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Regards juridiques sur les élections présidentielles américaines

Abdessalam Jaldi | Posted : November 30, 2020

Le suspens électoral américain s’est achevé le samedi 7 septembre par la victoire du candidat démocrate Joe Biden comme 46ème président des Etats-Unis, en franchissant la barre fatidique des 270 grands électeurs lui garantissant la victoire le 14 décembre prochain au sein du Collège électoral. Néanmoins, le président sortant Donald Trump, refusant de reconnaître le verdict des urnes, semble déterminé à poursuivre son bras de fer judiciaire engagé devant les tribunaux pour contester le résultat annoncé de la présidentielle. Dans cette perspective, le refus de Donald Trump de concéder sa défaite retardant la transition présidentielle, peut-il plonger le pays dans une crise constitutionnelle ?

Le Président sortant engage son bras de fer judiciaire

Joe Biden a gagné la présidentielle américaine au terme d’un scrutin électoral plus serré que ne l’avaient anticipé les instituts de sondage qui prédisaient une vague bleue, démocrate. Ayant successivement remporté la Floride et l’Ohio, tout en conservant le Texas dans le giron républicain, le président sortant paraissait en ballotage favorable pour décrocher un second mandat présidentiel, d’autant que les premiers résultats partiels dans les Swing States en Pennsylvanie, au Wisconsin et au Michigan l’annonçaient vainqueur. Néanmoins, le candidat républicain a fini par subir une flamboyante remontada de son adversaire démocrate, grâce au vote à distance qui a fait basculer le sort des présidentielles de 2020. Multipliant ses suspicions sur le caractère supposément frauduleux du Mail Voting, pourtant approuvé par 46 Etats fédérés, dont certains ont même autorisé la comptabilisation des bulletins reçus dans les jours suivant le 3 novembre[1], le locataire de la Maison Blanche a entrepris depuis le printemps dernier une croisade judiciaire contre ce mode d’organisation du vote. Néanmoins, la Cour suprême américaine, saisie par les républicains dans un litige les opposant à l’état de Pennsylvanie relatif au vote par correspondance et plébiscité par les électeurs démocrates, approuva  la décision des instances juridictionnelles pennsylvaniennes reconnaissant le vote à distance et autorisa les responsables électoraux à compter les bulletins de vote jusqu’au 6 novembre à condition qu’ils aient été postés au plus tard le jour de l’élection, tout en adoptant une ordonnance de référé obligeant les bureaux de vote à classer à part les bulletins arrivés après le jour de l’élection.

Le bras de fer entre Donald Trump et les démocrates atteint son paroxysme la nuit du 3 au 4 novembre, lorsque le président sortant s’autoproclama vainqueur de la présidentielle avant même la fin du dépouillement des bulletins de vote. Le milliardaire newyorkais lança dès le lendemain une offensive juridique pour suspendre le décompte des suffrages, surtout dans les Etats où le candidat démocrate reprenait l’avantage à mesure que les bulletins de vote s’empilaient, comme dans le Michigan qui rejeta la plainte déposée par la section locale du parti républicain pour allégation infondée, ou en Géorgie où le juge du comté Chatham County débouta le camp Trump après avoir auditionné en personne le président du conseil des officiers de l'état-civil en charge de l'élection dans le comté, sachant que le secrétaire d’Etat de la Géorgie Brad Raffensperger avait affirmé après l’annonce des résultats qu’il sera procédé à un recomptage des voix en raison de scores trop serrés. Bien que la commission électorale fédérale ait certes démenti tout soupçon de fraude durant l’organisation de l’élection, alors même que les observateurs internationaux de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) avaient dénoncé un flagrant abus de pouvoir émanant du président sortant qui ébranle l’image de la démocratie américaine, l’imprévisible Donald Trump persiste toutefois à contester les résultats en relayant des soupçons de fraude, sans livrer pour l’instant aucun élément matériel concret. 

Un bras de fer judiciaire portant préjudice à la transition présidentielle

Le bras de fer judiciaire orchestré par Donald Trump annonce un gros temps sur la transition présidentielle, comprise dans les termes du Presidential Transition Act entre l’Election Day et l’Inauguration Day, le 20 janvier de l’année suivant l’élection. En effet, la direction des Services généraux de l’administration de la Maison-Blanche, a obstinément refusé, seize jours durant, d’engager le protocole de transition vers l’administration Biden qu’elle refuse d’appeler le President-Elect, protocole pourtant indispensable pour débloquer les fonds fédéraux nécessaires à la mise en place de la nouvelle administration durant la période transitoire, ainsi que pour les briefings des nouveaux décideurs par les anciens sur les dossiers sensibles, avant l’entrée en fonctions, le 20 janvier 2021. La direction des services généraux ne s’est résignée à enclencher la procédure de la passation des pouvoirs présidentiels que sous la pression du camp démocrate ; et depuis qu’il y a quelques jours certains républicains ont dénoncé une République bananière, de surcroît soulignée par les rejets successifs des recours de l’équipe d’avocats du président sortant. Il faut dire que l’histoire de la présidence américaine regorge de transitions difficiles, dont la plus emblématique reste sans conteste celle de Bush vs Gore en 2000, quand les fonds inhérents à la transition présidentielle ne furent débloqués que le 13 décembre, soit au lendemain de la décision de la Cour suprême déclarant George W. Bush vainqueur de l’élection.

Par ailleurs, le président sortant dispose jusqu’au 20 janvier de toute l’autorité constitutionnelle dont il jouissait avant le scrutin pour agir en tant que président, et il ne serait pas surprenant de voir un Donald Trump refusant catégoriquement de concéder sa défaite multiplier ses accusations de fraude électorale massive, puis en profiter pour saboter la transmission du pouvoir à son successeur. Il maintiendrait alors un discours incendiaire tous azimuts susceptible d’ébranler davantage la défiance de son propre camp électoral envers les institutions de représentation démocratique, sachant que 75% de ses électeurs pensent que la dernière élection a été truquée. Cela rappelle la période de transition entre 1932 et 1933, quand le Républicain sortant Herbet Hoover avait usé de la période transitoire pour décrédibiliser la programme économique du New Deal de son successeur démocrate Benjamin Franklin Roosevelt[2].

Dans le même ordre d’idées, la détermination du président sortant d’aller jusqu’au bout de sa bataille juridique dans l’espoir de renverser le résultat de l’élection sème un doute sur la période de transition présidentielle. Notons toutefois qu’en vertu de la Constitution américaine et contrairement aux propos de Trump, la Cour suprême ne peut être saisie qu’en dernier ressort, après l’épuisement de l’ensemble des voies de recours juridictionnelles inférieures, dans la mesure où le droit électoral relève des Etats fédérés, à moins que l’objet du litige ne concerne la Constitution américaine, les lois fédérales, le corps diplomatique, un traité international conclu par le gouvernement à Washington, ou si un contentieux oppose des Etats fédérés pour un montant dépassant les 75 000 dollars (Diversity Citizenship en droit américain). Il en résulte que l’équipe du Président sortant doit préalablement engager ses recours judiciaires devant les tribunaux des Etats, en l’occurrence leurs trois niveaux de juridictions. De même, la loi fédérale Electoral Count Act de 1887 précise que les contentieux électoraux doivent être réglés au niveau de l’Etat au plus tard 6 jours avant la réunion le 14 décembre des 538 grands électeurs qui constituent le Collège électoral, c’est à dire le 8 décembre (Safe Harbor Period en droit américain). A cette date butoir, chaque Etat doit déterminer ses grands électeurs et tous les litiges doivent avoir été résolus et les résultats certifiés, puis transmis au Collège électoral. Notons également que la Cour suprême reçoit annuellement un nombre très important de requêtes, parmi lesquelles elle ne choisit d’examiner qu’un nombre restreint, en fonction de l’ampleur des enjeux juridiques soulevés. Une éventuelle saisine de la Cour suprême par l’équipe du président sortant de la Haute Cour ne peut donc en aucun cas être systématique.

La légitimité de la Cour suprême en jeu   

La Cour suprême constitue par excellence, la pierre angulaire de l’ordre juridique américain. Chargée en vertu de l’article III, section 1, de la Constitution américaine de veiller sur la constitutionnalité des lois et de se prononcer sur les conflits de pouvoirs, ses décisions sont véritablement en mesure de transformer durablement la société américaine, à l’instar du célèbre arrêt Roe vs Wade en 1973 qui constitutionnalisa le droit à l’avortement, ou encore l’arrêt Obergefell vs Hodges en 2015 qui légalisa le mariage homosexuel. Juridiction suprême composée d’un Chief Justice et de huit Associate Justices nommés à vie par le président des Etats-Unis après la validation par le Sénat, la désignation le 27 octobre dernier, à 8 jours de l’élection présidentielle, de la très conservatrice Amy Coney Barett pour remplacer la progressiste Ruth Bader Ginsburg disparue le 18 septembre dernier a fait grincer des dents le camp démocrate qui craint une dérive juridique si la Haute Cour est amenée à se prononcer sur le contentieux électoral opposant le président sortant au président démocratiquement élu, alors que le tiers des neufs juges sont conservateurs, et trois ont été nommés par Donald Trump. En effet, la confirmation de la désignation d’Amy Coney Barett par le Sénat à majorité républicaine a fait passer la majorité conservatrice à 6 juges, conférant au parti républicain un contrôle d’une ampleur sans précédent sur la plus haute juridiction américaine. Cette nouvelle donne pourrait contribuer à infléchir durablement la jurisprudence de la Haute Cour sur tous les sujets sociétaux, alors même que les sénateurs républicains qui ont approuvé la nomination en urgence de la candidate de Donald Trump s’étaient opposés en 2016 à la désignation du progressiste modéré Merrick Garland, proposé par Barack Obama, arguant que le président démocrate était trop proche du terme de son pouvoir et qu’une telle nomination devait être en phase avec la tendance électorale du pays, puisqu’il ne restait qu’un an de mandat à Barack Obama. Autant dire que l’affaire de la juge Barett, qui a défrayé la chronique outre-Atlantique, révèle au grand jour, les inerties du système démocratique américain.

La Cour suprême américaine saura-t-elle donc relever le défi de son impartialité si elle est appelée à arbitrer l’issue du litige électoral actuel, comme elle l’avait fait pour le dénouement de l’élection de 2000 ? Il faut dire que la plus haute instance juridictionnelle américaine, malgré une majorité de 5 juges conservateurs durant le mandat de Donald Trump, avait tout de même infligé de nombreux revers judicaires à ce dernier, s’accrochant aux principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice qui régissent les institutions de représentation démocratique américaine. Il en va ainsi de l’arrêt Bostock vs Clatyon County en juin 2019 lorsque la Cour suprême avait affirmé que le titre VII du Civil Rights Act (CRA) de 1964 interdit toute forme de discrimination à l’encontre des homosexuels et des personnes transgenres en matière d’emploi. Et, en juin dernier, la Haute Cour s’était encore opposée à l’annulation par l’administration Trump du décret Deffered Action for Chilhood Arrivals (DACA), un mécanisme légué par son prédécesseur démocrate qui octroie une protection juridique aux migrants arrivés dans la clandestinité aux Etats-Unis pendant leur enfance. Un mois plus tard et dans le cadre de l’affaire Trump vs Vance, la même institution avait souligné qu’un procureur new-yorkais était bel et bien en droit de réclamer les archives comptables du président américain, en affirmant que l’immunité présidentielle dont bénéficie le locataire de la Maison Blanche du fait de son statut constitutionnel n’est pas absolue, mais relative. Dans l’ensemble de ces affaires, le rôle du président de la Cour suprême John Roberts, certes conservateur, mais très attaché à la crédibilité de la Cour, fut décisif pour maintenir un équilibre entre les deux camps conservateur et progressiste au sein de la plus haute instance juridictionnelle américaine. Or, son rôle d’équilibriste est désormais fragilisé par l’arrivée d’Amy Coney Barrett, alors qu’une décision donnant la présidence à Trump par six conservateurs contre trois progressistes pourrait incontestablement écorner l’image de la Cour suprême. L’aile gauche du parti démocrate a néanmoins émis son souhait de réformer cette juridiction en augmentant l’effectif des juges, d’autant que leur nombre n’est pas limité par la Constitution.

Conclusion   

Bien que les autorités électorales aient explicitement contredit les accusations de fraude et de piratage émises par le président sortant, ce dernier continue de refuser à concéder sa défaite tout en martelant, sans apporter des preuves tangibles, que l’élection lui a été volée, alors même que ses saisines restent pour l’instant infructueuses. Un tel coup de force, de surcroît aggravé par une société polarisée en pleine transition démographique, plonge non seulement le pays dans une période d’incertitude constitutionnelle qui menace sérieusement sa sécurité, mais risque aussi de porter préjudice à l’image de la démocratie américaine, avec à la clé des dommages considérables causés aux institutions du pays. On est bien loin de la prophétie « fukuyamienne » sur la fin de l’Histoire.   

 

[1] National Conference of State Legislatures.

[2] Jeremi Suri et Jeffrey K. Tulis. How a lame-duck Trump could imperil the United States, and what Congress can do to stop him. London School of Economics and Political Science.

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