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Cohésion Sociale, Institutions et Politiques Publiques

Ihssane Guennoun | November 07, 2017

En juillet 2017, l’OCP Policy Center a publié un ouvrage collectif intitulé Cohésion Sociale, Institutions et Politiques Publiques sous la direction du Professeur Abdallah Saaf, Senior Fellow à OCP Policy Center. Cet ouvrage est le fruit des différentes réflexions échangées à l’occasion d’une conférence organisée le Jeudi 27 Octobre 2016 qui se sont traduites par des contributions écrites. A cette occasion, les auteurs se sont donné comme objectif d’éclairer la notion de « cohésion sociale » en traitant de son histoire, ses implications ainsi que son implémentation à travers différents chapitres. Alors que le Maroc se développe sur le plan économique, les revendications sociales croient en parallèle ce qui nécessite d’assurer une cohésion sociale garante d’une paix sociale.

Ce Policy Brief se propose de revenir sur la notion de cohésion sociale dans son origine en sociologie, de présenter brièvement l’évolution du Maroc sur le plan sociétal et enfin, de revenir sur les idées phares développées dans le livre.

I. La cohésion sociale : retour sur ses origines en sociologie

Pourquoi parler de cohésion sociale ? A l’origine de l’expression, on retrouve le mot latin ‘cohaesio’ qui renvoie à la notion d’être ensemble, d’adhésion et d’union. Chaque individu participe d’une manière ou d’une autre au maintien de cette cohésion à travers les différents liens qu'il entretient dans une société ainsi qu’à travers son identification à sa communauté et son sentiment d’appartenance à son territoire. La cohésion sociale suppose une convergence des intérêts communs, une implication des individus dans les activités sociales et leur capacité à vivre en harmonie dans leur communauté.

Emile Durkheim, célèbre sociologue a étrenné dès 1893 le terme de cohésion sociale afin de dresser le portrait d’une société où la solidarité entre individus est régulière et les liens sociaux sont solides. La cohésion sociale s’exprime également à travers la coopération des individus d’une même société qui s’identifient comme appartenant au même système social. Aujourd’hui, la cohésion sociale renvoie également aux efforts des décideurs publics pour implémenter un volet social dans les politiques publiques. Cela n’implique pas pour autant qu’il existe une lutte contre les inégalités et de la même manière, l’existence de cohésion sociale est indépendante de la présence de conflits sociaux.

Traiter de la cohésion sociale, puise son intérêt dans le fait que les questions d'intégration et d’exclusion sont des problématiques prioritaires pour toute société qui désire garantir son développement tout en assurant le bien-être de ses citoyens. En effet, la cohésion sociale est fortement liée au niveau de confiance que les citoyens ont dans les institutions, ce qui les encourage à s’engager individuellement pour le bien collectif. Les réponses à ces problématiques ne peuvent provenir de l’extérieur et doivent fournir des réponses concrètes sur la base d’une compréhension des enjeux locaux.
De la même manière, Henri Bergson a parlé de cohésion sociale comme étant « la nécessité pour une société de se défendre contre d'autres. »  Selon lui, elle permet de se prémunir contre les valeurs négatives pouvant provenir d’autres sociétés que les individus d’une même société nouent des liens entre eux. A ce titre, Bergson justifie l’amour que l’on ressent envers nos concitoyens comme un besoin primitif de se prémunir contre les menaces externes. La cohésion sociale étant alors le résultat de ce besoin primitif. 

Par ailleurs, la cohésion sociale repose sur un partage de valeurs, de traditions, de culture mais aussi, sur une histoire partagée. Si la cohésion sociale - le dénominateur commun de ces éléments - n’existe pas, la société peut être menacée à la fois de l’extérieur, comme de l’intérieur. Lorsque la cohésion sociale est assurée dans une société, elle peut contribuer à son développement économique. Toutefois, le développement économique n’implique pas forcément l’existence de cohésion sociale. 

Ainsi, les acteurs de la société civile ont un rôle à jouer pour garantir cette cohésion sociale à travers les différentes associations et organisations communautaires qui existent. La responsabilité des acteurs locaux tels que les syndicats, les communautés, les partis politiques, les acteurs culturels et financiers n’est pas à négliger bien que leur influence et leurs effectifs se sont réduits dans plusieurs pays. Le défi demeure cependant d’inculquer aux acteurs de la société civile un sentiment de responsabilité dans un contexte où les libertés individuelles sont prioritaires en comparaison avec les intérêts de la collectivité. En effet, il s’agit pour eux de se sentir concernés par le développement de leur quartier, localité ou région.  En revanche, on assiste à un essor d’organisations non gouvernementales et d’associations qui œuvrent en partenariat avec les pouvoirs publics à l’édification et au renforcement de la cohésion sociale. Dans un scénario idéal, les acteurs locaux seraient en mesure de trouver des solutions aux défis sociaux de leurs quartiers qu’ils pourraient ensuite suggérer à l’Etat lorsqu’ils n’ont pas la capacité de les mettre en œuvre. 

Quel rôle alors pour les institutions publiques dans la cohésion sociale ? Au-delà du rôle de tout un chacun, l’Etat possède une responsabilité dans la garantie de la cohésion sociale. En effet, il revient à lui seul de mettre en place les institutions nécessaires qui permettent aux individus de prendre en main leur cohésion dans la société. La cohésion sociale se voit davantage renforcée lorsqu’il existe des liens entre les acteurs de la société et le gouvernement. De plus, un contexte favorable à la participation citoyenne dans les politiques sociales contribue à une meilleure efficacité de la cohésion sociale. 

II. Le Maroc : entre évolution et revendications sociales

Le Maroc était caractérisé dans le passé par une société où l’intérêt commun primait sur l'intérêt individuel. Plus encore, le Maroc se distinguait par une solidarité mécanique par opposition à la solidarité organique telle que mise en avant dans la théorie sociale de Durkheim. Le concept de ‘lejmat’ dans la culture Amazighe étant très illustratif à cet égard. Sous l’influence de la mondialisation, cette tendance s’est inversée aujourd’hui et a progressivement laissé place aux valeurs d’égocentrisme. Bien que le Maroc jouisse d’un développement économique et social, sa croissance ne s’est pas nécessairement accompagnée d’un ajustement des inégalités. En effet, la croissance économique n’a pas engendré une transformation du système de production qui pourrait provoquer des changements sociaux nécessaires au bien être des individus.  Ainsi, force est de constater que l’un des défis du Maroc est de corréler positivement la prospérité économique avec la cohésion sociale. Selon la théorie sociale, ce défi repose sur deux facteurs principaux. D’une part, l’Etat éprouve du mal à gérer les besoins sociaux des citoyens, plus particulièrement dans le monde rural, et d’autre part, le modèle de développement économique du Maroc ne répond pas aux impératifs d’inclusion des femmes et des jeunes dans le marché du travail et ne prend pas en considération les inégalités sociales .  

L’Etat marocain se voit confronté à d’autres défis qui le forcent à rassurer ses citoyens. Avec l’effet d’une croissance volatile conjuguée à une urbanisation fragilement gérée, de nouvelles attentes sociales émergent chez les citoyens, d’où le besoin d’un dialogue social. L’ensemble de ces éléments obligent donc le gouvernement à répondre en intégrant une dimension sociale à ses politiques. C’est dans cette perspective que le Maroc a mis en place des politiques sociales en matière de logement, d’éducation et de lutte contre la pauvreté.

Par ailleurs, et depuis la fin des années 1990, le Maroc s’est progressivement ouvert en accordant davantage de libertés aux citoyens. Dans ce contexte favorable, une société civile a commencé à voir le jour notamment à travers différents mouvements sociaux et associatifs.  Plus récemment, le pays a été marqué par des mobilisations contestataires qui portaient sur des revendications politiques et sociales. Selon le modèle de spirale inflationniste des attentes , plus un pays s’améliore sur le plan économique et plus les attentes de sa population seront croissantes. Cela s'est confirmé car le modèle de développement économique du pays a concentré les richesses entre les mains d’une catégorie de la société ce qui a provoqué l’exclusion d’autres classes sociales. Par conséquent, plusieurs couches de la société ne se sentaient plus appartenir à la même société ce qui a considérablement affaiblit les mécanismes qui protégeaient la cohésion sociale au Maroc. 

Cependant, la cohésion sociale demeure une construction fondée sur un héritage commun d’un ensemble d’éléments ethniques, religieux, culturels et linguistiques. Elle ne constitue pas une fin en soi mais plutôt une trajectoire qui s’adapte et se renforce au fil de la consolidation des diversités sociétales.  

III. Aperçu et axes marquants de l’ouvrage

L’ouvrage collectif sur la Cohésion Sociale, Institutions et Politiques Publiques , à l’initiative du Pr. Abdallah Saaf, a regroupé plusieurs experts qui se sont intéressés à la problématique de la cohésion sociale au Maroc. Il puise son intérêt dans la fragmentation sociale qui résulte d’une cohésion sociale fragile ainsi que dans les défis de consolidation de cette dernière dans un contexte de conflictualité sociale. Ainsi, il se propose d’aborder les processus de construction, de consolidation de la cohésion sociale mais aussi, du rôle des acteurs gouvernementaux et de la société civile dans son renforcement.
De plus, les auteurs tentent d’explorer le lien entre les institutions et les politiques publiques avec la cohésion sociale. A travers deux parties, l’ouvrage présente dans un premier temps les enjeux de la cohésion sociale sur le plan économique et social avant de se pencher dans un second temps sur les enjeux de la cohésion sociale sur le plan institutionnel.
Dans la première partie, plusieurs problématiques qui attraient aux aspects économique et social de la cohésion sociale ont été abordées, à commencer par les fondements historiques de la cohésion sociale au Maroc qui seront développés par Abdelmajid Kaddouri, Historien et ancien Doyen de la Faculté des Lettres de Casablanca. Ainsi, il dresse l’évolution historique du Maroc en mettant l’accent sur l’amazighité, l’Islam et l’arabisation, l’influence de la culture andalouse ainsi que de la culture occidentale. L’ensemble de ces éléments permettent ensuite de comprendre comment la cohésion sociale est renforcée au Maroc ce qui fait l’objet de la deuxième partie de son chapitre. A travers la présentation de l’Islam comme religion jouant un rôle important dans la cohésion sociale, l’auteur prend l’exemple de la prière du vendredi et du pèlerinage pour illustrer le rassemblement de croyants autour d’une même pratique de masse. L’exemple des Zaouïas est également évoqué comme une solidarité sociale qui se révèle grâce à ses croyances et pratiques communes. Enfin, le dialecte marocain à référence amazigho-arabe vient renforcer les liens entre les citoyens. 

Les enjeux de la participation citoyenne ainsi que les politiques sociales seront étayés par Mustapha El Mnasfi ainsi que Meryem El Anbar. Quant à l’entrepreneuriat social, Mohamed Ait Lemkeddem s’est proposé d’étudier comment il constitue un vecteur essentiel pour la cohésion sociale à travers sa structure, son organisation et son mode de gouvernance. Le pluralisme culturel a également fait l’objet d’un chapitre rédigé par Hassan Danane dans lequel il s’intéresse à l’autonomie individuelle comme base de l’émergence d’un nouveau type de lien social. Enfin, il ne pouvait être question de clôturer cette première partie sans que l’intégration du Maroc ne soit replacée dans son contexte international et régional. C’est ce que Mohammed Haddy a fait à juste titre en dressant le tableau du contexte régional et international du pays afin d’introduire les différents leviers de la cohésion sociale.

Dans la seconde partie, les auteurs ont levé le voile sur les enjeux institutionnels de la cohésion sociale. Ainsi, Aicha El Aidouni a décrit dans son chapitre les efforts de promotion de la cohésion sociale au Maroc entre 2011 et 2016 en prenant pour exemple l’Initiative Nationale de Développement Humain (INDH). Dans le chapitre suivant, Ouafae Essalhi étudiera le lien entre cohésion sociale et conflit de lois qui vise à établir le statut juridique du concept en droit international privé. A ce titre, elle abordera les conditions de forme et de fond du mariage pour les marocains résidents à l'étranger. A travers une étude de cas de la ville de Marrakech, Bouchra Sidi Hida a analysé dans son chapitre le processus d’urbanisation de la ville sous l’angle de la cohésion sociale. En outre, le rôle des collectivités locales s’est naturellement imposé car elles constituent des espaces institutionnels cruciaux dans la perpétuation de la cohésion sociale, si bien que Christophe Mestre s’y est attardé en proposant des leçons du terrain ainsi que des conditions renforçant la dynamique entre les collectivités locales et la cohésion sociale. Il a également mis l’accent sur la nécessité de renforcer la décentralisation qui, selon lui, est un prérequis afin de braver les défis contemporains de la cohésion sociale. Enfin, Jean Michel Caudron propose une approche intéressante dans laquelle il se demande si l’expérience marocaine ne représenterait pas une troisième voie entre la Famille providence et l’État-providence. Il tente d’y répondre en dressant l’état du vieillissement de la société marocaine, l’émergence d’une politique de vieillesse au Maroc mais aussi, à travers l’étude d’une analyse de l’Enquête Nationale sur les Personnes Agées (ENPA) au Maroc en 2006. 

Au-delà des sujets qu’il traite, cet ouvrage propose donc une réelle réflexion sur le concept de cohésion sociale et invite les lecteurs à s’interroger sur des moyens de participer à sa consolidation. Aujourd’hui, la cohésion sociale au Maroc fait face à plusieurs défis que Driss Guerraoui  a résumé en quatre éléments dans un article paru chez le quotidien L’Economiste . Il évoque ainsi la crise du secteur de l’enseignement, la non-généralisation de la protection sociale, la persistance du chômage, et enfin, les défis de gouvernance des politiques publiques en matières d’action sociale et de solidarité. Face à ces défis, plusieurs pistes sont proposées dans l’ouvrage, notamment la question de l’Economie Sociale et Solidaire ou encore l'entreprenariat social auxquels les citoyens peuvent contribuer pour renforcer la cohésion sociale. En somme, la cohésion sociale ne doit pas être perçue comme une fin en soi mais davantage comme un processus en perpétuelle amélioration. 
 

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