L’ordre international se joue au Sud
Le Caire semble avoir les moyens de ses ambitions. A la tête de l’Union africaine, depuis le 10 février 2019, dans le cadre de la présidence tournante de l’Organisation panafricaine, impliquée dans les- grandes questions régionales, et forte de la confiance d’alliés puissants, l’Egypte reprend un leadership dans la région, longtemps souhaité.
Le Sommet, inédit, organisé entre l’Union européenne et la Ligue des Etats arabes, appelée communément la Ligue arabe, illustre ce renouveau de la diplomatie égyptienne
Dans une région marquée par l’émergence de nouvelles grandes puissances, en premier lieu la Chine et la Russie, et leur concurrence avec les puissances occidentales traditionnelles, ce Sommet illustre aussi la nouvelle donne géopolitique et constitue potentiellement une prémisse d’une nouvelle doctrine européenne en termes d’influence et d’investissement. Aussi, à l’heure d’une confrontation entre les Etats-Unis et la Russie1 et entre les Etats-Unis et la Chine2 , l’Union européenne est appelée à clairement choisir son camp et il en vaut de même pour les pays arabes.
Ces données géopolitiques soulignent la place primordiale du Sud dans le rééquilibrage des relations internationales et son rôle nouveau, décomplexé et autonome. Dans un monde où il ne s’agit plus de pôle mais de multitude d’acteurs qui s’affrontent, les pays du Sud sont amenés à ne plus être une scène de conflits mais, plutôt, un acteur à part entière dans la redéfinition des rapports géopolitiques mondiaux.
L’Egypte : futur hégémon régional
Emmanuel Macron, le président français, et Mike Pompeo, Secrétaire d’Etat américain, ont tous deux visité le Caire durant ce dernier mois et ont montré des signes de confiance au régime égyptien. La confiance accordée au Président Al Sissi s’inscrit dans le cadre d’une donne géopolitique globale où la menace iranienne et le risque terroriste priment sur toute autre considération. Forte de ses récentes découvertes en mer méditerranée, et de son rapprochement avec Israël3 , l’Egypte a tous les éléments pour imposer sa marque sur les relations internationales, tant au niveau régional que mondial. Sur la question des migrations, du terrorisme mais aussi du développement, l’Egypte peut constituer un exemple. L’Union européenne est consciente du potentiel de ce grand pays et y investit continuellement aux niveaux économique et militaire.
La présidence égyptienne de l’Union africaine sera aussi l’occasion pour le Caire d’éprouver sa doctrine sur le continent et d’étendre son influence en Afrique de l’Est. En marge de l’-investiture du Président Al Sissi à la tête de l’UA, le gouvernement égyptien a publié un plan d'action visant à promouvoir les relations avec les pays africains. Il comprend un certain nombre de programmes de coopération bilatéraux et régionaux dans les domaines de la santé, du commerce, de l’investissement, de l’aviation et de la culture. L’Égypte accueillera, également, de nombreux événements panafricains, tels que le Forum sur l’investissement en Afrique, ainsi que plusieurs festivals culturels. Tant au niveau global que régional, l’Egypte dispose d’atouts non négligeables pour devenir une véritable puissance.
Un nouveau « grand jeu » ?
Le « grand jeu » est une expression géopolitique qui renvoie à la rivalité entre la Russie et le Royaume- Uni au XIXème siècle en Asie. Axé sur la question des ressources et de la domination territoriale, cette course à la suprématie se jouera tout au long du XIXème siècle jusqu’à aboutir, le 31 août 1907, à la Convention anglo-russe où les deux puissances délimitent leurs zones d’influence en Extrême Orient. Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis redéfinissent à l’aube du XXI ème siècle le « grand jeu » à travers Zbigniew Brzeziński qui, en1997, en propose une autre version « le grand échiquier » où il s’agit de « contenir » la Chine, la Russie et l’Islamisme.Plus de 20 ans, plus tard, les Etats-Unis semblent capitaliser sur leur position géostratégique et se retirer, unilatéralement, de l’ensemble de la région Moyen-orientale, tandis que l’Union européenne semble reprendre la même idéologie que les Etats-Unis de Brzeziński. En effet, lors du Sommet du Caire, les officiels européens ont repris cette doctrine de « containement » de la Chine et de la Russie. Une source présente à ce Sommet n’a pas hésité à déclarer que « Nous ne voulons pas voir ce vide (laissé par les Etats-Unis, ndlr) mis à profit par la Russie et la Chine" 4. Selon cette même source, les Européens voient le Sommet comme une chance de préserver leurs intérêts diplomatiques économiques et de sécurité.
Le Sommet Ligue arabe/Union européenne témoigne du fait que des puissances intermédiaires émergent au Sud et défendent une nouvelle approche des relations internationales, basée sur la priorité que celles-ci accordent à leur propre essor économique et social. La relation avec les grandes puissances se base, donc, sur un esprit de coopération mutuelle et d’intérêts communs, plutôt que dans un rapport de force. C’est dans ce sens que Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dans son discours, dont lecture a été donnée par le Chef du gouvernement, considère « que ce sommet est une bonne opportunité pour rappeler ce fonds civilisationnel et humain et en faire une solide plate-forme vers une coopération effective, fondée sur une vision claire et des plans d’action réalistes, voués au service des intérêts communs et mutuellement bénéfiques. »5
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1 https://www.20minutes.fr/monde/2458739-20190224-deploiement-missiles-pom...
2 https://www.huffpostmaghreb.com/entry/guerre-commerciale-chine-etats-uni...
3 Voir Policy Brief “ Egypte-Israel : Quand l’histoire sépare, les intérêts rapprochent » Policy Center for the New South. http://old.policycenter.ma/publications/egypt-israel-aiming-rapprochment
4 https://www.france24.com/fr/20190224-egypte-ligue-arabe-union-europeenne...
5 https://lematin.ma/express/2019/discours-sm-roi-mohammed-vi-premier-somm... ;