Développement et/ou sécurité : Enjeux de la relation entre l’Union Européenne, le Maghreb et le Sahel
Ce Policy Brief traite de l’articulation entre le développement et la sécurité dans le bassin méditerranéen, ainsi que de l’implication des pays des deux rives, nord et sud, dans un partenariat assurant la sécurité nécessaire à un développement socio-économique conjoint. Les pays du Sahel prennent également part à l’analyse et conditionnent le succès des stratégies sécuritaires au Maghreb et au sein de l’Union Européenne. Le papier revient sur des exemples de pays riches mais frappés par des phénomènes d’insécurité, des cas de pays pauvres et pourtant sans menaces sécuritaires, et d’autres pays aux revenus modérés qui bénéficient d’une stabilité significative dans la région, à l’instar du Maroc.
Introduction.
En se référant à la Méditerranée comme espace de coopération entre le Nord et le Sud, il est aujourd’hui admis que cette coopération rassemble :
- Un partenaire Nord qui est l’Union Européenne (UE) dans son entièreté. Les pays méditerranéens de l’Europe sont indissociables de leur espace d’intégration qui est l’Union Européenne.
- Un partenaire Sud difficile à définir, faute d’intégration institutionnelle. Est-il l’Union Africaine ? Celle-ci ne semble pas avoir atteint un niveau d’intégration qui lui permet d’agir en entité unie. Est-il l’Union du Maghreb arabe ? Celle-ci est encore loin de constituer une véritable institution d’intégration.
L’Union Européenne se trouve donc impliquée dans un processus de coopération qui vise un espace éclaté, et le partenaire est par conséquent difficile à définir. Cet état de fait oblige l’UE à considérer son voisinage Sud comme un ensemble de pays se présentant en ordre dispersé d’où la nécessité de politiques séparées et quasiment personnalisées pour répondre aux ambitions de chaque pays et non à celle d’un ensemble intégré et cohérent. L’exemple le plus illustratif est celui de l’Afrique du Nord, considérée comme le voisinage immédiat de l’UE, et où cette dernière, en dépit d’un cadre général commun (Politique européenne de voisinage) est contrainte d’approcher chaque pays individuellement.
La problématique de la coopération avec cet espace nord-africain est d’autant plus compliquée qu’il s’avère interdépendant, aussi bien en termes d’économie/développement qu’en termes de sécurité/stabilité, avec son voisinage du sud sahélien et subsaharien.
Aux aléas de l’éclatement de l’espace et de son extension en raison des interférences entre voisinage et voisinage du voisinage, s’ajoute la question de la conjoncture aussi bien en Afrique du Nord que dans son voisinage sahélien et subsaharien : Cette conjoncture est caractérisée par une recherche du développement et de la prospérité dans un climat que minent les menaces à la sécurité et à la stabilité, d’où la nécessité pour l’Union Européenne de combiner dans sa relation avec le Sud des impératifs de développement économique et de sécurité/stabilité.
Développement et sécurité sont donc les deux objectifs qui président à la coopération entre l’Union Européenne et son voisinage sud dans son sens extensif. Un voisinage où certains pays bénéficient relativement d’une conjoncture de stabilité laissant espérer des lendemains meilleurs de développement et de prospérité, tandis que d’autres pays de ce voisinage vivent dans le défaut flagrant de l’une ou de l’autre des deux notions et même dans l’absence des deux dans certains cas.
En dépit de ces aléas et handicaps, l’Union européenne ne peut pas faire l’économie d’une attention particulière à accorder à ce voisinage sud. En effet, la conjoncture en Méditerranée a montré que la sécurité du Nord dépend de la stabilité du Sud. Le démembrement de la Libye et les nouvelles conditions d’instabilité qu’il a générées dans la région sahélienne, voire subsaharienne, ont sérieusement remis en cause la sécurité de la rive nord de la Méditerranée dans son sens large, c’est-à-dire tout l’espace de l’Union Européenne.
Les années 2015 et 2016 ont porté la preuve de la vulnérabilité des couloirs classiques de migration dont le point de départ est un pays du sud déstabilisé (couloir Libye-Italie) et la résilience voire l’efficacité dans les couloirs dont les points de départ sont des pays épargnés par les événements du printemps arabe (couloir Maroc-Espagne).
Si les soucis dans le voisinage Sud étaient axés sur le développement, force est de constater que depuis le printemps arabe, les questions de sécurité ont émergé comme problème majeur.
Aux préoccupations économiques et de développement se sont ajoutés les soucis sécuritaires. Comment donc rétablir la situation sécuritaire dans les pays où elle s’est dégradée, tout en soutenant l’effort de développement économique ? Faut-il, ou est-il possible d’assurer les deux objectifs parallèlement ou doit-on accorder la priorité à l’un au détriment de l’autre ? Et si oui lequel est préalable à l’autre.
I- Sur les liens entre Sécurité et Développement
1. Incertitudes sur des liens révélés et automatiques entre économie et sécurité dans les situations de plusieurs pays africains :
Comment s’articulent les questions de sécurité/stabilité et d’économie/développement ? Si nous piochons dans la théorie générale nous ne trouvons pas de règles établies des relations ou des rapports entre la sécurité d’une part et l’économie d’autre part. Cette absence d’une règle générale reliant Développement/Richesse et Sécurité/prospérité se vérifie également en Afrique :
- Dans certains pays africains où le PIB semble indiquer un essor économique (notamment grâce à une économie de rente), la sécurité ne semble pas suivre : Le cas du Nigeria est le plus criant à cet égard. Parfois premier et parfois deuxième PIB d’Afrique, le pays n’est pourtant pas le lieu le plus indiqué en Afrique en termes de sécurité. La persistance des disparités entre communautés et entre régions, la résistance de Boko Haram aux mesures entamées sans être achevées et les actions menées par les Delta of Niger Avengers laisse figurer le pays parmi les plus instables et aux futurs incertains. Les aléas sécuritaires dans ce pays ne peuvent en aucun cas être imputés à la pauvreté ou à la carence de ressources ; mais plutôt à une mauvaise gestion des richesses, qui entrave le développement et génère des disparités, sources de troubles sociaux, d’instabilité et d’insécurité.
- Dans certains autres pays, la stabilité et la sécurité ne semblent pas donner une croissance économique significative. L’exemple est ici à titre indicatif Madagascar (au vu du PIB par habitant), il figure au 5ème rang des 25 pays les plus pauvres du monde en dépit du calme et de la stabilité qui semblent y régner. C’est également le cas du Malawi qui figure au 2ème rang des pays les plus pauvres. L’absence d’éléments déstabilisateurs ne semble pas amener la prospérité. Pourquoi ces pays pauvres ne connaissent-ils pas de problèmes de sécurité majeurs ?
Ces deux exemples montrent donc bien que ce n’est pas en s’assurant de bonnes places en termes de PIB qu’on peut atteindre les degrés satisfaisants de sécurité et que ce n’est pas en étant sans problèmes sécuritaires que l’on peut échapper à la pauvreté. Ces deux exemples peuvent également mener à conclure que pour s’assurer et la stabilité et la sécurité, il faudrait :
- Disposer de ressources naturelles et de richesses ;
- Bien gouverner ces richesses et les gérer de manière à parer aux disparités sociales génératrices de troubles.
Cependant, en examinant la situation dans une autre catégorie de pays, il est observé qu’ils semblent s’en sortir à la fois au niveau de la stabilité et de l’essor économique, sans pour autant disposer de grandes ressources naturelles.
Le cas du Maroc est à retenir, qui semble s’affirmer en tant qu’État stable à revenu moyen, sans pour autant disposer de ressources en hydrocarbures. Une question se pose cependant. La stabilité au Maroc est-elle due au système socio-économique qui tend à adopter les bonnes règles de gouvernance économique ; ou est-ce la stabilité qui permet une meilleure gestion des mécanismes de création de la richesse ?
2. L’équilibre Sécurité/développement au Nord et la question de priorité au Sud.
La question du lien à établir entre les faits sécuritaires assortis de leurs corollaires de paix et de stabilité d’une part et les questions de développement, d’économie et de prospérité d’autre part, ne se pose pas dans les mêmes termes entre les partenaires autour de la Méditerranée :
- Les pays du Nord dits également développés évoquent moins la question du rapport sécurité/développement en termes de priorité. Les deux objectifs y sont généralement réalisés. La question est seulement de maintenir le niveau d’équilibre entre les deux notions par l’introduction d’éléments d’ajustement capables de parer aux déséquilibres éventuels.
- Au Sud, aire géographique où s’inscrivent les pays africains, la prospérité et la sécurité sont difficiles à assurer de manière concomitante. Cette difficulté engendre des questionnements sur la priorité entre les objectifs de sécurité/stabilité et ceux de l’économie et du développement.
Au Sud, il est souvent remarqué que les efforts investis dans les ambitions de développement socio-économiques sont entravés par un déficit de stabilité et de sécurité. La priorisation est d’autant plus nécessaire que les moyens dont disposent ces pays ne permettent pas, soit par leur faiblesse ou par leur mauvaise gestion, de satisfaire les besoins sur les deux fronts. Mais cette priorisation est également problématique du fait qu’il n’est pas établi que c’est la prospérité qui permet la sécurité ou qu’au contraire, c’est la sécurité qui est un préalable à la prospérité.
Du coup, il y a arrêt sur une image du Sahel et de l’espace subsaharien qui renvoie à un cercle vicieux où le sous-développement génère de l’instabilité qui à son tour génère du sous-développement et la grande question reste : Comment renverser la tendance pour :
- Assurer la sécurité et la stabilité qui favoriseront le développement, sinon
- Assurer le développement et l’essor économique qui favoriseront la stabilité et la sécurité.
Quelle que soit l’option, les pays à revenu moyen ou faible sont devant la question de savoir quelle notion est préalable à l’autre et quelle priorité choisir ? La faiblesse des moyens ne permettant pas de conduire les deux efforts en parallèle.
La situation n’est cependant pas la même dans tous les pays du voisinage sud de l’Europe. Si dans certains pays, les ingrédients du développement sont disponibles mais seulement handicapés par des questions de gouvernance et de mauvaise gestion, dans d’autres pays les États sont presque faillis et la question du développement rencontre la difficulté d’une réhabilitation de l’État.
Il n’y a donc pas une solution standard à apporter pour assurer et la sécurité et la prospérité. S’ils sont éclatés par manque de processus d’intégration fiable, les États du Maghreb et du Sahel vivent des conjonctures différentes. Les systèmes économiques développent des vulnérabilités distinctes, les causes de l’insécurité sont multiples et spécifiques et les conceptions de solutions doivent par conséquent être adaptées.
Comment donc apporter la prospérité là où la sécurité ne fait pas défaut, amener la sécurité là où certaines richesses notamment naturelles facilitent l’essor économique et par quoi commencer dans les États où se rencontrent pauvreté et instabilité ? Quel rôle peuvent jouer les États du Sud relativement stables dans l’amélioration de la situation des autres États ?
II- Action européenne au Maghreb et au Sahel : Des solutions personnalisées sont nécessaires.
1. Des États montrant des capacités sécuritaires mais économiquement menacés.
Le Tchad est le prototype de ce genre d’État, le pays s’est forgé une réputation de puissance sécuritaire parmi ses pairs africains. Les guerres menées contre la Libye de Kadhafi et également au Darfour en plus de ses engagements en République Centre Africaine et au Mali aux côtés des troupes françaises, ont fini par faire de l’armée tchadienne une structure militaire qui domine son sujet aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. À l’intérieur, le régime domine son opposition et assure l’essentiel de la stabilité, même si les méthodes sont décriées par certaines instances des droits de l’homme. Dans la région, l’armée tchadienne, dont la puissance de feu ne peut être égalée ou dépassée en Afrique centrale que par l’Angola, montre des allures d’une structure militaire aux troupes aguerries et expérimentées, capables d’évoluer avec une certaine aisance dans les milieux sahéliens hostiles. C’est de par ces qualités que l’armée tchadienne est souvent sollicitée par les interventions militaires françaises dans la région. L’armée tchadienne a été présente aux côtés des Français dans les opérations Serval, suivie de Barkhane et aussi dans l’opération Sangaris.
En 2013 l’armée tchadienne qui comptait 25 000 hommes occupait le troisième rang parmi les pays de la CEEAC, derrière la RDC et l’Angola. Au niveau du rapport nombre d’habitants et forces armées, le pays était également troisième avec un soldat pour 433 habitants derrière l’Angola (1/169) et le Gabon (1/342). Il était en 2012 également troisième en termes de pourcentage du PIB consacré à la défense avec 2,6 % derrière la Guinée équatoriale (3,7) et l’Angola (3,5).
Mais si le Tchad vit et peut diffuser une certaine sécurité/stabilité, l’image que renvoie le pays en termes de prospérité, de développement et de gouvernance permet des inquiétudes quant à l’avenir de cet État. Une économie relativement faible, basée sur la rente de la modeste production du pétrole et le modèle politique stagnant au niveau de la prédémocratie trahissent une certaine vulnérabilité. De plus l’ambition de projection du Tchad est dominée par les aspects sécuritaires. La loi budgétaire de l’année 2016 prévoyait, pour les services de sécurité et de défense, 76 % des postes budgétaires dans la fonction publique. Que restait-il pour fournir les autres secteurs en cadres et fonctionnaires ?
Dans ce genre de pays, la coopération ou l’aide européenne est appelée à apporter les ingrédients du développement économique et la promotion démocratique mais tout en s’abstenant de toute mesure pouvant conduire à l’affaiblissement des compétences sécuritaires et de défense. Dans ce genre de pays, la démocratisation doit se réaliser dans un processus évolutif et non en rupture pour éviter la déstabilisation, et le pays doit être assisté de manière à améliorer la gestion de ses richesses et assurer la bonne redistribution de ses revenus. La coopération doit viser à supporter le pays pour diversifier ses ressources économiques et déceler les opportunités de création de richesses, tout en évitant de l’essouffler dans des efforts militaires qui peuvent tarir son économie chancelante.
2. Des États disposant de potentiels économiques mais frappés ou menacés par des phénomènes d’insécurité.
Deux grands producteurs africains d’hydrocarbures illustrent ce cas : La Libye et le Nigeria. Les deux pays ont tellement de problèmes sécuritaires -certes de natures différentes- que l’OPEP les a exemptés des réductions décidées ces derniers temps.
Le Nigeria fait de la production d’hydrocarbures son unique sinon sa principale source de revenu. En 2016, Ce sont presque 70 % des puits de pétrole (hors offshore) du Nigeria qui furent mis à l'arrêt à cause de l'insécurité et des sabotages. Le pays dont le pétrole fournit les deux tiers des recettes budgétaires et la quasi-totalité de ses revenus à l'exportation, se voit pénalisé par la chute des prix et par la réduction de la production.
La gestion de la manne pétrolière, en termes de répartition, de justice sociale et de gouvernance en général reste problématique au Nigeria, principalement dans la région du Delta du Niger. Cette manne constitue une richesse qui aurait pu amener la prospérité ; mais faute de bonne gouvernance, il génère de l’insécurité. Il semble à première vue que c’est l’insécurité qui entrave le développement et la prospérité mais il s’avère à l’examen que cette insécurité est à son tour le fruit d’une répartition injuste des richesses du pays.
Le pétrole au Nigeria est extrait dans le Delta du Niger où la population estime ne pas recevoir sa part de la manne pétrolière. D’abord le Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger ou(MEND) et ensuite les vengeurs du Delta du Niger n’ont jamais eu de cesse de mener la lutte, voire la guerre, contre les compagnies étrangères et l’État du Nigeria qu’ils considèrent comme des « pilleurs de leurs richesses ». Aujourd’hui les Vengeurs du Delta réclament notamment que 60 % des revenus pétroliers soient attribués aux communautés locales.
En Libye, pays politiquement instable, le contrôle de l’or noir est crucial pour les deux autorités concurrentes, qui souhaitent chacune asseoir leur légitimité. Ces deux autorités ne sont pas les seules sur le terrain à vouloir s’approprier des ressources pétrolières. Des groupes terroristes, mais aussi des tribus se mêlent au conflit. Certains puits ou terminaux sont régulièrement attaqués par des groupes armés, et parfois investis par des tribus au nom de revendications sociales. Si d’une part la situation conflictuelle agit sur la production du pétrole, cette ressource attise les convoitises des parties en conflit et retarde, voire rend impossible, toute solution de la crise libyenne. Le pays dispose d’une richesse qui peut assurer son développement et sa prospérité, mais faute de processus de réconciliation qui puisse amener la sécurité et la paix, cette richesse devient un enjeu meurtrier.
Le pétrole est en effet le pouvoir en Libye. Chaque faction qui lutte pour s’accaparer le pouvoir en Libye doit d’abord passer par une lutte pour le contrôle des sites de production.
Ainsi la guerre pour le pétrole qui prolonge le conflit libyen et éloigne toute solution politique, ouvre le pays non seulement à une lutte fratricide mais à l’action de groupes terroristes de tous bords.
Toute coopération avec le Nigeria ou avec la Libye ne consiste pas à les protéger d’un quelconque danger (Boko Haram au Nigeria et Daech en Libye), mais à les aider à trouver les solutions de gouvernance pour l’un et de réconciliation pour l’autre. Ils pourront ainsi dépasser les instabilités et exploiter leurs richesses dans le développement.
3. Des États pauvres et instables à la fois.
Le Mali et même le Niger peuvent être pris pour exemple de la catégorie de pays où les ressources actuelles ne semblent pas être en mesure de fournir l’appui nécessaire à la mise sur pied d’un système qui puisse, du moins à moyen terme, assurer la prospérité de ces deux États. En dépit de la disponibilité de la ressource en Uranium dont dispose le Niger et la relative production en or du Mali, les deux pays restent parmi ceux que l’on peut qualifier de pauvres.
De plus, la situation sécuritaire dans ces États reste alarmante en raison notamment des actions terroristes :
- Au Mali la crise sécuritaire qui frappe le pays depuis 2012 avait commencé par menacer le nord du pays mais n’a pas tardé à gagner les régions du Centre avec le front de la libération de Macina et le Sud avec la Katibas Khalid ibn Al Walid. Le Mali est en passe de devenir la base d’un terrorisme qui ambitionne de s’étendre à l’ensemble de l’Afrique de l’ouest. Le nouveau groupe constitué en mars 2017 appelé « Soutien à l’Islam et aux musulmans » sous la houlette du résumé notoirement connu Iyad Ghali (un Malien) donne une idée claire sur l’importance que l’élément malien est en train de prendre dans la mouvance terroriste qui secoue la région.
- Au Niger, le pays qui s’est vu épargné par le dernier soulèvement séparatiste touareg se trouve néanmoins triplement ciblé par le terrorisme.
- Sur son flanc ouest, le Niger est menacé par les groupes installés au Mali qui ne cessent d’y faire des incursions meurtrières notamment dans les régions mitoyennes à Gao.
- Au Sud, le pays demeure constamment sous la menace de Boko Haram, qui mène régulièrement des raids qui finissent par la mort de soldats et parfois d’occupations plus ou moins longues de villages entiers.
- Au Nord le pays reste handicapé par la porosité d’une frontière, qui se compte en centaines de kilomètres, avec la Libye où opèrent plusieurs groupes terroristes.
Il apparaît donc que ni le Mali ni le Niger ne peuvent aujourd’hui, faute de moyen, combattre la pauvreté qui sévit et l’insécurité rampante que font régner des groupes terroristes de plus en plus proliférant.
Le challenge pour l’action occidentale en général, et européenne en particulier dans ces deux pays, reste d’assurer non seulement la construction d’un système de gestion économique qui puisse apporter le développement et la prospérité, mais également de bâtir chez ces États la capacité de sécuriser leurs territoires contre les menaces terroristes.
Sur ce dernier point, l’expérience a montré que les actions militaires étrangères conjoncturelles ne peuvent remplacer l’aptitude de ces États à assurer eux-mêmes leur sécurité. Ceci est d’autant plus demandé que la présence étrangère sur le sol de ces États constitue un argument de taille pour les radicaux et leurs recruteurs.
Devant les coûts financiers qu’implique le fait d’assurer, de manière concomitante et le renforcement des moyens de défense et les structures à créer pour initier les modes adéquats de développement, l’effort à déployer semble très grand d’où l’utilité de se demander s’il faut commencer par le développement ou par la sécurité.
L’Europe doit donc, pour éviter le choix qu’impose une telle équation, s’y mettre avec tous ses États membres, voire être aidée par l’ensemble de la communauté internationale, d’autant plus que pour les questions de sécurité-défense, l’effort à consentir ne peut se limiter à la formation, mais également à l’équipement du fait que les moyens actuels des pays concernés ne peuvent suffire à l’acquisition des moyens requis.
4. Des États relativement stables et à revenu moyen.
La problématique que représente la conciliation entre sécurité/stabilité et développement/prospérité n’est pas ressentie au Maghreb et au Sahel dans le même degré d’acuité.
Comme exposé ci-haut, certains pays sont dotés d’ingrédients de la richesse mais souffrent d’un déficit de sécurité. Certains autres montrent des aptitudes sécuritaires tout en manquant de facteurs de développement et de prospérité, alors qu’une troisième catégorie présente un manque au niveau des deux secteurs.
Il reste cependant à examiner, pour compléter le panorama, le cas de certains pays qui ont pu rallier la stabilité/sécurité et un relatif développement au niveau de l’essor économique en se stabilisant dans des positions d’économie moyenne. Comme pour les autres catégories, un pays est choisi pour illustrer les caractéristiques. Cette fois c’est le cas du Maroc qui est retenu.
Ayant été parmi les rares pays à surpasser les effets du printemps arabe en termes de déstabilisation, le Maroc présente à la fois une stabilité du système sociopolitique et une relative tendance à l’essor économique.
Par ailleurs, le pays montre même des capacités de projection en termes de soft power notamment dans son espace africain où il tente de s’associer à ses pairs africains dans la quête de stabilité et de prospérité. Les récentes orientations de la politique marocaine vers l’Afrique dans le cadre de partenariats de solidarité basées sur le principe gagnant-gagnant sous l’enseigne de la coopération Sud-Sud, montrent cette capacité à se projeter dont disposent les puissances sous-régionales.
Au niveau du comportement européen vis-à-vis de tels pays, force est de constater que l’Union Européenne est peu regardante sur l’opportunité que représente ce genre de pays dans l’effort à consentir pour implémenter une stratégie de coopération triangulaire. De tels pays partagent à la fois avec l’Europe et avec l’Afrique subsaharienne des valeurs communes et peuvent donc constituer la courroie de transmission entre les deux rives.
Ce genre de complémentarité est apparu dans certaines occasions en ce qui concerne le Maroc :
- Lorsque l’opération Serval avait en 2013 paré au plus urgent en évitant que le mali ne soit conquis par les groupes terroristes, le Maroc avait juste après pris le relais notamment dans le secteur socioreligieux, notamment par la formation d’Imams qualifiés pour combattre la radicalisation et l’extrémisme et asseoir un Islam tolérant pour soustraire le pays aux menées extrémiste et djihadistes.
- Lorsque les forces franco-britanniques ont également paré au plus urgent en empêchant le massacre des populations libyennes par leur ancien « guide » ; le Maroc avait par la suite déployé tout l’effort diplomatique, sous l’égide des Nations Unis pour aboutir à l’accord de Skhirat considéré par la majorité de la communauté internationale comme la porte d’accès à une résolution finale de la question libyenne.
C’est ce genre de complémentarité que l’Europe gagnerait à encourager en s’appuyant sur ces pays du Sud qui présentent une certaine stabilité et une relative tendance au développement.
Conclusion.
Le défi à relever pour l’Europe dans sa relation à son voisinage consiste en la réalisation de l’objectif principal de la Politique européenne de voisinage : Celui de présenter à ce voisinage une offre économique assortie d’une offre en matière de sécurité. Il s’agit donc de deux objectifs l’un économique et l’autre sécuritaire.
Or en dépit de l’absence de relation clairement établie entre sécurité et économie, les effets de l’un des secteurs sur l’autre ne peuvent être automatiquement niés.
Pour l’esprit le plus simple, il est aisé de reconnaître de manière empirique que l’économie agit sur la sécurité. Plus elle est forte et plus elle permet de disposer des moyens d’assurer la sécurité et minimiser les effets des aléas des phénomènes de l’insécurité. Dans un autre registre, le capital moteur du développement économique fuit les zones insécurisées ou peu sûres et par conséquent la sécurité s’avère nécessaire à l’essor économique.
Il a cependant été montré dans les lignes tracées plus haut qu’en Afrique, richesse ne mène pas toujours à sécurité et que cette dernière n’assure pas toujours le développement. D’où le défi pour l’Europe d’apporter à ses voisins et l’un et l’autre dans un climat marqué par :
- L’éclatement au niveau du Sud où les partenaires se présentent en ordre dispersé ;
- Le décalage entre les niveaux des pays aussi bien en matière de développement que de sécurité et ;
- L’absence de synergie entre l’effort de l’Europe et les potentialités des pays du Sud présentant des capacités de projection, dans une action commune envers les pays de la région nécessitant une aide pour leur sécurité et/ou leur développement.
Cette situation rend donc plus que jamais nécessaire une politique quasi personnalisée de la part des Européens envers leur voisinage du Sud.