« Le rôle des TIC dans la gestion des crises globales »
Les « AD Talks », édition spéciale en ligne de la conférence Atlantic Dialogues, se sont poursuivis le 15 décembre avec une session sur « le rôle des TIC dans la gestion des crises globales ». Le débat, modéré par l’économiste enseignant au Brésil Eduardo Haddad, Senior Fellow du Policy Center for the New South, a porté sur l’utilité des TIC en temps de crise, les mesures prises par les pays du Sud et le niveau de dépendance induit à l’égard des pays du Nord.
Jana Nelson (Brésil), responsable pour l’Amérique latine de l’Amazon Web Services Institute, a rappelé que « les technologies ont été cruciales dans les premiers mois de la pandémie, et le restent aujourd’hui. Les TIC ont aidé les citoyens à obtenir des informations sur le virus, avec des applications comme en Argentine permettant d’analyser les symptômes, de tracer les contacts et d’informer sur le nombre de cas ville par ville. Les TIC ont aussi aidé les gens en situation de chômage. Au Brésil, des demandes d’aides urgentes ont été traitées de manière massive dans les temps. La continuité des services publics a été assurée en ligne, dans la justice notamment, tandis que dans certains pays, comme en Egypte, des millions d’étudiants ont pu poursuivre leur cursus en ligne durant le confinement. En Colombie, les plateformes d’enseignement en ligne ont été mises en place en une semaine ».
Prince Boadu (Ghana), PDG et cofondateur de MapTech Logistics Limited, a insisté sur le rapport entre TIC et transparence. « L’industrie pharmaceutique a utilisé des données pour réaliser des analyses complexes, mais mon message est celui-ci : elle devrait penser à ce qu’elle vend – non pas des médicaments ou des vaccins, mais de la confiance. Il est crucial de rendre le processus d’élaboration des vaccins aussi transparent que possible. Certains médecins ne sont pas prêts à prescrire le vaccin, car ils ne sont pas sûrs de qu’il contient ».
Interrogée sur le côté « suffisant ou non » des mesures prises par les pays du Sud face à la pandémie, Jessica Berlin (Allemagne), fondatrice et directrice de CoStruct, a répondu que « les derniers mois ont montré que nulle part, les mesures n’ont été suffisantes. La dynamique Nord-Sud ou l’Ouest et le reste du monde ne fonctionne plus. Le Rwanda et le Sénégal ont fait mieux que certains des pays les plus riches en Occident. Je suis en Allemagne, où nous entrons le 16 décembre dans un confinement d’un mois parce que nos mesures n’ont pas été suffisantes ».
Elle a rappelé que « le travail à domicile et les visio-conférences sont devenus une nouvelle norme, mais seulement pour les cols blancs et les personnes ayant accès à Internet ». Il n’existe selon elle pas de présomption de dépendance accrue entre les donateurs du Nord et les pays bénéficiaires de l’aide au Sud. « La priorité numéro un des donateurs, nous l’avons vu pendant la crise, reste leurs propres citoyens. Les gouvernements africains ou asiatiques savent qu’il faut se retourner vers leurs capacités nationales. Au-delà de cette dynamique, l’innovation locale dans les pays en développement sera plus efficace que n’importe quelle solution importée. Des entrepreneurs africains ont innové durant la crise. Au Ghana par exemple, des barrils de pétrole ont été recyclés en stations de lavage de mains, fonctionnant dans l’espace public à l’énergie solaire. »
Muhammadou M.O. Kah (Gambie), vice-président pour les Affaires académiques et professeur de TIC à l’Université américaine du Nigeria, a mis l’accent sur ce qu’il considère être le principal avantage des TIC : « l’agilité de la réponse sous pression de l’urgence ». Il a cependant modéré le côté « salvateur » d’Internet dans les plateformes d’éducation en ligne qui ont essaimé en Afrique et dans le monde durant la crise Covid-19 : « Les TIC nous permettent de déconstruire l’enseignement, et de reconstruire l’éducation. Nous avons changé la façon dont nous apprenons, dont nous pouvons le faire partout dans le monde. Les TIC ne sont pas la panacée : elles facilitent sans doute l’accès à des cours en ligne, mais ne remplacent pas la présence humaine des éducateurs, le face-à-face autour du savoir. Certains étudiants durant cette crise ont terminé l’année avec de moins bons résultats ».
« L’impact de la Covid-19 sur les marchés et la transition énergétiques »
Les « AD Talks », édition spéciale en ligne de la conférence Atlantic Dialogues, se sont poursuivis le 16 décembre avec une session sur « L’impact de la Covid-19 sur les marchés et la transition énergétiques ». Le débat, modéré par Rim Berahab, économiste du Senior Fellow du Policy Center for the New South, a permis de brosser un tableau de la transition énergétique vue depuis l’Atlantique élargi.
Andreas Kraemer (Allemagne), fondateur de l’Ecologic Institute, a fait un tour des pays de l’Atlantique, pour décrire la situation : « L’Amérique latine n’innove guère, elle suit – en dehors du méthanol au Brésil. L’Etat pétrolier failli du Venezuela interroge sur l’avenir de la Colombie. En Amérique du Nord, une énorme consommation et un énorme potentiel, les énergies renouvelables progressent. L’Europe suit le Green Deal de l’Union euroépenne, et l’essentiel du budget sera consacré dans les 7 ans à venir pour faire la transition énergétique. En Afrique, le continent n’est pas homogène, le Maroc et l’Afrique de l’Ouest ont vraiment développé le solaire et l’éolien, mais l’Afrique du Sud est dominée par le charbon, l’Angola et le Nigeria par le pétrole. L’Algérie est forte dans les gaz fossiles. Il y a une grande diversité et peu d’intégration, avec une faible consommation. Partout, les énergies vertes progressent, et le gaz, pétrole et charbon déclinent. Les technologies permettent aussi des gains d’efficacité ».
En outre, les prix du pétrole ont dégringolé durant la pandémie, entraînant des banqueroutes dans le secteur pétrolier, essentiellement dans le transport. « Là où les industries fossiles avaient déjà perdu la bataille en termes de narratif, elles l’ont complètement perdue : on a vu comment la pollution de l’air a contribué à la sévérité des cas Covid. L’expérience est celle-ci : la pollution atmosphérique tue. Une nouvelle norme est née. On le voit sur les billets de 100 dirhams au Maroc, où figurent des dunes, des chameaux et des turbines éoliennes en arrière-plan ».
Sunjoy Joshi (Inde), président de l’Observer Research Foundation, est revenu sur l’incertitude causée par la pandémie et ses conséquences économiques. « Nombre d’organes vitaux de la globalisation étaient défaillants quand le Covid-19 a frappé. Les réactions au Covid ont été financières, avec peu de coopération globale. Nous allons rester dans cette gestion pays par pays du désastre un bon moment. On parle du monde post-pandémie, comme si on allait sortir d’un cauchemar. On ne pourra pas rallumer les lumières en appuyant sur un bouton. La crise économique va durer, même si les vaccins doivent nous mettre hors du Covid d’ici l’été 2021. Certaines tendances vont demeurer, allant vers la déglobalisation, creusant encore les inégalités. Des tendances de fond sont modifiées, comme la mobilité internationale, ce qui est bon pour la décarbonisation. Des gens ne veulent plus vivre dans des clusters, dans les villes. Les PIB vont être réduits de 9 % d’ici 2050, par rapport à ce qu’ils étaient avant la pandémie. De nouveaux modes de travail – en ligne et à domicile – vont réduire l’intensité énergétique des PIB, un bon signe pour la décarbonisation des économies. La demande en énergie va baisser, ce qui est une bonne nouvelle, mais pas pour toutes les économies. Au sujet de la transition énergétique, la mauvaise nouvelle est qu’elle ne se produira pas, tant qu’on ne trouva pas les moyens de se préoccuper de ce qu’elle implique. C’est le bon moment, mais les gouvernements ont d’autres problèmes bien plus importants à régler. Sur le plan financier, une coopération plus grande est nécessaire pour partager le fardeau de la dette, en impliquant le secteur privé ».
Pour Valeria Aruffo, directrice des relations extérieures du think tank Dii Desert Energy, « la pandémie a été un signal d’alarme. Elle nous a rappelé que le changement climatique, lui non plus, ne connaît pas frontières. La pandémie a accéléré la transition énergétique. Mon think tank, basé à Dubaï, croit que les nouvelles technologies vont faire advenir un modèle d’énergie verte ».
Saïd Mouline, directeur de l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE), est revenu sur l’exemple du Maroc : « En tant que pays du Sud importateur de pétrole, nous avons eu une discussion, lorsque le prix du barril de brut est tombé à moins de 20 dollars cette année : devons-nous aller plus loin dans l’économie grise, ou accélérer nos réformes vers une économie verte ? Depuis 2005, l’Index de protection du climat classe le Maroc à la 7ème place, le Chili 9ème et l’Inde 10ème. Le Maroc a rempli ses objectifs d’énergies renouvelables, et s’est fixé une cible de 52 % de renouvelables d’ici 2030, avec des politiques d’efficacité énergétique dans tous les secteurs de l’économie ». L’AMEE a changé de mission durant la pandémie, pour devenir l’agence marocaine pour l’économie verte, qui reste une priorité du Maroc.