à la croissance économique, au développement socio-économique, et à un meilleur accès aux opportunités. Ces concepts concernent, entre autres:

- L'investissement dans l'infrastructure publique et les transports, contribuant de la sorte à l'éco-mobilité, y compris dans le transport urbain-rural;
- Une planification urbaine durable et résiliente, y compris des incitations à l'investissement public et des réformes réglementaires visant à normaliser les parcs immobiliers urbains et à améliorer l'accès à l'énergie propre, y compris aux plus pauvres;
- Un aménagement du territoire respectueux du climat, une gestion plus systématique des ressources naturelles dans le cadre de la corrélation eau-alimentation-énergie-environnement; et
- Une croissance “verte” globale, y compris, le cas échéant, la création de centres novateurs et compétitifs de technologie et de recherche, ce qui peut contribuer, à son tour, à la création d'emplois pour les nouvelles générations d'une jeunesse instruite, notamment dans de nombreuses parties du monde en développement.

La conceptualisation d'un développement soucieux de la protection du climat, en tant qu'opportunité économique d'aujourd'hui et à l'avenir, plutôt qu'un simple moyen de comptabiliser les émissions de GES, constituera un outil majeur pour aider les pays à concilier les objectifs climatiques avec les priorités de développement, ici et maintenant.

Certains systèmes et concepts existants que l'on pourrait utiliser dans leur format actuel ou adapté pour promouvoir l'atténuation du changement climatique seront probablement négociés davantage à Marrakech et lors des rencontres ultérieures. Il s'agit, entre autres, de l'échange de droits d'émission qui constitue une composante essentielle du Protocole de Kyoto - utilisé en fait dans le Système européen d'échange de quotas d'émission (SEQE), certains systèmes régionaux aux États-Unis et des systèmes pilotes en Chine. Ils comprennent également les projets de la Mise en œuvre conjointe (MOC) et du Mécanisme pour un développement propre (MDP), tous prévus dans le Protocole de Kyoto, et le dernier ayant financé divers projets dans des pays en développement, y compris au Maroc et dans le reste du monde arabe. À l'instar de nombreux autres pays en développement, le Maroc a spécifiquement ajouté à ses objectifs d'atténuation un ensemble d'objectifs conditionnels, soulignant clairement le besoin d'un financement climatique suffisant pour atteindre des objectifs plus ambitieux (Encadré 1).

D'autres systèmes n'ont pas encore été abordés, mais pourraient figurer à l'ordre du jour des débats sur les mesures appropriées au niveau national, telles que les plafonds d'émissions de carbone, et la réforme des subventions nationales aux carburants et à l'électricité. Marrakech pourrait également fournir l'occasion de discuter de l'utilisation future de ces mécanismes et d'explorer de futurs programmes susceptibles d'aborder les très nombreuses circonstances nationales dans la prise en charge du fardeau financier de la transition climatique entre les différents acteurs.

Adaptation aux changements climatiques. Les stratégies d'adaptation constituent l'autre domaine essentiel dans lequel le travail des prochaines années sera crucial pour réduire la vulnérabilité des pays au changement climatique, dans toutes les régions du monde. Les mesures d'adaptation visent à réduire la vulnérabilité et à faciliter l'adaptation au climat prévu et ses effets. Il s'agit d'une tâche de suivi qui englobe un large éventail de politiques qui sont fortement spécifiques au contexte géographique et socio-économique de chaque pays, allant de la gestion des risques de catastrophe, jusqu'aux ajustements des infrastructures et des technologies (publiques), en passant par la gestion du littoral et des ressources hydriques, la protection de l'environnement et l'aménagement du territoire, la gestion de la conservation, le reboisement, et le travail communautaire. L'Accord de Paris prévoit que chaque parties à la CCNUCC “entreprend, selon qu'il convient, des processus de planification de l'adaptation et met en œuvre des mesures” (article 7.9), et communique une contribution déterminée au niveau national tous les cinq ans (article 4.9).

Pays hôte de la COP 22, le Maroc a intégré une série d'objectifs stratégiques dans ses CPDN qu'il a présentés en juin 2015 (voir Encadré 2), dans le cadre des mesures d'adaptation pour la période 2020-2030. Près des deux tiers des dépenses afférentes au climat que le pays a consentis, soit environ 9% des dépenses d'investissement globales de l'État en 2005-2010, ont été consacrés aux mesures d'adaptation. Il s'agit d'une allocation d'investissement qui démontre, selon les CPDN du Royaume, “l’ampleur des enjeux pour la société marocaine.”

Encadré 2. Plans d'adaptation du Maroc (extraits) tels qu'ils ont été soumis à la CCNUCC en juin 2015 dans le cadre de ses CPDN

Les objectifs à l’horizon 2020:

- Substitution des prélèvements (85 millions de m3/an) à partir des nappes surexploitées par des prélèvements à partir des eaux de surface;
- Augmentation de la superficie actuelle sous irrigation localisée de 154.000 ha actuellement à 555.000 ha;
- Reconstitution des forêts sur 200 000 ha.

Les objectifs à l’horizon 2030:

- Dessalement pour l’alimentation en eau potable de plusieurs villes et centres;
- Réutilisation des eaux usées épurées;
- Construction de 38 nouveaux barrages et réalisation de l’inventaire et du traitement de tous les sites vulnérables aux inondations;
- Raccordement au réseau d’assainissement et épuration des eaux usées à 100% en milieu urbain;
- Épuration de 100% des eaux usées;
- Économie de 2,4 milliards de m3/an d’eau en irrigation;
- Reconversion de près d’un million d’hectares de céréales vers les plantations fruitières pour protéger les espaces agricoles de l’érosion;
- Traitement contre l’érosion (1.500.000 ha sur une période de 20 ans).

Source: CCNUCC (2015)

 

En effet, l'ampleur du défi est significative, non seulement en raison de la complexité de l'adaptation - à déterminer pour chaque contexte national - mais aussi parce que l'estimation du coût de l'adaptation demeure une tâche ardue. Selon un rapport récent du PNUE, il n'existe pas d'estimation unique des coûts de l'adaptation, bien qu'il explique que les coûts d'adaptation sont probablement deux à trois fois plus élevés que les estimations mondiales actuelles à l'horizon 2030, et pourraient être quatre à cinq fois plus élevés d'ici 2050.

2. Renforcement du cadre de la transparence

L'un des éléments clés de la mise en œuvre de l'Accord de Paris consiste à mettre en place un cadre de transparence renforcé destiné à fixer les paramètres de l'établissement des rapports et de l'examen des plans et des mesures climatiques de l'ensemble des pays. La transparence est une priorité toute particulière pour les pays en développement, qui ne disposent pas de processus solides en matière de suivi, d'établissement de rapports et de vérification, ou dont la pratique d'élaboration des rapports nécessite davantage de perfectionnement. La collecte des données, tant chronologiques qu'actuelles, peut faire défaut, au même titre que la capacité institutionnelle en matière de collecte et d'évaluation des données à l'avenir.

Étant donné que certains mécanismes de la mise en œuvre de l'Accord de Paris impliqueront un ‘inventaire’ régulier à l'échelle mondiale - à partir de 2023 et qui devrait se répéter ensuite tous les cinq ans - ainsi que l'évaluation des progrès accomplis par chaque pays pour atteindre ses CDN, les données fiables recueillies de manière transparente joueront un rôle prépondérant en permettant à toutes les parties de bien comprendre les mesures prises en faveur du climat et les objectifs nationaux qui sont réalisés. La recherche de mécanismes appropriés pour soutenir la transparence des données pour l'ensemble des parties à la CCNUCC pourrait en fait consister, entre autres, à s'inspirer de l'expérience des projets intergouvernementaux des données parallèles au sein du secteur de l'énergie, tels que la JODI du FIE (Initiative commune en matière de données sur le pétrole) qui a eu pour objectif de renforcer la transparence des données sur le pétrole et les combustibles fossiles. Une question distincte mais tout aussi importante réside dans les obligations des pays développés qui sont parties à l'Accord de faire rapport sur les contributions au financement du climat, pour veiller à ce que les engagements donnent lieu à la disponibilité des fonds pour les pays en développement.

Le financement de la lutte contre les changements climatiques est l'un des principaux domaines où davantage de transparence constitue une priorité immédiate. Un rapport de l'OCDE publié avant la tenue de la COP 21 à Paris, estimant le volume total du financement climatique mobilisé par les sources publiques et privées en 2013-14, a été critiqué ultérieurement, entre autres pour le “double comptage, l'étiquetage erroné et la fausse déclaration” par un “club de pays riches”. Il s'agit en faite d'une source de préoccupation immédiate, eu égard aux controverses que suscitent la comptabilisation et la définition même du financement du climat. Marrakech, ainsi que les réunions de suivi constituent une opportunité majeure pour aborder les questions méthodologiques sous-jacentes au financement de la lutte contre les changements climatiques et pour amener tous les signataires de l'Accord de Paris à trouver un terrain d'entente sur cette question.

3. Financement de la lutte contre le changement climatique

Marrakech offre une occasion importante de discuter davantage en vue de concevoir des modalités appropriées et accessibles pour recueillir et diriger les fonds disponibles pour la lutte contre le changement climatique vers des projets pertinents dans les pays en développement. En effet, on peut considérer le financement en faveur du climat comme l'un des aspects les plus déterminants - certains soutiendront qu'il s'agit de l'aspect le plus déterminant - pour favoriser l'atténuation et l'adaptation aux changements climatiques. Ce n'est pas uniquement le cas dans les pays en développement où les mesures en faveur du climat dépendent souvent d'une aide financière de l'étranger; mais c'est plus généralement le cas dans la mesure où, comme l'ont relevé certains observateurs, l'accent mis par de nombreux spécialistes du changement climatique consiste désormais à suivre la “piste de l'argent”. Heffron (2016: 10) illustre l'argument d'un côté du “camp climat”, en affirmant qu'il reste trop d'argent dans l'industrie des combustibles fossiles. Il s'agit de la grande bataille qu'affronte la société, et il est nécessaire de procéder à un changement en profondeur, quant à la façon dont nous régissons le secteur de l'énergie et, de ce fait, l'économie au sens plus large.

L'Accord de Paris comporte des dispositions relatives à l'appui aux CDN des pays en développement, bien qu'en termes généraux jusqu'à présent, sans qu'il y ait de mécanisme immédiat au-delà de ce qui existe déjà. Il confirme également l'engagement pris par les pays développés à Copenhague de mobiliser environ 100 milliards de dollars par an, aux fins du financement de la lutte contre le changement climatique pour la période allant de 2020 à 2025, qui seront suivis par la suite d'un nouveau montant collectif. L'état d'avancement de la répartition de ce montant doit faire l'objet d'un rapport deux fois par an. Un rapport récent du PNUE a mis en évidence la difficulté d'estimer de manière adéquate les coûts de l'adaptation mondiale aux changements climatiques, mais il a suggéré que les ressources financières nécessaires pourraient s'élever au triple pour la période 2010-2030 et à quatre ou cinq fois plus à l'horizon 2050. Le rapport indique que les coûts d'adaptation pourraient varier de 140 milliards à 300 milliards de dollars à l'horizon 2030 et entre 280 milliards et 500 milliards de dollars d'ici 2050.

Pour assurer la disponibilité du financement de la lutte contre le changement climatique, les secteurs privés locaux sont également sollicités. Toutefois, le soutien des investissements du secteur privé dans les technologies soucieuses de l'environnement et dans l'adaptation au changement climatique demeure un défi particulièrement difficile dans les pays en développement, en raison de toute une série de facteurs que l'on connaît déjà, notamment les obstacles juridiques, économiques et réglementaires, les marchés financiers non parvenus au stade de la maturité, les échanges de devises et le risque-pays en général. Les pays touchés par les conflits lutteront encore davantage en raison, tout d'abord, de l'absence de stabilité politique, laissant derrière eux de nombreux pays ayant besoin de mesures d'adaptation. Toutefois, il y a aussi un potentiel énorme en fournissant aux gouvernements, entre autres, des outils pour briser les barrières internes aux investissements climatiques et en mettant en avant les opportunités liées à la finance et à l'investissement verts, notamment pour ce qui est du transfert de technologie, de l'innovation, de création de nouvelles industries fondées sur le savoir, et de création d'emplois qualifiés. Marrakech peut parfaitement offrir un forum important pour mettre en place un cadre de discussion, ainsi que l'instauration de mécanismes pour le renforcement des capacités nationales en vue d'atteindre cet objectif.

Le Maroc est un exemple qui illustre les possibilités de soutenir le déploiement de technologies énergétiques respectueuses du climat et des énergies renouvelables à grande échelle dans les pays en développement et les régions dotées d'une abondance de ce type de ressources. Par le passé, le Maroc s'est engagé sur la voie de l'accélération du déploiement mondial de l'énergie solaire concentrée (ESC) qui offre la possibilité de réduire les coûts en capital de l'ESC grâce à des économies d'échelle en termes de fabrication et d'enseignements tirés. C'est la raison pour laquelle le Fonds pour les technologies propres (FTP) a alloué des financements subventionnés significatifs à l'énergie solaire concentrée au Maroc, bien qu'en deçà du montant global nécessaire à la couverture de l'ensemble du coût différentiel de l'utilisation de l'ESC. La disponibilité d'un financement plus conséquent en capitaux pourrait constituer un moyen de continuer à soutenir ces investissements, alors qu'une autre option consisterait à réduire ou à démanteler la barrière commerciale imposée aux principaux marchés d'exportation - en l'occurrence l'Europe - dans le domaine de l'électricité propre en provenance de l'Afrique du Nord. L'utilisation de Marrakech comme une opportunité non seulement pour collecter des fonds, mais aussi pour réduire les entraves au commerce et permettre aux pays en développement de disposer d'outils plus efficaces pour investir davantage dans l'énergie propre conformément aux objectifs de la CCNUCC, est également susceptible de démontrer l'engagement réel des pays développés envers l'atténuation des changements climatiques.

4. Renforcement des capacités

Le renforcement des capacités dans les pays en développement fait partie intégrante de l'action en faveur de l'atténuation et de l'adaptation aux changements climatiques que les divers États parties à la CCNUCC entreprennent. L'Accord de Paris a mis en place le Comité de Paris sur le renforcement des capacités, dont l'objectif central consiste à combler les lacunes et prendre en compte les besoins des pays en développement. Les parties signataires de l'Accord de Paris diffèrent en termes de degré de développement et de capacités, et c'est pour cette raison que le renforcement des capacités est fourni dans le cadre de la CCNUCC, aux niveaux bilatéral et multilatéral. Une série d'activités au titre de la Convention concerne, entre autres, des dialogues thématiques et des conseils techniques, ainsi que l'appui au renforcement des institutions et du secteur privé, conformément au Cadre pour le renforcement des capacités dans les pays en développement qui fait partie des Accords de Marrakech à la COP 7 en 2001.

Dans sa communication de ses CPDN à la CCNUCC, le Maroc soutient que “la mise en œuvre de la Contribution nécessitera une mobilisation sans précédent des acteurs de la société marocaine et des partenaires financiers internationaux.” Il s'agit d'un sous-aspect important de la mise en œuvre de l'Accord de Paris dans un certain nombre de pays, qui pourrait justifier des efforts considérables de la part de la communauté internationale pour aider les pays en développement à renforcer ce type de capacité. Dans le but de favoriser cette mobilisation, le Maroc a mis en place le Centre de Compétence Changement Climatique du Maroc, ou le 4C Maroc, en septembre 2015, qui vise à fournir une plateforme de renforcement des compétences et de partage d'informations sur le changement climatique au Maroc, avec une ouverture sur l'environnement régional et africain du Royaume. D'autres centres d'excellence similaires pourraient voir le jour ailleurs, mais il faudra également les doter du personnel et des attributions nécessaires pour contribuer, au niveau national, à la planification, l'audit et l'élaboration de rapports, grâce à des outils appropriés.

5. Transfert de technologie

L'atténuation des changements climatiques est déterminée par la technologie qui permet aux pays de tirer le meilleur parti des ressources dont ils disposent et d'accroître l'efficacité de la manière dont ils exploitent l'énergie en particulier, tout en favorisant la croissance et l'épanouissement socio-économique. L'énergie renouvelable constitue bien évidemment un point central qui mérite qu'on lui accorde beaucoup plus de place dans les programmes politiques des pays en développement, en particulier. Les enjeux portent, à titre illustratif, sur les défis bien connus du déploiement des énergies renouvelables, tels que les coûts de financement, la nécessité habituelle de procéder à des ajustements réglementaires liés au marché, la coopération public-privé, mais aussi la mobilisation et le transfert du savoir-faire qu'impose l'adaptation des technologies existantes aux circonstances nationales et l'examen des applications technologiques des créneaux nationaux (Voir l'Encadré 3 pour l'exemple de l'électrification rurale utilisant des systèmes hybrides au Maroc) ou l'utilisation de la technologie solaire pour des utilisations hors de l'ordinaire, telles que le dessalement et la récupération assistée du pétrole. Marrakech représente une occasion d'aborder plus en détail ces opportunités.

Encadré 3. Expérience du Maroc en matière d'électrification rurale par des systèmes hybrides

Depuis les années 1990, le gouvernement marocain a pris des mesures proactives pour fournir aux communautés rurales enclavées l'accès à l'électricité en utilisant une combinaison de technologies faisant appel à toutes les ressources locales disponibles. Lancé pour la première fois en 1996, lorsque les taux estimatifs de l'électrification rurale atteignaient à peine 18%, le Programme d'Électrification Rurale Global (PERG) du pays a répondu spécifiquement à un éventail de besoins des villages, sur la base d'une rentabilité commerciale à long terme de l'accès du milieu rural à l'électricité. Dans les zones où la connexion au réseau était jugée peu rentable, le PERG a examiné les conditions locales pour évaluer la viabilité de solutions alternatives, telles que les générateurs photovoltaïques (PV), les micro-turbines hydrauliques, les turbines éoliennes, les générateurs au diesel, et les systèmes hybrides. Sur une période de 15 ans, plus de 35.000 villages et quelque 1,9 million de ménages ruraux ont été électrifiés, portant le taux d'électrification rurale à 97% vers la fin de 2009.

Source: El-Katiri (2014a, b); Agence Française de Développement (2013).

 

De nombreuses technologies des énergies renouvelables peuvent créer une valeur socio-économique importante au-delà de leur utilisation pour la fourniture d'énergie et l'atténuation du changement climatique. Pour l'énergie éolienne et solaire, par exemple, la valeur peut provenir de la fabrication locale de composants technologiques, et c'est un aspect de valeur particulièrement utile pour les marchés qui disposent d'une réserve considérable de main d'œuvre relativement peu coûteuse, tels que le Maroc, l'Égypte ou la Tunisie, en plus, bien évidemment, des énormes possibilités de l'industrie manufacturière du secteur des technologies en Asie du Sud et de l'Est. L'installation, le raccordement au réseau, et l'entretien, y compris pour les systèmes autonomes d'énergie renouvelable, peuvent créer des emplois supplémentaires qui, contrairement au cas des technologies de l'énergie nucléaire par exemple, sont relativement faciles à former et à transférer, contribuant ainsi à créer des collectivités autonomes, y compris dans les communautés les plus enclavées de certains pays.

Conclusions: Au-delà de la COP22

Sans le moindre doute, l'héritage de Marrakech sera déterminé par le degré d'opérationnalisation des actions qui résultent de cet événement. Certes, certains objectifs, tels que l'encouragement de la communauté mondiale, constituée de plus de 196 pays différents, avec leurs propres circonstances nationales, à prendre des mesures en faveur du climat, est sans doute une tâche complexe qui prendra du temps. Cependant, il est possible d'atteindre d'autres objectifs avec des résultats relativement concrets. Il s'agit notamment des travaux prioritaires sur les mécanismes de transparence et de collecte de données institués par l'Accord de Paris, ainsi que sur le thème très important du financement de la lutte contre le changement climatique pour les pays en développement. Dans ce contexte, Marrakech offre d'énormes possibilités de démontrer un véritable engagement climatique de la part des pays en développement et des pays développés, conformément aux objectifs de la CCNUCC, y compris en mobilisant des fonds climatiques suffisants, mais aussi en réexaminant d'autres barrières axées sur le marché qui empêchent l'énergie propre à faibles émissions de s'imposer sur les différents marchés. Dans ce contexte, le rôle du commerce de l'énergie propre pourrait s'avérer celui d'un négociateur de taille, y compris pour le pays hôte de la COP22, le Maroc, et ses pays voisins en Afrique du Nord.

Marrakech offre aussi l'occasion de réaffirmer le rôle que toutes les parties à l'Accord de Paris ont à jouer pour œuvrer en faveur du but ultime qui consiste à limiter le réchauffement planétaire à moins de 2°C. Pour les pays en développement, en particulier, la participation constructive aux efforts mondiaux d'atténuation et d'adaptation est une occasion cruciale de favoriser leur propre processus d'adaptation, réduisant ainsi leur vulnérabilité aux changements climatiques. Pour les grands pays producteurs d'émissions, c'est aussi une occasion de faire preuve de leadership et d'engagement dans l'optique d'une gestion à long terme des ressources épuisables de notre planète.