Coopération contre la criminalité transnationale: Cas de la Zone de paix et de coopération de l’Atlantique Sud – ZOPACAS
Alors que la menaces, que la criminalité transnationale organisée présentait dans les années 70 était considérée comme étant secondaire, le changement de sa nature, l’augmentation de ses risques et sa stigmatisation de plus en plus soutenue comme étant responsable des instabilités politiques et de certains conflits internes , a poussé la communauté internationale, , à s’inscrire dans une logique de confrontation avec ses aspects les plus menaçants à la sécurité internationale.
Or curieusement c’est dans cette région, où sévissent les formes de criminalité les plus menaçantes, que l’architecture sécuritaire internationale présente le plus de déficits, et ce en dépit de la création depuis 1986 d’un mécanisme de coopération en matière de sécurité regroupant certains de ses Etats sous le nom de ‘’ Zone de Paix et de Coopération de l’Atlantique sud’’.
Le présent article vise à présenter, dans un premier temps, les causes de l’échec de cette organisation et les déficits qu’elle présente sur les plans de la conception et de l’organisation, avant d’arriver à la conclusion qu’il s’agit plus d’un instrument au service de certains Etats de la région pour le rééquilibrage de la distribution du pouvoir à l’échelon international, qu’un vrai mécanisme de coopération sécuritaire et encore moins de lutte contre la criminalité transnationale dans la région.""
Introduction
Parler de coopération en matière de lutte contre la criminalité transnationale dans la région de l’Atlantique Nord ne présente pas trop de difficultés, tant cette coopération est fortement institutionnalisée dans le cadre d’organisations régionales ayant conçus et mis en œuvre des politiques en la matière, reflétant leur ascendance, affirmant leurs identités et consacrant leur présence sur le plan international indépendamment de leurs Etats membres.
Dans la région de l’Atlantique Sud en revanche, l’étude d’une telle coopération s’avère être un exercice difficile, voire même laborieux car à l’exception de quelques actions initiées par des organisations internationales spécialisées, peu d’actions palpables ont été entreprises par les Etats concernés.
Pourtant l’idée d’instaurer une coopération en matière de sécurité dans le sens Sud – Sud entre l’Afrique et l’Amérique Latine n’est pas nouvelle. Elle remonte aux années 1980 lorsque, à l’initiative du Brésil, l’Assemblée Générale des Nations Unies avait voté une résolution portant création d’une Zone de Paix et de Coopération dans la région de l’Atlantique Sud, avec pour objectif d’y promouvoir l’assistance mutuelle, la paix et la sécurité.
La ZOPACAS (acronyme en portugais de cette organisation) compte vingt-quatre (24) Etats dont l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay du côté latino-américain, et tous les pays de la côte atlantique africaine à l’exception du Maroc et de la Mauritanie.
Ayant été conçue dans un contexte de guerre froide, c’était le paradigme réaliste en matière de sécurité qui a initialement présidé à la création de cette Zone, notamment l’hostilité à l’égard de toute présence militaire étrangère dans la région. Pourtant cette organisation aurait pu profiter du changement de la perception des menaces après la chute du mur de Berlin, afin d’imposer sa présence dans un autre domaine de sécurité, moins problématique sur le plan politique, à savoir celui de la lutte contre les menaces non conventionnelles dont la criminalité transnationale organisée et le terrorisme. Des projets de coopération ont certes ont certes été initiés dans ce sens, mais leur mise en en œuvre sur le terrain n’a pas été couronnée de succès pour plusieurs raisons liées à :
* L’inexistence d’une perception commune des menaces ;
* Le manque d’institutionnalisation, et ;
* L’absence des conditions requises pour l’émergence d’un Complexe Régional de Sécurité.
I. L’inexistence d’une perception commune des menaces
La Zone de Paix et de Coopération de l’Atlantique Sud peut être considérée comme étant la conséquence de deux événements historiques clés pour la région. D’un côté, la guerre froide et les menaces qu’elle représentait pour la sécurité dans la région, et de l’autre, la Guerre des Malouines avec la méfiance qu’elle créa à l’égard des Etats Unis et le discrédit qu’elle jeta sur l’ensemble des arrangements sécuritaires liées à ce pays, dont le fameux Traité Interaméricain d’Assistance Réciproque signé en 1947.
Le nouvel ordre international unipolaire ayant émergé au lendemain de la guerre froide a cependant fait que ces considérations militaires perdent leur pertinence sur le plan stratégique, ainsi qu’une grande partie de leurs capacités de mobilisation sur le plan politique.
On comprend dès lors que, dès les années 1990, l’intérêt des Etats membres de la Zone s’est tournée progressivement, au fur et à mesure de l’avancement de leur processus de sécuritization, vers les nouvelles menaces non conventionnelles, au même titre que vers les menaces classiques ayant initialement prévalu à sa création.
Dans le domaine de la prévention du crime, l’attention s’est ainsi focalisée sur le trafic de drogues, le commerce illicite des armes légères et de petit calibre, la piraterie maritime et les autres phénomènes connexes à la criminalité transnationale organisée tel le blanchiment de capitaux. Ce fut au cours de la réunion ministérielle de 2007 à Luanda que les Etats membres de la zone ont d’ailleurs commencé à parler, pour la première fois dans les annales de l’organisation, de la coopération contre ces phénomènes , non pas en termes génériques, mais en termes spécifiques en association avec des actions claires, et bien définies à savoir la formation et le renforcement des capacités institutionnelles.
Cependant, dans ce domaine spécifique de la lutte contre la criminalité transnationale, si les déclarations politiques ont le mérite de mettre le point sur les problématiques communes aux Etats concernées, elles ne sont pas à elles seules suffisantes pour la construction d’une coopération effective et solidaire en la matière. Cela est d’autant plus vrai pour la ZOPACAS qui, malgré la convergence des points de vue des Etats membres sur le plan de la rhétorique, force est de constater que, dans la pratique, la criminalité transnationale organisée donne lieu à de perceptions différentes aussi bien sur le plan stratégique que sur le plan tactique.
1. La perception stratégique des menaces
La position de la ZOPACAS à l’égard du phénomène de la criminalité transnationale ne peut être dissociée de l’emplacement géographique de cette organisation sur les deux rives de l’Atlantique Sud, et de l’idée corrélative que certains de ses Etats membres se font de cet espace maritime. Or, selon certains analystes, ce dernier se trouve à la croisée de deux perceptions; économique et géostratégique étroitement liées. La première, qui traduit une dépendance à l’égard de la mer pour la production de la richesse nationale, justifie la deuxième qui considère cet océan comme étant un espace dans lequel les Etats riverains peuvent [voir même doivent] renforcer leurs attributs de puissance.
En effet, l’analyse des actions de la ZOPACAS, prouve que la criminalité transnationale n’a jamais été traitée en tant que menace indépendante, mais toujours d’une manière subsidiaire à la lumière de son impact éventuel sur les intérêts économiques et stratégiques de certains pays dominants dans la zone.
Cette vision, conséquence d’une vieille doctrine militaire en vigueur dans des pays comme le Brésil, s’est davantage ancrée tant dans l’esprit que dans les pratiques des stratèges latino-américains pour, au moins, deux raisons. La première qui est d’ordre économique remonte à 2006, l’année qui a coïncidé avec la découverte d’importants gisements énergétiques, non
encore exploités, au large des côtes brésiliennes, tandis que la deuxième, qui est d’ordre militaire, est en relation avec le changement du concept stratégique de l’OTAN opéré en 2010 avec une tendance vers l’accroissement de sa présence dans l’Atlantique Sud.
Ainsi, même si cette organisation a apporté, à travers le Brésil, son assistance à certains pays africains dans le domaine de la lutte contre la criminalité transnationale, tout laisse croire que sous le couvert de cette assistance, ce sont plus les objectifs stratégiques qui sont recherchés, qu’un quelconque engagement clair dans cette lutte. Sinon comment expliquer :
* Qu’entre 1998 et 2007, période caractérisée par la régression des menaces militaires dans la zone, et la montée en puissance des menaces non conventionnelles, [particulièrement le trafic de cocaïne et le terrorisme], la ZOPACAS était totalement absente de la scène internationale ;
* Que la revitalisation de la ZOPACAS ait eu lieu juste après l’organisation par les Etats Unis en 2006 de manœuvres militaires au large du Cap Vert, et la réactivation en 2008 de la quatrième flotte américaine dans la région de l’Atlantique Sud ;
* Que les actions de coopération les plus importantes dans l’objectif de lutte contre la criminalité transnationale, ont été initiées dans des domaines qui font appel à des moyens militaires, telle la lutte contre la piraterie maritime ou le trafic de drogue par voie maritime.
Ce n’est donc qu’avec le changement du contexte, et l’apparition de nouvelles menaces militaires dans les années 2000 que les Brésiliens se sont rappelés de l’existence de cette organisation qu’est la ZOPACAS, compte tenu des avantages qu’elle peut offrir à travers son instrumentalisation au profit de leur politique national. C’est ce qui ressort, en tous cas , des aveux des responsables brésiliens eux même à l’image du chef de la division des Nations Unies au ministère brésilien des affaires étrangères qui a fait la déclaration suivante lors d’une interview au mois de Juin 2013 :
“There was an adjustment of foreign policy in the transition for the Lula government, a greater focus on South-South relations and to Africa in particular. And in the context of construction and rediscovery of mechanisms of cooperation with African countries, ZOPACAS emerged as something that already existed and that was worth investing in and developing further”
2. La perception tactique des menaces
Pour comprendre la position ‘’ ZOPACAS ‘’ sur le plan tactique, il convient de passer en revue les perceptions que les uns et les autres au sein de cette organisation se font de trois des plus importantes menaces qui pèsent sur la région de l’Atlantique Sud à savoir la piraterie maritime, le trafic de drogue et le terrorisme.
a. La piraterie maritime
Pour l’Afrique, outre le fait qu’elle constitue une menace économique pour les Etats de la région7, les risques de ce phénomène, sur le plan sécuritaire, ne cessent de prendre de l’ampleur. Ainsi, contrairement aux autres points noirs dans le monde tels l’Indonésie, le détroit de Malacca, le golfe d’Aden et le large des côtes somaliennes, qui ont enregistré une baisse de ces actes, le golfe de Guinée a en revanche connu une évolution non négligeable.
Selon le dernier rapport du Bureau Maritime International, le premier trimestre de l’année 2016 aurait été marqué par 10 Attaques et 44 prises d’otages dans la seule région aux larges des côtes nigérianes8.La manière d’opérer des pirates se caractérise par :
* L’extension du champ d’action des pirates vers des zones de plus en plus éloignées par rapport aux eaux territoriales de leurs pays respectifs ;
* La tendance à utiliser un armement sophistiqué dans les opérations d’abordage des bateaux, voire même des armes de guerre tels les roquettes ;
* Le recours intensif à la violence du fait que, dans la majorité des cas, les pirates agissent sous l’emprise de la drogue, notamment de produis psychotropes ;
* La prise d’otage quand les membres d’équipage ou autres passagers présentent les conditions de victimisation nécessaires à la demande de rançons.
En revanche, pour les pays de l’Amérique Latine, notamment le Brésil, l’importance de la piraterie maritime ne réside pas dans le fait que cette criminalité présente plus d’enjeux pour leur sécurité nationale que les autres formes de délinquance transnationale, mais dans sa nature qui la situe à la croisée des deux axes militaire et policier, avec une nette prédominance du premier par rapport au deuxième. Dès lors, l’instrumentalisation de cette criminalité, en tant que menace sécuritaire non-conventionnelle, permet de l’inscrire dans deux objectifs : un objectif patent de répression sous le couvert d’une assistance militaire, et un objectif latent de dissuasion contre toute prétention d’une quelconque puissance étrangère de s’affirmer comme acteur de sécurité dans la région.
Plus que dans les autres domaines de sécurité d’ailleurs, le Brésil a conclu neuf accords de coopération en matière militaire avec neuf pays de la côte ouest de l’Afrique. Ces accords dont la majorité a été contractés dans la cadre de la ZOPACAS, ont porté sur le renforcement des capacités, la formation, la doctrine militaire et les exercices maritimes.
b. Le trafic de drogue
Si le volume et la physionomie du trafic de cocaïne ainsi que ses conséquences sur l’Afrique ont déjà fait l’objet de plusieurs études, dont la reprise dans le cadre de cet article relèverait de la simple redondance10, il est par contre, nécessaire de focaliser sur une autre menace associée à ce trafic : à savoir les violences urbaines, liées à la consommation de cette substance, et dont l’une des manifestations les plus inquiétantes n’est autre que l’apparition d’une criminalité juvénile dangereuse dans certains pays africain à l’image du phénomène des « microbes » en côte d’Ivoire.
Les Etats de l’Amérique Latine accusent certes une certaine avance dans ce domaine étant donné qu’ils sont pour la majorité des pays producteurs ou de transit de drogues, mais l’effet de socialisation à travers le cinéma et les mass médias fait que l’écart entre les deux régions n’est que chronologique, car dans deux contextes presque similaires tel celui de l’Amérique Latine et de l’Afrique, les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets.
Pour les pays latino – américains, le trafic de drogue à destination de l’Afrique n’est en revanche pas une problématique nouvelle puisqu’il a toujours existé, notamment à partir du Brésil qui a le plus grand nombre de correspondances aériennes avec l’Afrique, et qui compte la plus grande communauté noire dans le monde après le Nigéria. Il a certes connu une augmentation considérable à partir de la deuxième moitié des années 2000 notamment par voie maritime et par voie aérienne, mais pas au point de représenter une menace sécuritaire supérieure à la normale.
La sécuritization de cette menace s’impose avec plus d’intensité dans le cadre du MERCOSUR, en raison du voisinage avec des pays producteurs de cocaïne tels le Pérou, la Bolivie et la Colombie, alors qu’avec l’Afrique il donne lieu aux trois perceptions suivantes :
* Une perception qui considère ce trafic comme étant une simple tendance conjoncturelle liée à un déplacement provisoire des routes des trafics, et non pas comme une problématique structurelle répondant aux conditions de la durabilité et de la permanence ;
* Une deuxième perception qui considère les menaces que représentent les nouvelles routes africaines comme étant équivalentes à celles déjà représentées par les autres routes classiques de transport de drogue vers les Etats Unis et l’Europe. Ainsi, le remplacement de l’un des itinéraires par un autre, voire même leur cumul ou l’augmentation des volumes des drogues acheminées donne des résultats analogues en termes de menaces pour cette région déjà connue comme étant un point de transit ;
* Une troisième perception, certainement la plus importante, est en relation avec une donnée culturelle dans certains milieux populaires en Amérique Latine, laquelle considère la production et le trafic de cocaïne comme étant une forme de lutte contre l’impérialisme américain. Les trafiquants de stupéfiants sont alors considérés comme étant des héros nationaux, et la cocaïne dans laquelle ils trafiquent est perçue, non pas comme une drogue, mais comme arme à disposition pour corrompre et affaiblir l’ennemi impérialiste.
Combinées, ces trois perceptions donnent lieu à une double attitude paradoxale à l’égard de la lutte contre le trafic de cocaïne en transit par les routes africaines. Une attitude d’acceptation au niveau du discours pour marquer leur soutien et leur solidarité avec les pays africains qui souffrent de ce fléau, et une attitude de laxisme, voir même de rejet, au niveau de l’action dans la mesure où il s’agit d’un engagement couteux qui ne va finalement servir que les intérêts des pays de destination finale de la cocaïne dont les Etats Unis et les autres pays de l’Europe.
Enfin, la lutte contre le trafic de drogue n’aura de sens que si la communauté internationale maintien le régime de prohibition sur lequel elle a, jusqu’à présent, fondé sa politique en la matière. Or, certains indices laissent croire que ce régime va vers plus de souplesse, ou pire encore vers un changement de perception de cette menace à l’échelon international.
En effet, les prémices de ce changement ont commencé à s’entrevoir au sein de certains cercles officiels en Europe et aux Etats Unis considérés comme étant les acteurs les plus importants de la gouvernance mondiale. Pour ce qui est de l'Europe, sa politique en la matière a depuis un certain temps déjà, commencé à concevoir la consommation de drogue comme étant, plus un problème de santé publique, qu’un problème de sécurité publique, tandis que pour les Etats Unis, une convergence des points de vue a commencé à être constatée entre ce pays et ceux de l’Amérique Latine à propos de certaines questions cruciales, dont celles relatives à la réduction de la demande, à la légalisation de la Marijuana, ainsi que sur les mesures d’éradication des cultures en tant que solution pour la réduction de l’offre.
Ainsi, contrairement aux pays maghrébins qui, dans le cadre du dialogue méditerranéen 5+5, s’érigent en rempart contre l’émigration clandestine à destination de l’Europe, les pays latino-américains de la ZOPACAS ne disposent ni de la perception suffisante, ni des moyens nécessaires pour l’externalisation de la lutte contre le trafic de drogue au profit des pays Africains.
c. Le terrorisme
La portée de cette étude ne permet pas d’adresser en détail les sources et les causes de l’expansion du terrorisme en Afrique qui font l’objet d’une documentation abondante sur les différents supports d’information. Cependant, en s’appropriant l’analyse de l’un des spécialistes en la matière, on ne peut que confirmer l’existence de deux couloirs de vulnérabilité au
terrorisme qui, en termes de menaces qu’ils représentent, rapprochent non seulement le continent africain, mais également le bassin méditerranéen de l’Atlantique Sud :
* Le premier et le plus ancien commence par l’Algérie en passant par le Mali et le Burkina Faso où les groupes terroristes affiliés à Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) qui s’étaient dispersés lors de l’opération Serval semblent de nouveau se réorganiser comme l’attestent les derniers attentats terroristes perpétrés au Sud du Mali, à Ouagadougou et, récemment à Abidjan en côte d’Ivoire ;
* Le deuxième, qui constitue la zone d’activité des groupes Daech et Boko Haram, part de la Libye sur la méditerranée à destination du Nigeria et le Cameroun sur l’Atlantique, en passant par le Niger et le Tchad dans la région du Sahel.
Outre cette proximité objective, il y’aurait également une autre proximité subjective révélée par le ministre sénégalais des affaires étrangères. En effet, lors d’un débat public organisé au mois d’Avril 2016 par le Conseil de Sécurité sur le problème de la piraterie maritime dans le golfe de Guinée, ce responsable sénégalais avait souligné qu’il y’aurait même des liens entre cette criminalité et le financement des activités terroristes dans la région.
Pour ce qui est de la rive latino – américaine de la ZOPACAS, le terrorisme similaire à celui qui sévit au Nigéria et dans la région du Sahel, est considéré comme étant une menace lointaine. Plusieurs facteurs contribuent à cette perception dont : la population dans les Etats de la région qui est pour sa majorité chrétienne, l’éloignement des Etats de l’Amérique Latine des foyers classiques de tension, l’inexistence de liens ethniques avec les pays pourvoyeurs des combattants étrangers, ainsi que leur faible engagement dans les opérations militaires contre le terrorisme en Afghanistan, en Irak, en Syrie, au Mali ou ailleurs dans le monde.
Les Etats Unis avaient certes signalé la région correspondant à l’intersection entre le Brésil, l’Argentine et le Paraguay comme étant une zone pouvant constituer un refuge, ou un lieu de transit idéal pour les terroristes d’obédience islamiste, mais peu d’éléments ont pu être vérifiées pour accréditer cette thèse.
3. Les conséquences
Ces deux perceptions tactique et stratégique influent sur les relations de la ZOPACAS tant avec l’Organisation des Nations Unies qu’avec les autres acteurs concernés par la sécurité dans la région de l’Atlantique Sud.
a. Les conséquences sur les relations avec les Nations Unies
Le dilemme de certains Etats membres de la ZOPACAS, dans leur relation avec l’Organisation des Nations Unies découle du fait qu’ils se retrouvent généralement contrebalancés entre leurs engagements politique de lutter contre certaines forme de criminalité transnationale, et le devoir parallèle de veiller à ce que cet engagement n’entre pas en contradiction avec la perception que la doctrine militaire se fait de la coopération sécuritaire dans la région en général.
C’est la raison pour laquelle ces Etats, tout en acceptant les projets de coopération initiés dans le cadre des Nations Unies saisissent en même temps les débats, dans l’enceinte de cette organisation, pour mettre le leadership de la ZOPACAS dans la région en valeur, et rappeler la position centrale que les Etats de cette zone doivent occuper dans la région. Lors d’un débat public organisé au mois d’Avril 2016 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la piraterie maritime dans le golfe de guinée, le représentant du Brésil a ainsi posé deux conditions pour toute coopération effective en la matière :
* La première condition est que la lutte contre ce phénomène doit être la responsabilité des seuls Etats de la région, lesquels joueront le rôle de chef de file dans toutes les actions entreprises ;
* Alors que la deuxième subordonne toute intervention étrangère dans ce domaine à la condition qu’elle se déroule en harmonie avec les objectifs et les principes de la Zone, à savoir le maintien de cette région comme Zone de Paix et de Sécurité, ainsi et le respect de l’intégrité territoriale, la souveraineté nationale et l’indépendance politique des Etats de la région.18
Outre les facteurs stratégiques, la crainte qu’inspirent de tels projets trouve également sa justification dans des considérations juridiques liées au fait que les aspects les plus visibles de la criminalité transnationale organisée dans la zone se manifestent dans l’espace maritime. Or, ce dernier se trouve au confluent de dispositions juridiques de deux natures dérivants de plusieurs instruments internationaux dont : la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 Décembre 1982, la Convention de Genève de 1988 sur le trafic illicite des stupéfiants, et l’accord sur le trafic de migrants additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée :
* Les premières dispositions garantissent la souveraineté des Etats sur leurs eaux territoriales, leur donnent des droits spécifiques en matière de police et de douanes sur les zones contiguës, et des droits économiques sur les Zones Economiques Exclusives [ZEE] ;
* Alors que les deuxièmes prévoient certaines dérogations à ces droits lorsqu’il s’agit de lutter contre certaines formes de criminalité transnationale organisées.
Ainsi, si l’on se tient aux seuls cas de la piraterie maritime, du trafic de drogue et des migrants par voie maritime, la mise en œuvre des dispositions du droit de la mer révèle l’inexistence de cloisons hermétiques entre la sécurité dans son sens réaliste et la sécurité dans sa dimension criminelle. En effet, la possibilité offerte aux navires de guerre, en vertu des conventions internationales pertinentes en la matière d’arraisonner, dans certaines conditions, les bateaux suspects d’implication dans des activités criminelles va conduire à une judiciarisation des contrôles maritimes, et par conséquent à un éventuel empiètement sur la souveraineté nationale des Etats riverains.
De ce fait, la ZOPACAS qui est en quelque sorte l’expression de la volonté brésilienne, opte pour une politique reposant sur l’instrumentalisation de la résolution 41/11 de l’Assemblée Générale des Nations Unies de manière à ce que l’idée réaliste ayant présidée initialement à la création de cette organisation soit maintenue à un niveau de pertinence suffisant pour pouvoir contrer toute tentative - de la part des puissances étrangères - d’utiliser la criminalité organisée comme alibi , et les Nations Unies comme instrument, pour se permettre une ingérence militaire dans la région, ou pire pour se permettre une quelconque atteinte à leurs intérêts stratégiques, voire même à leurs souverainetés nationales.
b. Les conséquences sur les relations avec les autres acteurs concernés par la sécurité dans la région de l’Atlantique Sud
L’idée centrale qui domine la politique de la ZOPACAS est de s’opposer à toute tentative de la part des autres puissances étrangères, visant à s’imposer comme acteur de sécurité dans la région de l’Atlantique Sud. L’un des exemples les plus significatifs de cette politique est le refus opposé par le Brésil à une initiative proposée en Juin 2009 par l’Espagne pour discuter des questions de sécurité dans cette région, en particulier des menaces liées au trafic de drogue, la piraterie maritime, et l’émigration clandestine.
Ainsi, contrairement à d’autres pays qui se sont fait représenter par leurs ministres des affaires étrangères, le Brésil n’était représenté dans cette réunion informelle, [qui a eu lieu à Lanzarote aux Iles Canaries,] que par un émissaire au rang d’ambassadeur. Selon certains observateurs, la position du Brésil à l’égard de cette initiative était déjà connue d’avance. « Il ne s’agissait pas de se déplacer pour rejeter finalement l’initiative, mais d’utiliser tout simplement ce déplacement pour asseoir sa position, et affirmer son leadership dans une région où il croit avoir des responsabilités qui procèdent de sa propre réalité géopolitique ».
Le contenu manifeste de la position brésilienne à l’égard de l’initiative espagnole cache en fait un contenu latent à savoir que ce n’est pas la coopération en elle-même qui est refusée, mais plutôt l’aptitude de cette coopération à répondre à ses attentes. La primauté des intérêts stratégiques, et le sentiment de force émergente qui domine ces centres de décision font que, par principe, le Brésil ne conçoit les modes d’organisation collective qu’à la condition qu’elles soient façonnées à la brésilienne, à savoir leur instrumentalisation au profit de sa politique internationale, notamment son objectif de redistribution du pouvoir au niveau de la gouvernance internationale.
Ce même sentiment de force émergente étaient d’ailleurs derrière la réplique du Brésil à l’initiative, prise en 2008, par les Etats Unis de déployer leur 4eme flotte dans la région de l’Atlantique Sud aux motifs de la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et la piraterie maritime. Ces objectifs déclarés par les Etats Unis, et qui relèvent théoriquement de la simple lutte contre la criminalité, n’ont semble-t-il pas convaincu les responsables brésiliens pour qui le fait de ranimer ce dispositif, 50 ans après sa mise en veille, contient de sérieux motifs de suspicion sur les vraies intentions à travers son déploiement.
On peut ainsi dire que le phénomène de la criminalité transnationale au sein de la ZOPACAS donne lieu à l’existence de deux perceptions :
* Une perception du côté africain, ou du moins du côté de la majorité des pays africains, qui considère cette criminalité comme étant une menace, en elle-même, en raison des effets négatifs qu’elle génère sur les plans politique, économique et social ;
* Une autre perception du côté latino-américain et notamment du côté du Brésil pour qui le caractère menaçant de cette criminalité, réside moins dans les conséquences qu’elle pourrait avoir sur leur sécurité nationale, que dans le risque qu’elle puisse être utilisée par les puissances étrangères comme excuse pour se permettre une quelconque ingérence dans les affaires de la région de l’Atlantique Sud.
II. Le manque d’institutionnalisation
La construction d’une coopération en matière de lutte contre la criminalité en générale s’entend dans la doctrine policière comme un étant le « passage réel d’une coopération informelle à une coopération formelle », d’une coopération au cas par cas à une coopération inscrite dans la durée et institutionnalisée. Elle ne résulte donc pas de « sa seule reconnaissance politique », comme il est le cas pour la ZOPACAS, mais de l’existence de deux éléments fondateurs essentiels, à savoir les cadres juridique et institutionnel.
1. Le cadre juridique
Contrairement aux autres organisations régionales, la ZOPACAS n’a pas été créée en vertu d’un traité dument négocié entre les Etats parties, mais par une simple résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies. Or, si théoriquement cette assemblée peut, à la demande de certains Etats concernés, déclarer telle ou telle région du monde comme étant une Zone de Paix et de Coopération, cette déclaration demeure une simple déclaration, et ne peut par conséquent être assimilée à un acte constitutif d’une quelconque organisation, en particulier une organisation régionale.
Cela étant, on remarque durant ses trente années d’existence, que cette organisation n’a rien entrepris de concret qui puisse attester de son avancement vers la création d’un cadre juridique pour l’encadrement de ses activités politiques, et encore moins pour la gestion d’une quelconque coopération opérationnelle dans quelque domaine que ce soit. Même après l’émergence des menaces non conventionnelles dans les années 1990, c’est toujours la même rhétorique qui se répète dans ses déclarations ministérielles sur les objectifs de la zone, sur l’importance de la coopération pour la réalisation de ces objectifs, sur les soient disant plans d’action, ainsi que sur l’assistance que les organes spécialisés des Nations Unies doivent lui apporter.
L’impression que la ZOPACAS donne dans ce domaine c’est qu’elle n’a ni les capacités ni même la volonté de faire la conception de solutions autres que celles déjà imaginées par le système international. Par manque de moyens ou par choix politique, les Etats parties semblent se contenter du minimum, même si ce minimum ne répond pas aux objectifs qu’ils déclarent dans leurs plans d’action ni aux enjeux sécuritaires auxquels ils sont appelés à faire face dans ce domaine.
Cela explique, entre autres, le fait que lors de la session de 1998 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, le représentant du Brésil a présenté la conclusion d’accords bilatéraux entre les Etats membres de la Zone comme étant un indicateur de succès, alors que de tels accords n’apportent aucune valeur ajoutée par rapport à ce que l’Organisation des Nations Unies fait depuis longtemps déjà dans ce domaine. Cette dernière, non seulement encourage les Etats membres à conclure des accords bilatéraux, mais elle leur apporte l’assistance nécessaire à travers ses experts et les traités types qu’elle met à leur dispositions.
Ainsi, outre le fait qu’il ne s’agisse pas d’une solution inédite, cette approche est d’autant plus limitée que du point de vue opérationnel, le fait de fonder les relations sur de simples accords bilatéraux constitue le niveau le plus bas de tout projet de coopération en matière sécuritaire. En effet, si de tels accords peuvent avoir une certaine utilité en matière d’extradition par exemple, ils ne peuvent en eux-mêmes, en l’absence d’un cadre de coordination multilatérale, faire face à un phénomène aussi mouvant et itinérant que la criminalité transnationale organisée.
L’assistance de certains organismes internationaux spécialisés tel l’Office des Nations Unies Contre la Drogue et le Crime (ONUDC), ainsi qu’Interpol aurait pu faire avancer les choses, mais la ZOPACAS a toujours dénoncé le peu de soutien et de financement accordé par la communauté internationale à ces organismes pour qu’ils soient en mesure de lui apporter le soutien nécessaire.
2. Le cadre institutionnel
On ne peut traiter du cadre institutionnel de lutte contre la criminalité transnationale organisée, au sein de la ZOPACAS, sans susciter les questions liées à la superposition entre son mandat initial d’organisation politique concourant à la paix et à la sécurité qui relèvent du domaine de la prévention, et son nouveau mandat de la lutte contre la criminalité transnationale qui relève du domaine de la répression.
Il est dans ce cadre très intéressant de signaler qu’en déclarant la région de l’Atlantique Sud comme étant une Zone de Paix et de Coopération, la résolution 41/11 de l’Assemblée Générale des Nations Unies n’avait pas pour objectif de statuer sur un nouveau problème de sécurité internationale, mais de confirmer, entre autres, le principe déjà existant des zones dénucléarisées, consacrées en vertu d’instruments internationaux négociés avant même la naissance de la ZOPACAS.
Ce n’était donc pas un acte de défense dirigée par les initiateurs de la résolution contre un ennemi bien précis [Bien que la menace ne puisse hypothétiquement venir que du nord], mais un simple mécanisme de garanties internationales de sécurité collective, formalisé par une déclaration à caractère général, adressée à tous les Etats pour faire de la région de l’Atlantique Sud un espace de paix et de coopération.
Inversement, la coopération en matière de lutte contre la criminalité transnationale organisée suppose l’existence d’une menace réelle, et d’un ennemi connu quoi que non identifié. La lutte contre cet ennemi s’assimile à un acte de défense, et se réalise, non pas au moyen de déclarations politiques ou autres plans d’action, mais par des activités concrètes sur le terrain précédées par un travail sur le plan institutionnel pour la mise en réseau des professionnels de la police et de la justice dans les pays membres.
Ainsi, même si dans les deux cas les deux termes sont identiques puisqu’ils référent à la sécurité, ce qu’ils recouvrent concrètement en terme d’engagement n’est pas du tout le même. Pour le maintien de la paix et de la sécurité dans le sens de la résolution de l’Assemblée Générale 41/11, il s’agit d’une simple obligation générale d’abstention, alors que pour la lutte contre la criminalité transnationale organisée il s’agit d’une obligation d’action, avec tout ce que cette action exige en termes d’accords multilatéraux entre les Etats parties, d’harmonisation de lois, et de recours aux mécanismes de coopération policière et judiciaires internationales tels que consacrés par les instruments internationaux en la matière.
Cette confusion entre les deux mandats politique et sécuritaire a fait que la logique pour répondre aux menaces, représentées par la criminalité transnationale, a été inversée. Ainsi, la première étape n’a pas été de penser ces menaces en vue de cerner leurs contours et d’imaginer les architectures qui correspondent à leur nature, mais d’utiliser la structure existante, qu’est la ZOPACAS, puis élargir sa compétence de manière à ce qu’elle puisse traiter aussi bien d’affaires politico- militaires, que d’affaires de criminalité transnationale. Ce qui s’est finalement passé n’est qu’une extension du concept réaliste de sécurité qui était en vigueur à l’époque, pour couvrir les nouvelles questions de sécurité humaine, sans se poser la question en quoi cette extension influerait sur la zone en termes d’organisation et de fonctionnement.
3. Les conséquences
Pourtant, la question à propos de cette nature est d’une importance cruciale dans la mesure où, la confusion la concernant, influe négativement sur la ZOPACAS en termes de:
* Visibilité par rapport au système international ;
* D’efficacité en tant qu’outil de coopération internationale, et ;
* De la fiabilité en tant qu’acteur de la sécurité mondiale.
a. La visibilité par rapport au système international
L’exemple le plus significatif relatant le manque de visibilité de la ZOPACAS à l’échelon international s’illustre dans les rapports des différents organes des Nations Unies adressés au Secrétaire Général de cette organisation sur les mesures d’assistance qu’ils apportent à la zone pour la réalisation de ses objectifs en application des dispositions de la résolution 41/11 de l’Assemblée Générale des Nations Unies.
Il est ainsi frappant de constater que ces organes dans leur majorité, ne font jamais expressément mention à la « ZOPACAS » comme ayant, elle-même en tant qu’organisation, fait l’objet de mesures spécifiques d’assistance, mais toujours implicitement en faisant passer des activités initiées dans un cadre global, ou dans le cadre d’autres organisations régionales, comme étant des activités entreprises dans le cadre de leur assistance, [ non pas à la zone] mais aux « Etats membres de la zone ».
b. L’efficacité en tant qu’outil de coopération régionale
Pour ce qui est de l’organisation, le manque d’institutionnalisation aboutit à la dilution des stratégies de lutte contre la criminalité dans des concepts militaires. Or, cette dilution entraine trois conséquences aussi néfastes les unes que les autres, sur l’efficacité de la coopération au sein de la ZOPACAS, voir même sur l’avenir de cette organisation comme acteur international dans le domaine de la sécurité.
* La première conséquence est d’ordre stratégique vu que, tant du côté africain que du côté latino-américain, ce sont les militaires qui monopolisent les pouvoirs de conception et de décision au sein de la ZOPACAS. Or, la militarisation [directe ou par ascendance] de la police est loin d’être la bonne solution pour la lutte contre la criminalité en général, et encore moins la criminalité transnationale.
* La deuxième conséquence est d’ordre tactique étant donné qu’en matière de coopération internationale, la diffusion des responsabilités aboutit généralement à une inflation des centres de décision et fera que, sur le plan opérationnel, deux ou plusieurs institutions peuvent se mettre sur la même affaire avec des méthodes d’investigation, voire même des objectifs contradictoires ;
* Le troisième est d’ordre éthique, vu que la rivalité entre les deux corps policier et militaire intervient dans un domaine où le risque de corruption est fortement présent.
c. La fiabilité en tant qu’acteur de sécurité internationale
Aux termes de la résolution 41/11 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, l’un des objectifs pour lesquels la Zone de Paix et de Coopération a été créée est de contribuer au renforcement de la paix et de la sécurité dans la région de l’Atlantique Sud, et de servir les principes et objectifs de l’Organisation des Nations Unies. Ainsi, telle que formulée, cette résolution comporte une double obligation :
* Pour la ZOPACAS, de s’inscrire dans une approche plus globale de sécurité pour répondre à la responsabilité qui lui incombe à cet égard, et ;
* Pour les autres Etats et organisations régionales à vocation similaire, de reconnaitre cette zone [ZOPACAS] comme étant une composante à part entière de l’architecture sécuritaire internationale.
Toutefois, le rassemblement autour de cet objectif ne s’est jamais réalisé par manque de reconnaissance de cette organisation par les puissances occidentales, mais surtout à cause des déficits qu’elle accuse sur le plan institutionnel. Ainsi, et pour s’en tenir au seul domaine de la lutte contre la criminalité transnationale, l’exemple le plus pertinent de ce manque de reconnaissance est celui de l’Union Européenne dont la stratégie de Sûreté Maritime reconnait les Nations Unies, l’OTAN, l’Union Africaine et même l’ASEAN comme partenaires crédibles pour la réalisation de ses objectifs de multilatéralisme maritime, mais aucune allusion n’est faite à la ZOPACAS, qui est pourtant la seule organisation existante en matière de coopération sécuritaire dans la région de l’Atlantique Sud.
Même au niveau de de la ZOPACAS, elle-même, certains Etats membres parmi les pays africains accordent peu d’intérêt à cette organisation en tant qu’acteur fiable de la sécurité internationale. Cette prise de position se traduit à travers :
* Le nombre d’Etats qui répondent aux notes verbales du Secrétaire Générale des Nations Unies pour solliciter leurs avis sur les questions concernant la Zone. En 2015 par exemple, aucun pays africain n’a répondu à la note adressée dans ce sens, bien que son contenu fût en relation avec la mise en œuvre du plan d’action adoptée en 2013 à l’issue de la réunion ministérielle de Montevideo ;
* La pertinence des actions de coopération qu’ils entreprennent dans le cadre de leurs relations avec l’UE et certains pays occidentaux, en comparaison avec celles entreprises dans le cadre de la ZOPACAS. Ainsi, contrairement aux Etats puissants de la zone, la marine française est par exemple omniprésente aux larges des côtes ouest africaines où elle opère pour la lutte contre la piraterie et le trafic de drogue par voie maritime.
III. L’absence de conditions requises pour l’émergence d’un Complexe Régional de Sécurité
Derrière cette divergence d’intérêts au sein de la ZOPACAS apparait la quatrième difficulté à laquelle se heurte cette organisation, à savoir l’insuffisance des conditions pour l’émergence d’un complexe de sécurité qui serait spécifique à la région.
Cette difficulté résulte certes de l’inexistence d’une réelle volonté politique pour la construction d’un vrai espace de coopération régionale, mais elle résulte également de considérations géographiques en relation avec l’emplacement de la ZOPACAS sur les deux rives de l’Atlantique. En effet, selon la théorie développée par Barry Buzan, l’émergence d’un complexe régional de sécurité est subordonnée aux deux conditions suivantes :
* L’existence d’un groupe d’Etats dont les soucis primordiaux de sécurité sont suffisamment et si étroitement liés que la sécurité nationale d’aucun d’entre eux ne peut être réellement appréhendée séparément de celle des autres ;
* Que le groupe en question forme un bloc territorialement homogène où les Etats partagent des frontières communes. Leurs problèmes de sécurité dépendent ainsi davantage de leur voisinage immédiat que d’autres facteurs distants.
Au terme de cette théorie, les Etats membres de la ZOPACAS se trouvent donc partagés entre plusieurs concepts régionaux de sécurité correspondants chacun au bloc territorial auquel chacun des Etats de la zone appartient, à savoir le MERCOSUR pour les Etats latino-américain, et les communautés économiques (CEEDAO – CEEAC etc.) pour les Etats africains.
On est ainsi confronté à une double fragmentation du concept de sécurité aux deux niveaux horizontal et vertical :
* Au niveau horizontal entre les pays de l’Afrique et ceux de l’Amérique Latine [Argentine – Brésil – Uruguay] à cause de l’océan qui s’oppose comme barrière, et cause de la distance qui atténue le degré d’interdépendance sécuritaire entre les deux rives, vu que les menaces se déplacent plus facilement sur les courtes que sur les longues distances ;
* Au niveau vertical entre les pays de l’Afrique eux-mêmes, vu qu’ils appartiennent à différentes organisations régionales, ayant chacune sa propre perception des menaces sécuritaires en général, et des menaces non conventionnelles en particulier.
Ce problème se pose avec une acuité d’autant plus grande pour la ZOPACAS que, contrairement à d’autres espaces maritimes similaires, aucune des organisations régionales des deux côtés de l’Atlantique ne présente les conditions de supériorité nécessaires pour permettre à l’une d’elle d’imposer sa perception à l’autre. Les difficultés dans ce cadre, se posent aux deux niveaux suivants :
* La faiblesse d’attraction de ces organisations régionales en raison de l’absence de fortes incitations économiques, ou autres avantages politiques, comme il est le cas par exemple entre l’Union Européenne et son voisinage en Méditerranée et en Europe de l’Est.
* L’incapacité pour les mêmes organisations des deux côtés de l’Atlantique à produire l’effet de socialisation nécessaire à toute intégration politique, sécuritaire ou autre.
Sans organes de direction, et sans travail conceptuel pour poser les jalons d’une doctrine claire, la ZOPACAS continuera à donner l’aspect d’un forum fade et sans contenu. Elle n’est :
* Ni une organisation d’appartenance qui, dans le cas d’espèce, correspond plus aux organisations régionales territorialement homogènes dans lesquelles les Etats membres de la zone se sentent plus à l’aise ;
* Ni encore moins une organisation de référence étant donné que, durant ses trente ans d’existence, elle n’a pas été en mesure de produire un système de valeur qui lui est spécifique pour permettre la construction d’une identité commune.
Pour pouvoir surmonter ces problèmes, le Maroc avait, au mois de Mai 2009, fait la proposition pour la création d’une Conférence Ministérielle des Etats Africains Riverains de l’Atlantique. Cette proposition présente l’avantage méthodologique d’avoir commencé par le commencement, à savoir le travail sur le plan conceptuel pour l’élaboration d’une « vision africaine commune sur cet espace », et pour « la construction d’une identité Atlantique africaine ».
En raison de sa pertinence sur le plan méthodologique, la même approche aurait dû être adoptée de l’autre côté de l’Atlantique. Si cela avait été fait, les experts qui en seraient les concepteurs auraient découverts à quel point il est pertinent d’associer, la Mauritanie et le Maroc, à tout projet de sécurité dans la région, en raison de la longueur de leurs façades maritimes sur l’océan Atlantique, et à quel autre point il est incongrue que le principal pays de transit de la cocaïne à destination l’Afrique, à savoir le Venezuela, ne fasse pas partie des Etats membres de la ZOPACAS.