Nos systèmes économiques face au COVID-19 : Faiblesses et opportunités
La crise sanitaire du Covid-19 a montré plusieurs fragilités et limites du système économique mondial. En plus de son impact très négatif sur l’économie, cette crise a des impacts sociaux très inégaux et qui varient d’une couche sociale à une autre. Elle a un impact dévastateur sur les ménages pauvres qui n’ont pas suffisamment d’épargne et de ressources financières et ceux ayant des emplois vulnérables[1]. Si le télétravail est une option pour certains, ce n’est pas le cas pour plusieurs personnes qui travaillent, par exemple, dans le secteur du tourisme, des services, de l’automobile ou dans l’informel.
Dans quelques mois, un vaccin contre le Coronavirus aura peut-être été mis au point. Cependant, cette crise aura sans doute un impact très important à long terme, à la fois sur notre culture, sur notre société et sur notre façon de penser l’économie. Les perturbations que nous vivons actuellement ne sont probablement que les premiers signes d'une transformation historique de nos normes politiques et sociétales. Ces bouleversements mettent en relief les fragilités de notre modèle économique actuel et notre manque de préparation à faire face à un choc sanitaire de cette ampleur.
Fragilités des systèmes économiques actuels
Plusieurs systèmes de santé à travers le monde succombent actuellement à leurs failles, en manquant d'équipements pour tester leurs populations à grandes échelles et protéger les personnes fragiles, qui sont plus susceptibles d'attraper le virus. Les mesures de confinement prises par plusieurs Etats et qui sont nécessaires pour faire face à cette crise, ont gravement perturbé les chaînes d'approvisionnement[2]. D'abord en Chine, qui fournit un grand volume d'intrants de production à travers le monde puis, dans d'autres parties de l'Asie, de l'Europe et des États-Unis. Ces perturbations pourront engendrer un repli des chaines de valeurs mondiales en faveur des chaines de valeurs locales et régionales.
La baisse de la production au niveau mondial, l’incertitude accrue au niveau des marchés ainsi que les politiques de confinement ont impacté négativement l’activité de plusieurs entreprises. Certaines se sont déclarées en faillite. L’impact sur l’emploi est dramatique dans le sens ou des millions d’emplois sont menacés. Ces pertes d’emplois creuseront inexorablement la pauvreté[3] et les inégalités au sein de plusieurs pays et les répercussions mentales et psychologiques sur les individus seront également dévastatrices[4].
Selon le Fonds monétaire international (FMI), le risque d’une récession économique parait inévitable. L'économie mondiale entre dans une phase de ralentissement si abrupte qu'elle pourrait dépasser la gravité de la Grande Dépression[5].
Retour très fort de l’Etat providence
La crise du Covid-19 a été marquée par un retour très fort de l’Etat dans plusieurs pays à travers le monde, avec des politiques de relance courageuses, pour à la fois éviter l’effondrement de l’économie et pour protéger les populations les plus vulnérables de la société. D’ailleurs, plusieurs pays ont privilégié la vie humaine par rapport à l’économie.
Il est important de souligner que lors d’une récession ou d’une crise économique standard, on tolère parfois la faillite de plusieurs entreprises et la perte d’emplois de plusieurs personnes. Ceci n’est pas le cas avec cette crise sanitaire, où l’on essaye par tous les moyens d’éviter la faillite de nombre de TPME, afin qu’elles puissent préserver leurs emplois.
On remarque, également, dans plusieurs pays, un soutien de l’Etat apporté aux ménages les plus impactés par cette crise, notamment les plus démunis pour qu’ils puissent subvenir à leur besoin de consommation minimale vitale. On peut dire qu’il y a un consensus entre économistes à travers le monde sur l’utilité et l’importance d’un revenu universel[6] dans le contexte actuel pour faire face à cette crise et pour pouvoir réussir la politique du confinement, la seule solution que nous avons aujourd’hui à notre disposition en l’absence d’un vaccin ou d’un remède.
Il est important de noter, également, que dans le contexte de cette crise, plusieurs pays peuvent réfléchir à devenir autosuffisants et commencent à produire au niveau national des équipements et des produits stratégiques. Ce qui, en plus de la guerre commerciale pré-Covid-19 entre la Chine et le Etats-Unis, peut faire reculer la mondialisation. Nous pouvons déjà prévoir que nous sommes dans les premiers stades d’une révolution économique.
Par ailleurs, et malgré le fait que c’est un peu tôt pour tirer des grands enseignements de cette crise, on peut en mentionner quelques-uns préliminaires. Le premier est relatif au besoin crucial d’investir dans le capital humain à travers un meilleur accès aux soins de santé et à une éducation de qualité. Le deuxième est relatif au rôle très important du leadership des Etats pour faire face à cette crise. Bien que le rôle et l’intervention des Etats ne doit pas se limiter aux défaillances des marchés lorsqu’elles surviennent ou pour trouver des solutions aux crises mais, également, pour la réorientation des marchés vers la réalisation de projets innovants qui ont à la fois des objectifs de rentabilité et des retombées positives sur les plans économique, social et environnemental. Le troisième enseignement réside dans le rôle crucial de l’investissement dans la recherche et développement, notamment dans la prévention des maladies virales.
Une opportunité en or pour bâtir une société juste et équitable
Il est important dans ces moments de crise de saluer les efforts consentis par les gouvernements et les banques centrales à travers le monde, surtout dans les pays en développement qui n’ont pas suffisamment de marges de manœuvre et de ressources financières et qui ont pu mobiliser des moyens importants pour soutenir les entreprises et protéger la vie de leurs citoyens.
Dans le contexte actuel de retour très fort de l’Etat, il faut saisir cette occasion et, surtout, dans les pays en développement, pour renforcer la confiance entre l’Etat et les citoyens qui est un élément très important pour la réussite de toute stratégie de développement. C’est, aussi, un moment crucial pour réfléchir sans individualisme et sans égoïsme sur comment bâtir une société solidaire, juste, équitable, inclusive et résiliente. C’est une opportunité, également, pour bien penser le développement et pour définir les bases d’un modèle de croissance économique inclusif où le capital humain joue un rôle central. C’est une bonne occasion pour repenser la relation entre l’Etat, le secteur privé et la société civile.
Pour conclure, la crise du Coronavirus ne vient pas uniquement mettre l’accent sur nos fragilités économiques actuelles. Elle tire, aussi, la sonnette d’alarme pour nous prévenir des risques futurs, -à savoir les risques liés à la question du réchauffement climatique et aux inégalités- dont nous sommes conscients de l’existence mais contre lesquels nous n’avons pas encore pris de mesures tangibles.
[1] Hamza Saoudi, « Covid-19, quelles répercussions pour les pays en développement ? », Policy Center for the New South, Policy Brief, 3 avril 2020. Disponible sur : http://old.policycenter.ma/publications/covid-19-quelles-repercussions-pour-les-pays-en-developpement
[3]https://oxfamilibrary.openrepository.com/bitstream/handle/10546/620976/mb-dignity%20not%20destitution-an-economic-rescue-plan-for-all-090420-fr.pdf