L’accord Union européenne-Chine sur l’investissement : un test à double détente
Cet article sera publié dans le numéro 173 de la Revue Commentaire.
Le président chinois Xi-Jin-Ping et les plus hauts responsables européens se sont accordés fin décembre sur les termes d’un Accord global sur l’investissement (Comprehensive Agreement on Investment, CAI). Le texte reste à formaliser, mais les dirigeants se sont engagés.
Pour situer sa portée, rappelons que l’investissement est une compétence récente de l’Union européenne (2008). Concrètement, l’Union n’entend plus laisser les investisseurs étrangers jouer les Européens les uns contre les autres.
Elle s’estime ouverte aux entreprises étrangères, tandis qu’en Chine, ses investisseurs se heurtent à de nombreuses restrictions. L’accord procure, non une symétrie totale, mais des avancées. Les entreprises européennes ne seront plus systématiquement contraintes à une joint-venture avec un partenaire chinois et exposées à des transferts de technologie forcés. C’est ce que l’Europe a gagné en jouant collectif, premier test.
Pourquoi la Chine a-t-elle consenti ces concessions ? C’est d’abord l’effet du rapport de force : l’Union européenne fait levier sur sa taille pour négocier. Ensuite, la Chine a intérêt à la stabilité des relations économiques internationales, comme la plupart des émergents. Face au protectionnisme brutal des années Trump, elle voit dans l’Europe un pôle stabilisateur. Enfin, critiquée sur l’épidémie de Covid, Pékin voulait redorer son blason. D’où l’accord commercial Asie pacifique (RCEP). D’où cet accord UE-Chine.
Le Parlement européen devra statuer. Des critiques ont fusé. Elles campent le débat. Premier angle d’attaque : en termes d’image, l’accord « rend service à la Chine ». C’est un fait. Réponse de Bruxelles : nul ne peut arracher des concessions si son partenaire n’est pas désireux, voire pressé, de conclure. Autre critique : l’Union européenne n’aurait pas obtenu assez. Certaines restrictions subsistent. Mais les entreprises jugent les progrès tangibles et semblent soutenir l’accord. L’Allemagne assurait la présidence de l’Union au second semestre 2020 et s’est employée à convaincre les pays réticents.
Des objections surgissent sur un autre terrain, en partie contradictoire avec le précédent : l’Union européenne aurait « sacrifié les principes » à ses intérêts. Par exemple, le travail forcé est certes évoqué officiellement par l’accord (une première). Mais son interdiction (censée préserver les Ouïghours) n’est pas formellement actée. Pékin s’engage seulement à « des efforts » pour ratifier les conventions de l’OIT.
Certains pourfendeurs de l’accord élargissent leur propos : il serait naïf de négocier avec la Chine car le parti communiste peut contourner ses engagements via des instructions aux entreprises.
La question n’est pas nouvelle : dans quelle mesure faire confiance à Pékin ? Débat justifié. Vouloir faire bouger la Chine est légitime. Mais lui dicter sa conduite serait irréaliste. Et l’Occident a depuis longtemps renoncé à la boycotter, préférant la voir sortir de l’isolement.
La novation réside dans l’autonomie stratégique de l’Union européenne, théorisée par Josep Borrell, Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité. Les Etats membres méditerranéens (France incluse) sont attachés à cette autonomie. L’unilatéralisme sans vergogne de Donald Trump a convaincu les autres Etats membres de sa nécessité. L’UE s’est par ailleurs dotée d’un mécanisme de filtrage des investissements étrangers. Elle pourra renforcer ses actions en faveur des droits de l’homme et inciter ses entreprises à des « due diligence » sur leurs fournisseurs chinois (non recours au travail forcé).
Jake Sullivan, alors membre de l’équipe de transition de Joe Biden (il est, depuis, devenu Conseiller pour la sécurité nationale), s’était alarmé de l’accord, demandant une concertation préalable entre alliés. Au contraire, malgré ses affinités avec le nouveau Président, l’UE fera du dossier un test d’autonomie. Elle rétorquera qu’un tel accord n’est pas préjudiciable aux alliés, qui ont tout loisir de négocier avec la Chine. Ils pourront même se prévaloir du précédent européen et réclamer des avantages similaires.
Entre Pékin, Washington et Bruxelles, c’est un subtil jeu à trois qui commence…
Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l’auteur.