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Architecture Africaine de Paix et de Sécurité : Pertinence dans la conception et difficultés dans les réalisations

Abdelhak Bassou | March 06, 2017

La grande question qui interpelle les Africains, dans le domaine de la sauvegarde de la Paix et de la sécurité, reste celle de savoir si l’organisation panafricaine qui ambitionne de mener le continent vers la paix et la prospérité auxquelles le prédisposent ses potentialités de ressources humaines et matérielles, peut assurer la réalisation de ces ambitions avec ses propres institutions ? Autrement dit l’Union Africaine peut-elle gérer les crises africaines avec des moyens africains indépendants ?

Cette question principale en appelle d’autres qui sont intermédiaires :
- Qu’est-ce que l’AAPS et quelles sont ses composantes principales ?
- Quelles relations entre les structures chargées de la paix et de la sécurité en Afrique ?
- Quelle coordination régule la coopération entre les CER, le conseil de paix et de sécurité de l’UA, la Commission voire même la Conférence ?

Quelle est l’importance, l’ampleur ou la nécessité de l’intervention extérieure ?
Les institutions mises au point par l’Union Africaine à cet égard ne souffrent ni de manque de pertinence ni de défaut de conception. Certains réglages restent cependant nécessaires à la fonctionnalisation et à l’opérationnalisation des structures institutionnelles mises en place avec à leur tête le conseil de paix et de sécurité qui gère l’Architecture africaine consacrée à la cause de la paix.

Introduction

1. Un besoin mondial de missions de paix et de sécurité

Le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde est l’une des missions primordiales sinon la mission essentielle dont est investie la communauté internationale avec à sa tête l’Organisation des Nation Unies (ONU). Aussi bien l’ONU que sa prédécesseur la SDN ont vu le jour suite à des conflits armés qui au siècle passé ont ébranlé le monde et perturbé la paix.

Ce maintien de la paix internationale nécessite des structures capables d’intervenir lorsque les mécanismes politiques de négociation et de médiation n’arrivent pas à résoudre les crises.

Qu’il s’agisse d’intervention, d’interposition ou de simples missions d’observation, la disponibilité de forces internationales est incontournable. C’est dans ce sens que l’ONU et les organisations régionales se sont dotées de mécanismes qui leur permettent de rassembler et d’actionner ces forces chaque fois que nécessaire.

La sauvegarde de la paix internationale se rappelle avec insistance au monde d’aujourd’hui à un moment où la surface du globe est traversée par une vague de conflits et de tensions qui plus que jamais menacent la sécurité internationale .
La diversité et la multiplication de ces foyers de tension semblent même dépasser les moyens de l’organisation internationale  pour nécessiter le traitement de la question à des échelles régionales. À cela plusieurs raisons:

- La capacité internationale d’intervention semble en déclin avec des budgets militaires qui ont enregistré des tendances à la baisse durant la décennie passée ;
- Certains continents ou régions qui connaissent une certaine stabilité hésitent à se dépenser pour des régions qui connaissent une prolifération de crises sans disposer des moyens pour les endiguer et ;
- Les forces régionales bénéficiant de la proximité et de la connaissance de l’environnement semblent mieux adaptées pour répondre aux spécificités des conflits.

2. La situation africaine

L’Afrique figure parmi les régions du monde où les problèmes liés à la sécurité représentent non seulement un frein au développement mais aussi et surtout une menace de déstabilisation voire de faillite de certains Etats du continent qui est aujourd’hui proie à plusieurs courants d’instabilité :

- Guerres intestines (Centre Afrique, Sud Soudan) ;
- Tensions frontalières entre Etats (Ethiopie/Érythrée) et surtout ;
- Terrorisme (Afrique de l’Ouest, Golfe de Guinée, Sahel, Somalie).

À ces violences politiques s’ajoute la criminalité transnationale qui du trafic de drogues à celui des armes en passant par les flux financiers illégaux et la traite des êtres humains, menace le continent et soumet les Etats à rude épreuve.
L’Afrique mobilise aujourd’hui 23 missions de sauvegarde de la paix et de la sécurité dont 10 sont assurées par l’Union Européenne, 8 par les Nations Unies et 5 par l’Union Africaine (Voir tableau joint). L’Afrique ne semble donc couvrir que quelque 20 à 22 % de ses besoins en termes de maintien de la paix.

Tableau 1 : Missions Paix et sécurité en Afrique


 

L’Union Africaine s’avère donc une organisation régionale dont la mission de sauvegarde de la paix et de la sécurité constitue une tâche primordiale :

- Idéalement pour prendre en charge les multiples conflits qui prolifèrent sur le sol du continent et s’approprier les opérations de Paix et de sécurité africaines ;
- Subsidiairement au moins, pour participer efficacement aux côtés du Conseil de Sécurité des Nations Unies à la gestion de ces crises.

C’est ainsi que dès la création de l’Union africaine en 2002, les Etats se sont penchés sur cette prolifération de crises qui entravent la marche de l’Afrique et qui constituent un souci majeur à tel point que le principe de non-ingérence privilégié par l’OUA a laissé place à celui de « non-indifférence » adopté par l’UA.

Les Africains se sont donc investis dans la mise en place d’une Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS). Certains voient dans la création de cette architecture une volonté d’autonomisation des mécanismes africains de sauvegarde de la paix et de la sécurité et une possibilité de mieux multiplier ces mécanismes pour répondre aux nombreux risques et menaces.

La grande question dans ce domaine reste de savoir si l’organisation panafricaine qui ambitionne de mener le continent vers la paix et la prospérité auxquelles le prédisposent ses potentialités de ressources humaines et matérielles, peut assurer la réalisation de ces ambitions avec ses propres institutions ? Autrement dit l’Union Africaine peut-elle gérer les crises africaines avec des moyens africains indépendants ?

Cette question principale en appelle d’autres qui sont intermédiaires :

- Qu’est-ce que l’AAPS et quelles sont ses composantes principales ?
- Quelles relations entre les structures chargées de la paix et de la sécurité en Afrique ? Quelle coordination régule la coopération entre les CER, le conseil de paix et de sécurité de l’UA, la Commission voire la Conférence?
- Quelle est l’importance, l’ampleur ou la nécessité de l’intervention extérieure?

I. Qu’est-ce que l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS)

Cette architecture s’appuie sur un organe de décision (Le Conseil pour la paix et la sécurité) ; sur des mécanismes d’analyse et d’évaluation (Le système continental d’alerte rapide et le conseil des sages) et enfin sur un instrument d’action (la Force Africaine en Attente).

1. Le Conseil pour la Paix et la Sécurité (CPS)

C’est le pendant africain du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Il a remplacé le Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) devenu caduque avec l’avènement de l’Union Africaine. L’Union avait, en effet, décidé, dès 2002, de réviser ses structures, ses procédures et ses méthodes de travail. C’est ainsi qu’en matière de Paix et de Sécurité, l’Union avait opté pour l’élaboration d’un protocole relatif à la création d’un Conseil de Paix et de sécurité. Ce protocole qui a été adopté à Durban en juillet 2002 et qui est entré en vigueur en décembre 2003, stipule dans son article 2, 1er alinéa :

« Il est créé, au sein de l'Union, conformément à l’Article 5 (2) de l’Acte constitutif, un Conseil de paix et de sécurité, qui est un organe de décision permanent pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Le Conseil de paix et de sécurité constitue un système de sécurité collective et d'alerte rapide, visant à permettre une réaction rapide et efficace aux situations de conflit et de crise en Afrique ».

Le Conseil de paix et de sécurité est devenu l’organe de décision de gestion et de règlement des conflits et vise à pourvoir le continent d’une capacité de réaction rapide face aux situations de conflit et de crise en Afrique.

Pour répondre aux tâches qui s’imposent en termes de résolution des conflits, le Conseil de paix et de sécurité, s’est doté de structures adéquates pour chacune des tâches:

- Le système continental d’alerte rapide chargé de l’analyse des situations;
- Le Conseil des Sages chargé de l’évaluation et du choix des réponses et;
- La Force africaine en attente, chargé d’agir pour régler la situation sur le terrain.

Un comité d’état-major (CEM) joue le rôle de conseiller technique auprès du CPS concernant les questions d’ordre militaire et de sécurité.

Le conseil se compose de quinze membres sans droit de véto ni de système de pondération des votes (Article 5 du protocole). Pour assurer la continuité, un décalage est établi entre les mandats :
- Dix membres sont élus pour un mandat de deux ans et;
- Cinq membres sont élus pour un mandat de trois ans.

2. Les autres mécanismes de l’Architecture

- Le système continental d’alerte rapide

Son objectif est de donner des conseils au CPS et lui transmettre, en temps opportun, des informations sur les conflits potentiels et les menaces à la paix et à la sécurité en Afrique (Article 12 du protocole). Il est composé:
• D’un centre d’observation et de contrôle, chargé de la collecte et de l’analyse des données et ;
• D’unités d’observation et de contrôle régionales.

- Le Conseil des Sages
Il est « composé de cinq personnalités africaines, hautement respectées, qui ont apporté une contribution exceptionnelle à la cause de la paix, de la sécurité et du développement sur le continent. Sa mission précède l’envoi de force dans la zone de tension ou de conflit. En effet, la force n’intervient que lorsque les médiateurs ou les facilitateurs du conseil des sages échouent dans le maintien ou le retour du dialogue entre les parties en conflit (Article 11 du protocole).

- La Force Africaine en Attente (FAA)
La Force Africaine en Attente fait l’objet de l’article 13 du protocole de création du Conseil de Paix et de Sécurité. Le document cadre sur la mise en place de cette force et du Comité d’Etat-major (CEM) a été étudié durant la 3e réunion des Chefs d’état-major africains, en mai 2003 ; il a ensuite été approuvé lors de la 3e session ordinaire de l’UA à Addis Abeba, en juillet 2004.

La Force Africaine en Attente est un contingent multidisciplinaire pouvant être déployés partout en Afrique. La FAA s’inscrit dans une logique de coopération entre l’ONU et l’UA. Cette dernière procède à un déploiement rapide des seules forces africaines ou à un Co-déploiement avec une mission onusienne. Les délais d’intervention et le temps de déploiement de la Force Africaine en Attente sont de 30, 90 ou 14 jours en fonction du degré de complexité des missions qui se déclinent sous six scénarios :

• Un service de conseil militaire ;
• Des missions d’observation de l’UA parallèlement a` une mission de l’ONU ;
• Une mission autonome d’observation ;
• Une mission autonome de paix au titre du chapitre VI de la charte de l’ONU ainsi que le stationnement préventif de troupes en vue du maintien de la paix ;
• Une mission de maintien de la paix parallèlement a` une mission pluridimensionnelle complexe de maintien de la paix et ;
• Intervention (militaire) de l’UA dans des situations graves, par exemple pour empêcher un génocide si la communauté´ internationale n’intervient pas.

Les unités de la FAA qui interviennent sur le terrain comprennent des composantes militaires qui s’adressent au commandant de la force, des forces de police et des composantes civils qui s’adressent au représentant nommé par le président de la commission.

Chaque (CER) a été chargé de la mise en place d’une brigade en attente, d’un dépôt logistique militaire et d’un ou plusieurs centres d’entraînement. Outre sa brigade en attente, chaque CER est censée posséder un dispositif de planification permanent, un quartier général cadre à partir duquel est assemblée sa brigade. Les forces cumulées des brigades régionales devraient atteindre entre 25 000 et 32 000 hommes.

C’est ainsi que :
    • En Afrique de l’Est, l’IGAD a été mandatée pour coordonner les efforts de la Région en vue de la mise en place de la brigade en attente pour l’Afrique de l’Est ;
    • En Afrique de l’Ouest la charge revient à la CEDEAO  ;
    • En Afrique Australe la mission est confiée à la SADC et ;
    • En Afrique Centrale à la CEEAC ;
    • Les remous qui traversent l’UMA et le fait que le Maroc ne comptait pas parmi les membres de l’Union Africaine  en font la seule région où la constitution d’une Brigade en Attente souffre encore d’un retard considérable. L’unité prévue prend le nom de Capacité régionale de l’Afrique du Nord (CRAN)  et la mission a été confiée à un groupe qui ne coïncide avec aucune communauté économique régionale (CER) reconnue.

- Le Comité d’état-major
Il est composé d’officiers supérieurs des Etats membres du Conseil de paix et de sécurité. Les Chefs d’état-major soumettent des recommandations au Président de la Commission sur les meilleurs moyens de renforcer les capacités de l’Afrique dans les opérations de soutien à la paix. Le Président de la Commission prend les mesures appropriées pour la tenue et le suivi des réunions des chefs d’état-major des pays membres du Conseil de paix et de sécurité.

II. Etat des lieux et questions actuelles

1. Opérationnalisation des Forces Africaines en Attente

- Les Brigades sont-elles opérationnelles ?
Dans un communiqué de presse qui a suivi sa 570e réunion à Addis Abeba en janvier 2016, le Conseil de Paix et de sécurité avait :

« Salué les progrès accomplis par la Force en attente de l’Afrique de l'est (EASF), ainsi que ceux de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) dans l'opérationnalisation de leurs brigades en attente respectives, et a reconnu les efforts déployés par la Capacité régionale d'Afrique du Nord (NARC) pour l'opérationnalisation de la sienne ».

La formule du communiqué confirme le retard pris par l’Afrique du Nord quant à la préparation de sa Force Africaine en Attente. Au moment où il salue les progrès des quatre autres régions, il ne fait que reconnaître les efforts déployés par l’Afrique du Nord. Ce manque d’opérationnalisation figure d’ailleurs plus loin dans le communiqué à propos de l’opérationnalisation des Brigades. Le conseil ne reconnaît comme opérationnel que quatre forces régionales ; la cinquième, qui n’est pas citée, est pourtant facile à identifier si on tient compte de la subtilité de langage expliquée plus haut :

« Le Conseil s’est félicité des recommandations contenues dans la Déclaration du Comité technique spécialisé sur la Défense, la sûreté et la sécurité (CTSDSS), en particulier, celle soulignant que la FAA a atteint sa pleine capacité opérationnelle, suite au bon déroulement de l'AA-II FTX et la confirmation de la pleine capacité opérationnelle par quatre (4) CER/MR, et que, par conséquent, la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC) doit être dissoute, conformément aux décisions 489 (XXI) et 515 (XXII) de la Conférence de l’Union ».

Le communiqué confirme donc l’opérationnalité de quatre sur les cinq brigades prévues et appuie la recommandation visant la dissolution de « La capacité Africaine de Réponse immédiate aux crises » (CARIC)  ; une structure créée en 2013, en tant qu’alternative stratégique provisoire à la Force Africaine en Attente qui n’était alors pas encore opérationnelle.

En abondant en faveur de la dissolution de la CARIC, le conseil de paix et de sécurité voulait souligner le haut degré d’opérationnalité des brigades. Cette satisfaction du Conseil se vérifie-t-elle ?

- La CARIC n’est pas encore dissoute !
Les autres instances de l’Union Africaine ne semblent pas être convaincues que le temps de dissoudre la CARIC est venu :

- La 26e Session ordinaire de La conférence au sommet de l’UA, tenue à Addis Abeba (Éthiopie) du 30 au 31 janvier 2016 avait pris une décision  dans laquelle il a décidé "que le mandat de la Capacité Africaine de Réponse Immédiate aux Crises (CARIC) se poursuivrait en attendant l'examen de Retour d’expérience de l'exercice AMANI AFRICA II, prévu à Maputo, Mozambique, en mars 2016 et la mission d'évaluation à entreprendre par la Commission et les Communautés économiques régionales/Mécanismes régionaux dans les Communautés économiques régionales pour vérifier l'état de préparation des Forces régionales en attente… » ;

- Suite à cette décision, en août 2016, soit huit mois après le communiqué soulignant le souhait du conseil de paix et de sécurité (CPS) de voir cette structure provisoire dissoute, Les manœuvres militaires dénommées "Utulivu Afrique II", de la CARIC ont été, avec l’aval de l'Union africaine, ouvertes dans la province de Bengo en Angola, Nation Cadre (2016) de la CARIC et ;

- En novembre 2016, les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats volontaires dans le cadre de la CARIC, Réuni à Addis Abeba, annoncent dans une déclaration commune l’adoption des programmes de rotation des Nations cadre et de formation pour l’exercice 2016-2017, parmi d’autres mesures concernant la CARIC comme le spécifie cet extrait de la déclaration :

- « Entérinons la liste de Rotation des Nations Cadres de la CARIC 2016-2017, le Cycle de formation 2016-2017 et la décision de la 1re réunion Ministérielle Extraordinaire de la CARIC, tenue à Addis Abeba le 29 janvier 2016. Instruisons que la prochaine réunion, au niveau des Chefs d'état-major des Armées de la CARIC et des Ministres, soit organisée en Angola pour élaborer un plan de travail pour la CARIC.

    • Déclarons que la capacité de la CARIC est prête à répondre rapidement aux crises et à contribuer aux Opérations de soutien à la paix (OSP) mandatées par le CPS, conformément à l'article 4 (h) et (j) de l'Acte Constitutif.
    • Décidons que le déploiement de la CARIC relève de la responsabilité du CPS de l'Union africaine, en consultation avec les Nations Volontaires de la CARIC
    • Demandons au Commissaire pour la paix et la sécurité de continuer à évaluer/examiner toutes les zones de conflit en Afrique et à proposer des moyens par lesquels les Nations Volontaires de la CARIC contribueraient à contenir la situation ».

Il découle donc de la décision de la conférence de l’Union africaine, des exercices qui se sont déroulés en Angola et surtout du communiqué conjoint des chefs des Etats volontaires de la CARIC ; que la Force Africaine en Attente n’est pas encore opérationnelle à valeur de novembre 2016 et que la Capacité Africaine de Réponse Immédiate aux Crises continuera d’être la force d’appui du conseil de paix et de sécurité même en 2017. Si la FAA doit être opérationnelle, il ne le sera donc qu’en 2018 du moins pour les quatre brigades dont la préparation est déjà avancée.

2. Appropriation par l’Afrique de ses questions de paix et de sécurité

L’analyse de la situation sur le terrain de la Force Africaine en Attente révèle certains handicaps qui entravent encore l’appropriation par l’Afrique de ses mécanismes de sauvegarde de la paix et de la sécurité dans le continent :

- Inégalités entre régions et dépendance des soutiens extérieurs

    • Les inégalités entre les moyens dont disposent les CER et les disparités qui existent entre elles notamment aux niveaux économiques et militaires ont affecté le niveau d’opérationnalisation des Brigades régionales de la Force Africaine en Attente. Les degrés de préparation et les rythmes d’avancement se font donc à des vitesses inégales. Ces inégalités de développement d’une région à l’autre et par conséquent d’une Brigade régionale à l’autre nuit à l’interopérabilité des forces, phase ultime de l’opérationnalisation.
    • L’aide extérieur est encore indispensable pour les structures de paix et de sécurité de l’Union Africaine. Certaines opérations assurées par cette organisation ne peuvent se maintenir sans l’assistance étrangère ; à l’instar des missions au Darfour ou en Somalie où l’aide de pays tiers ou d’organisations internationale est indispensable. L’UE, l’Otan, les Etats-Unis, la France, etc. restent incontournables aussi bien en termes de déploiement que de soutien financier et logistique  (Voir graphique en fin de paragraphe sur l’évolution de la présence sécuritaire européenne en Afrique entre 2003 et 2016).
    • Les expériences déjà menées par l’Union africaine en la matière montrent qu’en dépit des grandes avancées menées par l’Afrique dans le cadre de la conception de ses propres structures et la grande volonté affichée de les rendre indépendants, le continent ne dispose pas encore des ressources nécessaires en termes d’expertise et de capacité pour mener à terme les missions multiples et diverses. Plusieurs missions entamées par l’UA n’ont pas tardé à être transférées à l’ONU. Certains observateurs se demandent, en effet, si les forces de l’UA ne se limiteraient pas, au moins à moyen terme, aux tâches premières d’entrée sur la scène des conflits pour ensuite passer la main à l’ONU pour les phases suivantes notamment celle de la reconstruction.

Graphique 1 : La présence sécuritaire européenne en Afrique entre 2003 et 2016

Source : EEAS, Clingendael Institute, voir https://twitter.com/DanielFiott

- FAA et CARIC : Le provisoire qui dure au point de constituer un double emploi ?
La « capacité africaine de réponse immédiate aux crises », comme décrite plus haut, rassemble 14 pays volontaires qui tous appartiennent chacun à une communauté économique régionale et qui ont par conséquent leur part de responsabilité dans la préparation des Brigades de leurs régions.

Ces Etats voient aujourd’hui leurs efforts, leurs moyens et leurs budgets dispersés entre les démarches et dépenses à assurer dans le cadre de leurs régions et celles nécessaires à assurer le fonctionnement de la structure provisoire qu’est la CARIC.

Les retards que prennent les composantes de la Force Africaine en attente, qui rendent obligatoire la prolongation de la vie de la CARIC, ne finiraient-ils pas par faire de cette dernière une structure permanente ? En effet, plus les 14 Etats s’investissent au sein de la CARIC et moins ils peuvent consentir d’efforts pour les brigades régionales qui composent la Force Africaine en Attente.

- Relation entre le conseil de paix et de sécurité et les brigades des communautés économiques régionales
Le site électronique de « The Southern African Development Community (SADC) »  conclut un petit article sur la Brigade en attente de la SADC comme suit :

« The African Stand-by Force will consist of civilian and military components in each African region ready for rapid deployment anywhere in Africa at appropriate notice. Who has authority to deploy the Force and who will fund the Force are two major questions that need answers before the Force can be mobilized. Until these paramount questions can be answered the African Stand-by Force remains regional and continental goal ».

Quelle autorité a le conseil de paix et de sécurité africain et par conséquent l’Union Africaine sur les Brigades régionales ? C’est dans les détails de cette relation que résident la réussite ou le trébuchement du projet des Forces africaines en Attente.

À étudier le texte du protocole qui définit cette relation , il s’agit d’une relation de partenariat et de coopération d’égal à égal sans hiérarchisation des structures ou des décisions en dépit de la disposition de l’alinéa iii de l’article IV du protocole susmentionné qui laisse timidement entendre une certaine primauté de l’Union Africaine sur les communautés régionales en matière de paix et de sécurité :

« La reconnaissance et le respect de la responsabilité principale de l’Union dans le maintien et la promotion de la paix, de la sécurité´ et de la stabilité´ en Afrique, conformément à` l’article 16 du Protocole relatif au CPS ; ».

En effet, d’autres articles donnent plus l’impression d’une absence de hiérarchie entre l’Union Africaine et ses partenaires régionaux. C’est le cas de l’Alinéa IV du même article qui fait de la subsidiarité, de la complémentarité et des avantages comparatifs respectifs des concepts directeurs de la relation :

« Le respect des principes de subsidiarité´, de complémentarité, ainsi que des avantages comparatifs respectifs des Parties, afin d’optimiser le partenariat entre l’Union, les CER et les Mécanismes de coordination dans la promotion et le maintien de la paix, de la sécurité´ et de la stabilité ».

Le continent africain consent des efforts aussi bien pour l’organisation, la conception et l’intensification du soutien politique à son architecture de paix et de sécurité. Les démarches entreprises au sein de la nouvelle Union Africaine sont bien plus efficaces que celles dont disposait l’ancienne OUA, les percées et les avancées sont tangibles et palpables ; mais la jeune UA doit encore redoubler d’effort pour assainir la conception des structures continentales et régionales de cette architecture.

Certains facteurs combinés (dépendance, inégalités et superposition de structures) ralentissent voire même handicapent la prise en main par l’Afrique de ses questions de paix et de sécurité. Aux inégalités il faut répondre par la solidarité et l’interopérabilité ; à la superposition de structures il faut répondre par des options tranchées et sans équivoque et concentrer les moyens sur l’option choisie. À la dépendance les Etats doivent répondre par une sorte de sacrifice qui reste bien sûr relatif à la situation de chaque pays.

Conclusion :

Ambitieuse de paix et de prospérité, l’Afrique devra mener parallèlement à termes les efforts d’achèvement et de réalisation de ces deux ambitions. Aux côtés des avancées que le continent réalise en termes de croissance économique et de développement humain, il reste questionné sur sa capacité à sécuriser cet élan en prenant en charge l’africanisation des mécanismes de paix et de sécurité.

Les institutions mises au point par l’Union Africaine à cet égard ne souffrent ni de manque de pertinence ni de défaut de conception. Certains réglages restent cependant nécessaires à la fonctionnalisation et à l’opérationnalisation des structures institutionnelles mises en place avec à leur tête le conseil de paix et de sécurité qui gère l’Architecture africaine consacrée à la cause de la paix. Certains de ces réglages pourraient même aider à surpasser la question financière. Sur ce point le retour du Maroc à l’Union Africaine constitue un plus sur lequel l’UA peut capitaliser pour améliorer ses structures.

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