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La montée en puissance de l’extrême droite sonne-t-elle le glas de l’exceptionnalisme suédois ?

Jamal Machrouh | Posted : October 09, 2019

 

S’il existe un pays dans le monde où le concept du Soft Power prend pleinement sens et substance, ça serait fort probablement la Suède. Ce pays détient remarquablement toutes les composantes du Soft Power identifiées par le géopolitologue américain Joseph Nye dans son article paru en 2006 dans la revue Foreign Policy à savoir : la culture, les valeurs politiques et la politique étrangère.

Située à proximité de l’océan glacial arctique, au Nord, la mer baltique, à l’Est, et les mers Skagerrak et Cattégat, à l’Ouest, la Suède semblait être hermétique aux maux de la planète. Ce pays nordique, de traditions viking, a su forger au fil des temps une réputation de société modèle. Partout dans le monde, la Suède est associée aux valeurs nobles du respect des droits humains, de la protection de l’environnement et de la promotion de la paix. Une journaliste est même allée jusqu’à qualifier le pays de « A humain superpower ». Conséquence, la Suède bénéficie d’un poids politique et diplomatique largement supérieur à la somme de ses attributs objectifs de la puissance. 

Percée de l’extrême droite

Toutefois, un automne précoce et particulièrement froid a frappé la Suède en septembre 2018. Le Parti démocrate suédois, de coloration extrême droite, a raflé pas moins de 62 des 349 sièges du Riksdag, le parlement suédois. Cette percée fait du parti des Démocrates Suédois la troisième force politique du Pays. Plus encore, avec un peu plus de 17% des sièges au parlement, ce parti n’est qu’à un point et demi de la deuxième force politique, représentée par le parti des Modérés. Quant au Parti social démocrate du premier ministre sortant, il a réalisé le plus faible score de son histoire.

La montée en puissance du parti des Démocrates suédois a été d’autant plus inquiétante que les élections législatives du 9 septembre 2018 n’ont pas débouché sur une majorité claire et solide. Les deux blocs qui dominent le paysage politique en Suède ont reçu un nombre total de sièges presque identique. Ainsi, La Coalition Rouge-Vert, le bloc du premier ministre sortant, Stefan Löfven, composée du Parti social démocrate (100 sièges), parti de Gauche (28 sièges) et les Verts (16 sièges), dispose de 144 sièges, soit un siège seulement de plus que l’Alliance, bloc d’opposition regroupant les Modérés (70 sièges), Le parti du Centre (31 sièges), les Chrétiens démocrates (22 sièges) et les Libéraux (20 sièges). Une telle situation faisait planer un risque sérieux de voir le parti des Démocrates suédois influencer la formation du gouvernement et jouer un rôle de kingmaker au profit de son agenda politique.

Cette configuration, inédite en Suède, a provoqué un échec répétitif dans la formation du gouvernement. Une première tentative, conduite par le premier ministre sortant, a été tenue en échec le 14 septembre et une deuxième a subi le même sort le 14 décembre. Cela ne laissait au président du Riksdag que deux autres tentatives avant d’être obligé de provoquer de nouvelles élections législatives que des observateurs craignaient qu’elles ne soient profitables à l’extrême droite. Ce n’est que le 18 janvier 2019, c'est-à-dire après 133 jours de la date des élections législatives, un record historique dans le pays, que le Riksdag a pu investir une coalition gouvernementale conduite par le social démocrate Stefan Löfven.

Certes, la bonne résilience du système politique suédois a permis de garder à distance le Parti des Démocrates suédois. Toutefois, deux atteintes ont été portées à l’édifice sur lequel repose la vie politique en Suède.

déstabilisation de l’édifice démocratique suédois

D’abord, plutôt que de remédier au déficit de cohérence politique dont souffre le pays, la coalition gouvernementale mise en place le 18 janvier l’exacerbe. En effet, le gouvernement actuel est composé du Parti social démocrate et des Verts mais exclut le parti de gauche, pourtant un allié de la campagne électorale. En revanche, la coalition gouvernementale dépend de l’appui du parti du Centre et de celui des Libéraux qui, à leur tour, se sont dissociés de leurs partenaires de l’alliance, les Modérés et les Chrétiens démocrates. Cette incohérence pourrait être mal perçue par le collège électoral et ne manquerait pas de faire le lit du parti de l’extrême droite. Lequel parti n’hésiterait certainement pas à mettre en avant les contradictions gouvernementales pour creuser davantage la distanciation de la population vis-à-vis des partis traditionnels. Une distanciation dont nous avons pu mesurer l’ampleur lors de notre dernier séjour à Stockholm, en octobre dernier.

Ensuite, l’élection du président du parlement, intervenue le 24 septembre 2018, a bafoué une tradition politique respectée de longue date en Suède. En effet, depuis 1976, la tradition commande que la présidence du parlement revienne au premier parti du plus grand bloc, c'est-à-dire celui du futur premier ministre. Mais, revirement politique majeur, le député du parti conservateur des Modérés, Andreas Norlén, a battu son rival du Parti social démocrate et a été consacré président du Rikstag . Au-delà de la symbolique, la portée de ce revirement a été d’autant plus mal perçue que la victoire d’Andreas Norlén a été rendue possible grâce au soutien direct des parlementaires du Parti des Démocrates suédois. Quelques jours après, l'opposition du centre-droit et de l'extrême droite a uni ses voix pour démettre le Premier ministre social-démocrate Stefan Löfven. La motion de censure a été votée par 204 voix sur les 349. Des inquiétudes ont été alors exprimées par rapport au scénario d’un rapprochement assumé et durable entre les partis de la droite et celui de l’extrême droite, représenté par les Démocrates suédois.

Quelles perspectives pour le débat sur l’immigration ?

Cette transformation profonde de la scène politique en Suède, marquée par la montée de l’extrême droite, devrait concerner l’Afrique pour au moins deux raisons : la première est que le parti des Démocrates suédois, à l’instar de tous les autres partis d’extrême droite, fait de la politique anti-immigration son cheval de bataille. L’augmentation de l’influence d’un tel parti sur le parlement et le gouvernement suédois aura des conséquences négatives sur la communauté africaine vivant dans ce pays, considéré jusqu’à aujourd’hui une terre d’asile. La deuxième est que la Suède a toujours exercé au sein des institutions européennes un véritable contrepoids aux vents du rejet, venus d’autres régions d’Europe. Le renforcement de l’extrême droite en Suède menace de rompre cet équilibre et d’orienter la politique européenne et le droit communautaire vers plus de durcissement contre l’immigration.          

Quoi qu’il en soit de la capacité des protagonistes politiques suédois à exclure durablement toute possibilité pour l’extrême droite d’influencer la formation gouvernementale, une chose est acquise : le gouvernement minoritaire, actuellement en place, en Suède est bien fragile(https://www.nytimes.com/2019/01/18/world/europe/sweden-government.html) et ses chances pour achever son mandat demeurent incertaines. Force est de remarquer, d’ailleurs, que le premier ministre social démocrate a été reconduit à la tête du gouvernement par plus de voix contre (153) que de voix pour (115). 

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