De la Méditerranée à l’Atlantique: le couloir de vulnérabilité face au terrorisme
Deux des plus grands producteurs d’hydrocarbures en Afrique, le Nigeria sur l’Atlantique et la Libye sur la Méditerranée font face aux deux groupes terroristes les plus violents sur le continent. Daech version libyenne et Boko Haram semblent avancer pour se joindre à travers un espace constitué par trois Etats qui présentent des vulnérabilités favorables à l’extension du terrorisme. Au Cameroun, le chao est à craindre dans l’après Biya. La battle fatigue peut atteindre l’Etat tchadien qui lutte tout azimut. Le Niger, où se mêlent manque de moyens et porosité de la frontière, est également vulnérable. Ce sont là autant de facteurs qui appellent à une mobilisation internationale afin d’éviter que la défaite possible de Daech au Proche-Orient, ne soit compensée par l’installation sur un territoire à cheval entre le Maghreb et l’Afrique de l’ouest et reliant la Méditerranée et l’Atlantique.
La menace est d’autant plus tangible que cet espace est mitoyen du Mali et du Burkina Faso, deux Etats où les groupes terroristes, qui s’étaient dispersés lors de l’opération Serval, semblent de nouveau se réorganiser comme en témoignent les attentats perpétrés récemment contre des hôtels à Bamako et Ouagadougou.
Le phénomène terroriste semble élire domicile dans le Grand-Moyen-Orient (GMO). Ses bases prennent essentiellement pour terrain d’enracinement l’espace allant de l’Afghanistan à l’Atlantique. Si cette portion du monde paraît réduite, eu égard à l’étendue du Globe, elle n’en constitue pas moins un espace névralgique au regard de la géopolitique.
En matière maritime le GMO dispose de fenêtres ouvertes sur l’Océan Indien à l’Est et sur l’Océan Atlantique à l’Ouest. Il contient le Golfe arabo-persique et la Mer rouge et forme la rive sud de la Méditerranée. Contrôlant à la fois le passage de Bab El Mendeb, le Canal de Suez et le détroit de Gibraltar. L’espace géographique que constitue le GMO s’avère d’un intérêt stratégique important tant pour les échanges commerciaux du monde notamment en matière de transport des hydrocarbures du Golfe, que pour la sécurité et la Paix dans le monde du fait des conflits et tensions géopolitiques qui le traversent.
De l’Afghanistan, toujours sous la menace des Talibans, au Maghreb où la Libye constitue l’actuel ventre mou, en passant par le Yémen, l’Irak, la Syrie, le Liban, l’Egypte (Sinaï), le GMO est truffé de conflits et de groupes armés violents qui menacent la stabilité de tout l’espace et partant de toutes les régions voisines. L’Europe, le centre de l’Asie et surtout l’Afrique subissent les impacts des tourmentes qui secouent le Grand Moyen-Orient (voir carte N° 1).
Carte N° 1 : La présence de Daesh dans le monde
Source : http://www.planetenonviolence.org/
La situation déjà alarmante dans cette région du monde risque de s’aggraver, voire même devenir incontrôlable si le chao qui règne au Proche-Orient rencontre les turbulences déstabilisatrices que génèrent les foyers terroristes qui s’ancrent de plus en plus sur la zone africaine voisine du GMO.
Si la communauté internationale montre une certaine réactivité vis-à-vis du foyer irako-syrien et donne récemment des signes de volonté de s’intéresser au foyer libyen, il n’en demeure pas moins que le champ africain semble, en dépit de l’action française et des initiatives sous régionales, encore aujourd’hui, hors des agendas des grandes puissances dans leurs lutte contre le terrorisme international.
Sur le continent africain, une zone attire particulièrement l’attention. Elle ouvre au terrorisme un corridor allant de la Méditerranée (Libye) au Nigeria (Atlantique) en passant par le Niger, le Tchad et le Cameroun. Ce couloir ouvre au terrorisme un espace facilitant le déversement de ses combattants et ses armes entre Nord et Ouest africain. L’image est celle d’un sablier où la matière ne fait que changer de récipient sans jamais se perdre. En suivant les signaux d’intensité des attentats sur la carte N° 2, on voit se dessiner cette zone entre la Libye et le Nigeria. Zone qui totalise plus du quart des attentats perpétrés en Afrique en 2015.
Carte N° 2 : Le terrorisme en Afrique en 2015
Source : Armed Conflict Location & Event Data Project
Dans cet espace, fragmenté et soumis à plusieurs facteurs de vulnérabilité, deux acteurs sèment la terreur :
- Boko Haram qui a commencé par agir comme une organisation locale confinée au nord-est nigérian remonte aujourd’hui à travers le couloir susmentionné et menace d’assurer la jonction avec le foyer libyen.
- Daech Libye qui comme mentionné plus haut, profite du chao libyen pour préparer l’asile de retraite à l’organisation « Etat Islamique » au cas elle est déboutée hors de son sanctuaire actuel à cheval entre la Syrie et l’Irak.
I- La Libye : Le récipient méditerranéen de Daech
1. Au Nord
Deux autorités se partagent le pouvoir sur le littoral libyen de Tripoli (ouest), à Tobrouk (est). Si certains politiques réduisent l’opposition entre les deux parties à une lutte entre le clan Islamiste (ouest) et le clan nationaliste (est), l’analyse attentive montre plutôt une lutte de position et de reclassement autour du pouvoir et du contrôle des richesses pétrolières entre fragments tribaux, idéologiques et confessionnels. En effet la Libye « dispose de réserves en hydrocarbures considérables (les plus importantes d’Afrique) alors même que sa population est peu nombreuse. Elle partage ses frontières avec six autres États et bénéficie d’un littoral méditerranéen de plus de 1700 kilomètres. Ce potentiel conséquent de la Libye, en termes de développement, est devenu un enjeu d’influence et c’est pourquoi aujourd’hui la Libye est un pays subissant cette grande lutte d’influence ».
Les deux tendances qui constituent aujourd’hui la partie apparente de l’Iceberg libyen sont :
- Aube de Libye (فجر ليبيا) avec pour capitale Tripoli. Il évolue dans une zone qui correspond à la Tripolitaine. C’est une coalition formée autour de la milice de Misrata. Elle compte deux organisations terroristes :
- Le Groupe Islamique Combattant en Libye (الجماعة الإسلامية المقاتلة الليبية), allié à des politiciens islamistes. Le groupe a été fondé en 1995 par Abou Laith Al Libi (1967‐2008), le GICL était une organisation islamiste armée proche d’Al Qaeda. Le groupe avait abandonné la lutte armée en juillet 2009 mais semble la reprendre aujourd’hui.
- Les Partisans de la charia (أنصار الشريعة) est un groupe islamiste Salafiste qui prône une application stricte de la charia en Libye. Le groupe a été fondé pendant la révolution libyenne de 2011. Le groupe Partisans de la charia est accusé d’être impliquée dans l’attaque contre le Consulat américain à Benghazi, qui a coûté la vie à l’ambassadeur américain Christopher Stevens et à trois autres membres de sa garde rapprochée, le 11 septembre 2012.
- Opération dignité (عملية الكرامة) avec pour capitale Tobrouk. Ce clan s’appuie sur les adeptes de la confédération, ceux qui privilégient l’appartenance régionale. Il évolue dans la zone qui correspond à la Cyrénaïque. L’autorité politique y est assurée par le parlement reconnu par la communauté internationale qui est adossé à l’Armée du Général Haftar. Le clan abrite également des dignitaires et des nostalgiques de l’ancien régime. Cette zone du littoral libyen voit l’implantation à Derna, et Benghazi d’embryon de l’organisation « Etat Islamique ».
2. Le Croissant du Pétrole
Entre les deux espaces qu’occupe chacun des parlements libyens, dans la région appelée « Croissant du Pétrole », l’Organisation « Etat Islamique » a profité de la discorde entre les deux autorités majeures (Parlement de Tripoli et celui de Tobrouk) pour occuper la ville de Syrte autour de laquelle elle contrôle quelques 300 km de côtes et à partir de laquelle, l’organisation lance des attaques contre le croissant pétrolier, notamment sur les villes de Ras Lanouf et Ajdabya. De plus, fidèle à sa tactique des taches d’huile qui se propagent et s’élargissent pour se rencontrer, Daech a implanté des noyaux aussi bien à Derna, à Tobrouk, qu’à Benghazi. Le but final étant que chacun de ces noyaux s’élargisse pour assurer la jonction avec les autres et permettre ainsi à « Daech Libye » de contrôler le nord de la Cyrénaïque, avant de partir à la conquête de l’ensemble du Pays (voir carte n°3).
Carte N° 3: Implantation de Daesh en Libye
Source : Le Monde diplomatique. Cette carte a été annexée au rapport d’information de la commission des affaires étrangères de l’assemblée nationale française sur la Libye ; constituée le 4 Mars 2015.
3. Le centre et le sud libyen
Dans le centre et le sud libyen, une multitude de groupes à cheval entre le militantisme islamique et les activités de criminalité transnationale, jonche l’espace désertique traversé également par les tensions et conflits tribaux et ethniques.
Aussi bien des résidus de l’organisation malienne Ansar Eddine que des unités d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) Chassé du nord du Mali par les troupes françaises, ou encore Al Mourabitoun né d’une fusion entre les signataires par le sang et le MUJAO ; se côtoient dans le sud libyen où Touaregs et Toubous ne manquent pas de s’allier aux factions diverses à la recherche d’une part des dividendes des différents trafics. C’est par cette partie sud où cohabitent Djihadisme et banditisme, que la Libye s’ouvre sur sa dimension africaine.
La frontière est ici frappée de porosité du fait de la faillite de l’Etat libyen, et de la faiblesse des moyens des Etats voisins immédiats que sont Le Niger et le Tchad.
Cette partie sud avait constitué le point de départ des commandos du groupe « les Signataires avec le Sang» (الموقعون بالدم) qui avait ensanglanté le complexe d’Ain Amenas en Algérie.
La présence de l’armée française dans la région n’est pas assez fournie pour assurer aux frontières l’étanchéité requise et gêner la circulation des trafiquants et des terroristes.
Les opérations ponctuelles françaises parent au plus urgent mais ne peuvent à elles seules sécuriser une aussi vaste étendue. Ils semblent même s’appuyer pour le contrôle de cette frontière sur les tribus libyennes Toubous, s’attirant, par conséquent la colère des touarègues libyens.
II - Le Nigéria : Des demi-mesures contre le terrorisme
1. Les potentialités d’un émergent, et pourtant…
En 2014 Le Nigéria, devient la première puissance économique africaine en termes de PIB (510 milliards USD à la suite de l’évolution de la méthode de calcul du PIB et, 522 milliards de dollars prévu pour 2016). Cet Etat, le plus peuplé d’Afrique avec ses 180 millions d’habitants (260 millions en 2050 selon les prévisions de la BAD), est le premier producteur d’hydrocarbures du continent avec une production quotidienne de 2,5 millions de barils. Le Nigéria affiche presque régulièrement un taux de croissance annuelle moyenne de 7% sur la dernière décennie. Pourtant le pays peine à se faire reconnaitre comme une puissance ou un hégémon même sous régional dans une communauté d’Afrique de l’Ouest dont aucun pays n’arrive à égaler les performances nigérianes. Le Nigéria donne l’exemple du potentiel économique qui ne génère pas la puissance. En effet cette puissance économique ne s’adosse qu’à une armée de 82 000 hommes sur une population de 180 000 000 d’habitants. Pour douze fois moins d’habitants (13 millions), le Tchad dispose de 22 000 militaires. Le Brésil (200 300 000 habitants) population légèrement supérieure à celle du Nigéria, compte une armée de 318 000 hommes.
Si le Tchad, comme nous le verrons plus loin exagère son développement militaire aux dépens du développement économique, le Nigéria verse dans l’autre extrême en ne fournissant pas à son économie une puissance militaire proportionnelle.
2. …Aux maux de gouvernance déjà connus, s’ajoute le terrorisme
En plus des maux de gouvernance qui rongent le Nigéria, le terrorisme de l’Organisation Boko Haram aggrave l’entrave de la marche du pays. La dissémination de Boko Haram avait, à ce titre, figuré parmi les premières promesses de la campagne électorale du président actuel.
Le 24 décembre 2015, le président nigérian, Mohammed Buhari avait déclaré dans une interview à la BBC que Boko Haram était devenu « incapable de mener des attaques conventionnelles articulées » comme par le passé. L’organisation aurait selon le président nigérian « techniquement » perdu la guerre au Nigéria. Les évènements montrent pourtant une organisation qui n’a rien perdu de son verve terroriste. Dans les quelques 40 jours qui ont suivi la déclaration du président, le groupe terroriste a assassiné plus de 200 nigérians dans le nord-est du pays.
- Vendredi 25 décembre 2015 : Les djihadistes ont investi le village de Kimba dans l'Etat de Borno. Ils ont ouvert le feu sur les villageois et incendié leurs maisons. "Les hommes armés ont tué 14 personnes et brûlé le village.
- Dimanche 27 décembre 2015 : Des combattants de Boko Haram ont envahi Jiddari Polo, une localité située dans les faubourgs de Maiduguri, dans l’État de Borno. L’attaque a fait 25 morts et 91 blessés.
- Dimanche 10 Janvier 2016 : Sept personnes ont été tuées dans une nouvelle attaque menée par des membres du groupe islamiste Boko Haram à Madagali.
- Samedi 30 Janvier : Attaque contre le village de Dalori, proche de la capitale régionale Maiduguri, qui a fait au moins 85 morts.
- Samedi 6 Février : Boko Haram a de nouveau ensanglanté le nord du Nigeria. Au moins cinq personnes ont été tuées dans l’attaque de deux villages, dans l’Etat de Bornou, dans le nord-est du Nigeria.
- 09 février 2016 : Dans l'Etat du Bornou. Deux femmes kamikazes ont réussi à déclencher leurs ceintures d'explosifs dans la foule pour faisant plus cinquante-huit morts et de nombreux blessés.
Autant dire que l’organisation conserve une très grande capacité de nuisance, d’autant plus qu’en matière de guerre asymétrique, le faible n’est jamais anéanti et ne disparaît que pour revenir. Le Nigéria semble opter pour la demi-mesure, aussi bien en termes d’approche sécuritaire où les moyens militaires de l’Etat ne semblent pas en mesure d’enrayer le mal, qu’en termes de soft power parce que le Nigéria n’arrive pas à user de ses potentiels économiques pour assainir ses modes de gouvernance et juguler des disparités sociales qui nourrissent les extrémismes.
III - Entre le Nigéria à la Libye, Un espace fragmenté miné par les vulnérabilités
1. Tchad : Lutte sur plusieurs fronts
Les soldats tchadiens sont sur tous les fronts de guerre en Afrique (voir carte N°4).
- Au Mali, ils continuent d’assurer la force d’appoint à l’armée française notamment dans le cadre de la force Barkhane (1700 soldats) ;
- Un autre contingent tchadien s'est déployé avec les armées du Niger, du Cameroune et du Nigeria pour lutter contre Boko Haram (5 000 soldats) ;
- Un troisième contingent appuie la Force multinationale d'Afrique centrale pour sécuriser la République de Centrafrique ;
- Une force mixte conjointe que le Tchad forme avec le Soudan patrouille jour et nuit, tout au long d'une frontière continue longue de 1360 kilomètres. Le Tchad y consacre environ 1200 soldats.
- Le Tchad est également membre du G5 Sahel avec la Mauritanie, le Niger, le Mali et le Burkina-Faso. À cette structure, il devrait prochainement fournir un contingent militaire ;
Si les fronts où combat le Tchad sont divers au niveau sécuritaire et militaire, les luttes en matière de développement et d’économie ne sont pas laissées pour compte. La baisse des prix du pétrole amenuise les revenus de cet Etat menacé par les effets du changement climatique. « Le Tchad subit de plein fouet les effets catastrophiques du changement climatique. Il est non seulement menacé dangereusement par l'avancée du désert et la dégradation de ses surfaces cultivables, mais aussi par la réduction progressive et inquiétante de la surface du Lac Tchad qui nourrit plus de 30 millions de population des pays riverains ». avait déclaré, à Nairobi, le représentant du Tchad au 2ème comité préparatoire de la 3ème conférence de l’ONU sur le logement et le développement durable en milieu urbain (Habitat III) qui aura lieu à Quito, en Équateur, du 17 au 20 Octobre 2016.
L’armée devient un secteur budgétivore. En 2015, la loi des finances avait prévu l’enrôlement de 8 000 soldats dans les rangs de l'armée. Le ministère de la Défense Nationale et des Anciens combattants rafle, d’après les spécialistes de l’administration tchadienne près de 77% du quota de recrutement dans la fonction publique. Part léonine qui prive les autres secteurs des cadres nécessaires à leurs développements.
Si l’économie tchadienne continue à être phagocytée par l’effort de guerre, que le pays mène tout azimut, le semblant de paix sociale que vit le Tchad actuellement pourra-t-il être pérennisé ? Le pays est certes entouré de foyers de tension et de zone de conflit, mais peut-il faire vivre une population à démographie galopante en se développant seulement comme hégémon militaire ?
Carte N° 4 : Déploiement des militaires tchadiens
2. Cameroun : l’après Paul Biya.
Le président camerounais âgé de 83 ans est à son 6ème mandat et à sa 34ème année de pouvoir. Si le dernier scrutin n’a pas été sans ambages, force est surtout de reconnaitre que le président camerounais a su jusqu’à présent préserver le pays de crises majeures qui peuvent engendrer la faillite de l’Etat. Le pays subit en effet des externalités sécuritaires aussi bien du côté de la république centrafricaine que du côté du Nigéria.
Ces menaces et le climat d’insécurité qu’ils font régner facilitent la diffusion et la propagation d’un concept de nécessité d’une défense populaire, d’une nation en arme pour sécuriser le pays d’abord. Les défaillances des politiques économiques et sociales passent alors au second plan. Les menaces sécuritaires sont évoquées pour l’explication de tous les déboires sociaux et économiques. « La crise sécuritaire due à la secte islamiste Boko Haram dans la partie septentrionale et les tensions politiques en Centrafrique, ont entravé les relations commerciales sous régionales. La fermeture des frontières, des victimes humaines enregistrées, l’afflux des réfugiés, les déplacements des populations qui en résultent, perturbent l’activité économique » signale un rapport officiel du gouvernement camerounais.
Par ailleurs, si le président actuel a pu tenir le pays pendant 34 ans dans une sorte d’accalmie intérieure, plusieurs analystes craignent l’après Paul Biya. L’alternance au pouvoir qui ne concerne jusqu’à présent que le Nord et le Sud ferait certainement l’objet de revendications des gens de l’Est et de l’Ouest. Les élections en Afrique étant un déclencheur de crise, le Pays risque à la mort de Paul de Biya ou à la fin de son actuel mandat de vivre une crise qui aggraverait la situation sécuritaire dans la région.
3. Le Niger : La difficulté de maitriser la frontière.
A quelques jours des élections présidentielles le pays compte encore plusieurs centaines voire plusieurs milliers de déplacés intérieurs dans la région de Diffa au sud près de la frontière avec le Nigéria. Ces déplacés sont les victimes de l’extension, au Niger, des attentats de Boko Haram.
Dans cette région la frontière entre le Niger et le Nigeria suit le cours du fleuve Komadougou Yobé, que les nigérians de Boko Haram traversent pour piller et bruler les villages dans la région de Diffa. Le Niger n’a jusqu’à présent pas pu fournir d’unités militaires pour sécuriser les populations et leur permettre de retourner dans leurs villages. La situation est d’autant plus grave que la région de Diffa accueille, selon les agences humanitaires, environ 130 000 réfugiés nigérians qui ont fui les exactions de Boko Haram.
Pour se défendre, le Niger qui couvre une superficie de 1 267 000 Km2, abritant une population de 17 millions, ne dispose que de 5300 militaires et 1400 gendarmes. Le pays compte plus sur les forces françaises présentes dans la région. Celles-ci ne peuvent elles aussi pas s’étendre sur tout le territoire nigérien. C’est surtout la zone minière riche en uranium qui bénéficie de l’effort français de protection.
A l’instar du Mali le Niger connait un mouvement Touareg contestataire. Il est en veilleuse pour le moment, mais peut resurgir à l’occasion. Pour le futur il faut compter avec la croissance disproportionnelle entre la démographie galopante et les potentialités économiques qui ne pourront suivre.
La vulnérabilité est aggravée par l’immensité du tracé frontalier qu’il partage avec des pays tous infestés par le mal terroriste (voir tableau ci-après) et tous dans l’impossibilité matérielle de faire face au danger de la porosité de cette frontière ouverte non seulement au terrorisme, mais également à toutes les formes de crime organisé. 5697 km de frontières dans une région des plus exposées à la déstabilisation font du Niger un pays objectif de la prédation terroriste.
Tableau des longueurs des tracés frontaliers du Niger.
Pays |
Frontières |
Algérie |
956 Km |
Bénin |
266 Km |
Burkina Faso |
628 Km |
Libye |
354 Km |
Mali |
821 Km |
Nigeria |
1497 Km |
Tchad |
1175 Km |
Source : Calcul de l’auteur
4. Boko Haram : l’avancée vers le foyer libyen
Lorsqu’elle a été fondée en 1995, l’organisation Boko HARAM se prévalait de plusieurs appellations. Elle était connue sous L’enseigne « Jama'at Al Hijra Wa Takfir (JHWT) » et également sous le nom « Jama’atu Ahlissunnah lidda'awati wal Jihad ». Ses combattants s’identifiaient tellement aux Talibans qu’ils se sont appelés les « talibans nigérians ».
L’organisation trouve également référence dans le Califat de Sokoto, dont le rétablissement constitue l’une des causes motrices de l’organisation.
A partir de ses bases nigérianes, l’organisation a, durant les deux dernières années, intensifié ses attaques sur le voisinage. Le Nord du Cameroun et le Sud du Tchad et du Niger constituent désormais un espace auquel s’étendent les opérations de Boko Haram en dépit de l’action menée par les quelques 8700 hommes, appartenant aux forces tchadiennes, camerounaises et nigérianes et de la lutte que conduit l’opération Barkhane.
Durant les six dernières années, Boko Haram a fait plus de 15 000 victimes et l’organisation internationale pour les migrations (OIM) estime le nombre de déplacés dû aux violences de Boko Haram à 2,1 millions de personnes.
Selon l’Unicef relayée par L’hebdomadaire l’ « Express » du 18 septembre 2015, le nombre d’enfants qui ont dû prendre la fuite est d’environ 1,2 millions. Ils ont été déracinés par la rébellion de Boko Haram Au Nigeria. Plus de 265 000 autres enfants sont également affectés dans les pays voisins du Nigeria où Boko Haram a étendu ses attaques meurtrières.
Depuis que l’organisation a été chassée des villes qu’elle contrôlait, elle remonte plus au Nord vers le Lac Tchad. C’est dans cette zone d’intersection entre le Nigéria, le Niger, le Cameroun et le Tchad, qu’une fois boutée hors des agglomérations, Boko haram s’est essaimée. A partir de ce sanctuaire, elle continue à lancer ses attaques meurtrières sur les populations des quatre pays.
C’est également à partir de là que Boko Haram, devenus la wilaya d’Afrique de l’Ouest de l’Etat Islamique en mars 2015, envoie des hommes en Libye à travers le Tchad. Pour encourager plus de combattants à rejoindre la Libye, les leaders de Boko Haram et de Daech Libye leur offrent de s’y installer avec leurs familles.
La montée de Boko Haram vers le Lac Tchad, et la multiplication de ses opérations au Tchad et au Niger constituent une alerte quant aux craintes exprimées, par des responsables sécuritaires, de voir se rejoindre Boko Haram et Daech Libye. Si cette jonction est assurée, elle constituera avec la ré-intensification des actes terroristes au Mali et au Burkina-Faso un danger de déstabilisation non seulement de l’Afrique subsaharienne mais également de tout le Maghreb.