« Le racisme systémique durant la crise Covid-19 »
Les « AD Talks », édition spéciale en ligne de la conférence Atlantic Dialogues, se sont poursuivis le 24 novembre avec une session sur « L’autre pandémie : le racisme systémique durant la crise Covid-19 ».
Kassie Freeman (Etats-Unis), présidente de l’African Diaspora Consortium, a évoqué les trois pays sur lesquels son organisation travaille, pour collecter des données sur le racisme systémique : « Nous avons vu aux Etats-Unis, au Brésil et en Grande-Bretagne que les brutalités policières et d’autres formes de racisme, chômage et pauvreté, ont toujours été les plus fortes chez les Afrodescendants, où qu’ils soient ».
Une manière différente d’aborder ces questions consiste à son avis à rassembler des voix collectives plutôt qu’individuelles, en suivant l’exemple du mouvement américain Black Lives Matter, « qui a montré qu’à travers les pays, l’unité et la solidarité peuvent prévaloir de manière jamais vue auparavant ». L’African Diaspora Consortium, en réunissant des médecins et des spécialistes de la bioéthique, a analysé l’impact disproportionné du Covid-19 sur les populations afro-américaines.
Les travailleurs domestiques au Brésil
Ana Barreto (Brésil), directrice des programmes chez AfroResistance, une ONG basée à New York, a rappelé une histoire cruelle d’une femme de ménage contrainte non seulement de travailler au Brésil durant le confinement, mais aussi d’amener son garçon de 5 ans sur son lieu de travail en raison de la fermeture des écoles. Après avoir promené le chien de ses employeurs, cette femme a trouvé son enfant mort, tombé du 9ème étage de l’immeuble, parce qu’il cherchait sa mère et que la maîtresse de maison l’a laissé prendre l’ascenceur seul. L’employeuse a appuyé sur le bouton du 9ème étage, avant de déclarer que le garçon était le seul responsable de sa mort. Il en a résulté au Brésil le mouvement et l’hashtag #JusticeforMiguel.
« Nous avons 6 millions d’employés de maison au Brésil, dont 70 % de femmes noires, a expliqué Ana Barreto Ils ont été déclarés travailleurs essentiels pendant le confinement, parce que les ménages riches et blancs ne peuvent pas faire leur vaisselle. Nous parlons ici d’un processus d’abolition (de l’esclavage) non abouti, incomplet. En évoquant cette histoire, qui n’est qu’un seul exemple au Brésil, on peut montrer comment le Coronavirus a entraîné des brutalités pour les employés de maison, dont l’un est mort après avoir été contaminé par ses employeurs, qui ne lui ont pas dit qu’ils étaient revenus positifs d’un voyage ».
Institutions post-coloniales et révolte au Nigeria
Tosin Durotoye, PDG de Conselia Advisory au Nigeria, a fait le parallèle entre son pays et les Etats-Unis. « Le racisme est le péché originel des Etats-Unis, qui l’ont institutionnalisé pendant 400 ans. Cette saison de Covid-19 nous a appris qu’il existe encore… Au Nigeria, nous souffrons aussi de ce péché original, par le biais de nos institutions post-coloniales, qui ne sont pas au service des populations. »
Cette situation est au cœur du mouvement EndSARS au Nigeria, a-t-elle expliqué, qui appelle à la dissolution de la la Special Anti-Robbery Squad (SARS), une unité de la police nigériane accusée de meurtres, viols, tortures et extorsions. L’hashtag #EndSARS est apparu sur Twitter en 2017 et a connu une résurgence début octobre, après le meurtre par la police d’un jeune homme pour lui voler son véhicule. Depuis, il s’est transformé en mouvement social.
« EndSARS est une rébellion et un signal d’alarme sur une révolution à venir, comme Black Lives Matter, a poursuivi Tosin Durotoye. Ces structures post-coloniales du Nigeria ne sont peut-être pas basées sur la couleur de peau, mais elles répriment de la même façon que les Noirs sont réprimés aux Etats-Unis. Les racines sont les mêmes. Le Nigeria est une République noire en Afrique, mais comment allons-nous nous défaire d’un système de gouvernance vicié ? »
Plaidoyer pour des actions multilatérales plus fortes
Pour Alex T. Johnson (Etats-Unis), chef des équipes de la Commission US-Helsinki, une agence gouvernementale américaine qui promeut la coopération avec 57 pays d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord, tout l’enjeu porte désormais sur l’accès aux vaccins. « Comment allons-nous surmonter les difficultés qui pourraient empêcher les Afrodescendants d’avoir accès aux soins de santé ? », s’est-il interrogé.
« Les demandes en faveur d’actions ont été innombrables, et pourtant, les réponses nationales ont été limitées, en dans certains cas insuffisants dans leur portée pour sécuriser les communautés. Seuls des engagements multilatéraux et transatlantiques importants pourront permettre aux descendants des colonisés et des esclaves de répondre aux attentes des manifestants qui ont envahi les rues à travers le monde ».
« La santé publique : nouveau champ d’action pour les organisations militaires et les alliances ? »
Les « AD Talks », édition spéciale en ligne de la conférence Atlantic Dialogues, se sont poursuivis le 26 novembre avec une session sur « La santé publique : nouveau champ d’action pour les organisations militaires et les alliances ? ». Le débat, modéré par Kim Dozier, contributrice à Time Magazine et analyste sur les Affaires globales pour CNN, a porté sur le rôle de l’armée dans la crise Covid-19 et dans les crises sanitaires à venir.
L’Italien Gabriele Cascone, chef de la section du contre-terrorisme à l’Otan, a expliqué que son organisation n’était pas « plus préparée que les autres pays et institutions » à la crise Covid. « Nous avons reçu pendant des années des rapports alertant sur de possibles pandémies, mais pour l’Otan comme pour d’autres alliances, le besoin de se préparer à une pandémie ne figure pas au cœur de sa raison d’être. Les institutions ont réussi à travailler sous la pression de la pandémie et d’un désastre global. Nous sommes maintenant mieux préparés ».
De son côté, le général américain Barre Seguin, Mentor senior de l’OTAN au Quartier général des forces alliées en Europe (SHAPE), a confirmé le fait qu’il ne soit pas « inhérent au mandat des alliances militaires de répondre à une pandémie, même si elles peuvent rassembler leurs capacités pour le faire si nécessaire ». Il a reconnu que « nous avons été lents, en tant que différents pays et en tant qu’alliance à reconnaître l’urgence que représentait la pandémie sur le plan global ». Barre Seguin a précisé : « J’entends que l’administration Biden sera plus internationale. Je suppose que les Etats-Unis vont rejoindre l’OMS et promouvoir une plus grande coopération entre partenaires et alliés dans le monde ».
Juan Battaleme (Argentine), directeur académique du Conseil argentin des relations internationales (CARI), a estimé que « nous savions tous que la crise venait, mais nous avons tenté d’en diminuer l’impact » sur le plan des perceptions. L’alliance que représente Conseil de défense de l’Amérique du Sud a déjà contribué, à des missions de maintien de la paix et des réponses humanitaires, comme lors du séisme de 2010 en Haïti. « Les armées dans la région ont amélioré leur image, avec 60 à 65 % d’opinions positives, notamment en Argentine et au Brésil, en apportant un soutien aux plus vulnérables ». En revanche, le Vénézuela reste un point rouge, « l’un des pires endroits du monde où tomber malade du Covid. Ce pays est un bon candidat pour le déploiement d’une opération de maintien de la paix pour contenir la Covid-19, dans la mesure où le gouvernement est en train de s’effondrer et l’avenir paraît instable, une menace possible pour ses voisins ».
Quel impact de la pandémie sur les groupes terroristes ?
À cette question de Kim Dozier, Gabriele Cascone a répondu qu’il n’existe pas de données statistiques à ce sujet. « Toutefois, la pandémie a joué comme un obstacle à des attaques terroristes, en raison des mesures de confinement et de la hausse des contrôles de police. Il est aussi évident que la pandémie a créé des opportunités pour le terrorisme, notamment avec la radicalisation et le recrutement en ligne. Enfin, le fait que la pandémie provoque une profonde crise économique, qui creuse encore les inégalités et le ressentiment, des motivations pour rejoindre les groupes terroristes. Mais pour beaucoup de terroristes sur le terrain, la pandémie n’a été rien d’autre qu’un nouveau risque. Ils ont continué à opérer, comme on la vue dans le Sahel ».
Barre Seguin, lui, a expliqué que l’Otan a dû réduire ses activités, tout en maintenant sa mission de défense et de dissuasion, ce qui a abouti à une baisse des « indicateurs et signaux d’alerte envoyés aux quartiers généraux ». La pandémie a été « ignorée par les groupes terroristes, qui ont tenté de la tourner à leur avantage dans les zones qu’ils essaient de contrôler ». La désinformation joue un rôle important, notamment en Afghanistan, où des efforts sont fait par l’Otan pour contrer le narratif des Talibans.
« Nous allons vivre à l’ombre du Coronavirus jusqu’en 2023, a conclu Juan Battaleme. La pandémie a été vue par les guérillas et les cartels latino-américains comme une opportunité. Elle a permis à des groupes gauchistes en Amérique centrale de répandre de la désinformation. Quoiqu’il en soit, la crise Covid-19 dépasse les problèmes générés par l’agitation sociale. Impliquer l’armée dans la réponse ne pose qu’un problème : la corruption ou non dans la manière de le faire ».