Dialogues stratégiques : la « démondialisation »
Le Policy Center for the New South a organisé
le 27 octobre la 9ème édition des Dialogues stratégiques
avec le Centre HEC de Géopolitique
À un rythme semestriel depuis 2016, le Policy Center for the New South (Rabat) et le Centre HEC de Géopolitique (Paris) organisent des dialogues stratégiques sur des thèmes d’intérêt global et régional, destinés à accompagner les politiques publiques.
Le 27 octobre, il a été question de la « démondialisation » induite par l’actuelle crise Covid-19, sur fond de crise du multilatéralisme et de rivalité commerciale entre la Chine et les Etats-Unis. Alors que les défis mondiaux sont de plus en plus connectés, le repli protectionniste empêche de trouver des solutions partagées, justes et efficaces.
« Découplage » de l’ordre mondial
Dans une première session consacrée aux « nouveaux paradigmes de l’ordre mondial, entre mondialisation et protectionnisme », François Barouin, ancien ministre français de l’Economie et des finances, a évoqué les crises financières et la nouvelle donne induite par le Covid-19 en Europe. La Banque centrale européenne (BCE) a racheté la totalité des dettes émisse par l’Italie et la France, l’un des pays les plus endettés du monde. Reste à savoir jusqu’à quand ce modèle pourra prévaloir, dans la mesure où l’Europe veut lever 750 milliards d’euros pour financer la relance.
De con côté, Pascal Chaigneau, directeur du Centre HEC de géopolitique, a traité de « l’ère des protectionnismes agressifs », avec le grand retour des Etats, Iran, Etats-Unis et Chine en tête, mais aussi le Royaume-Uni avec le Brexit, la Russie qui bloque des résolutions au Conseil de sécurité, et le Japon qui veille à ne pas dépendre de la Chine pour son approvisionnement. À contre-courant, l’Afrique va au contraire vers plus d’intégration avec son accord continental de libre-échange.
Le professeur et économiste Henri-Louis Védie, a estimé que la « démondialisation » relève plus d’un « ralentissement conjoncturel de la mondialisation » que d’un résurgence des Etats et du protectionnisme. Le Covid-19, qui va renforcer la pauvreté, va par ricochet renforcer la mondialisation, dans la mesure où « l’éradication de la pauvreté passe par la baisse des coûts de production, et donc par la mondialisation ». Le professeur Jérémy Guez, lui estime aussi qu’il n’y a pas « démondialisation », dans la mesure où le commerce international ne s’effondre pas, mais plutôt « découplage », avec deux systèmes mondiaux concurrents, occidental et chinois. La bataille des normes fait rages, a expliqué le professeur Eugène Berg, la 5G se trouvant au cœur d’une nouvelle guerre froide technologique.
« Re-régionalisation » du monde
Lors d’une seconde session sur la « démondialisation et la sécurité économique face aux défis du Covid-19 », Mohammed Loulichki, Senior Fellow du Policy Center for the New South, a expliqué que la pandémie « remet la mondialisation en cause et introduit la régionalisation comme moyen d’immunisation contre les nouveaux coûts générés par la Covid-19 ». Elle favorise la naissance d’un nouvel équilibre en matière de leadership mondial.
Pour Fathallah Oualalou, Senior Fellow du Policy Center, la « re-régionalisation du monde » est en marche, avec la montée en puissance de la Chine et de l’Asie, mais aussi de l’Afrique sur le plan démographique, une nouvelle bipolarité qui s’impose sur un plan surtout technologique, un recul de l’Europe et une « grande régression de la Méditerranée ».
Larabi Jaidi, Senior Fellow du Policy Center, a évoqué l’essor de la notion de « souveraineté industrielle » face au Covid-19, la crise ayant questionné sur « ce qui est approprié ou rationnel en matière de localisation pour certaines industries ». Pour les pays du Sud, une tendance à la substitution des importations par la production nationale est en vogue, pour produire et consommer localement.
Dans son mot de clôture des 9èmes Dialogues stratégiques, Karim El Aynaoui, président du Policy Center for the New South, s’est réjoui de « l’institutionnalisation » de ces échanges, dans le respect, l’engagement et l’innovation. « Dans un moment charnière de changements profonds, d’incertitudes, de forte volatilité », il a pointé l’utilité des idées émises durant les discussions, et insisté sur la « forte demande de sécurité, légitime, de la part des populations ». Les questions de relocalisation de certaines portions des chaînes de valeur mondiales, notamment sur la question des masques, découlent du fait que certains biens de base peuvent être compliqués à obtenir quand les chaînes de valeur ne fonctionnent pas, tandis que la crise Covid-19 incite, plus que jamais, à réfléchir sur la place du Sud dans la reconfiguration du nouvel ordre mondial.