L’Afrique de l’Ouest face au terrorisme sahélien, le combattre maintenant ou le subir à jamais
La Covid-19, menace conjoncturelle en dépit des impacts néfastes attendus, ne doit pas nous détourner complètement de menaces en phase de devenir structurelles et menacer toute une région dans son existence. Le terrorisme au Sahel et dans la région du Lac Tchad s’est avéré résilient face aux efforts jusqu’à présent déployés. Non seulement il n’a pas été vaincu au Sahel mais il avance vers son objectif final : atteindre l’Atlantique à travers les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest.
La Côte d’Ivoire attaquée aujourd’hui, mais …
Dans la nuit du 10 au 11 juin 2020, Une caserne située dans la localité de Kafolo, dans le Nord Est de la Côte d’Ivoire, sur la frontière avec le Burkina Faso, a été la cible d’une attaque d’envergure qui a fait douze morts parmi les forces de sécurité ivoiriennes, 2 d’entre eux sont portés disparus et six autres ont été blessés.
Dans la nuit du 11 juin, soit quelques heures après cette attaque, des individus armés ‘’non identifiés’’, soupçonnés d’être en relation avec les assaillants de Kafolo, ont ouvert le feu sur les forces de défense et de sécurité au poste avancé de Gbeya, dans le département de Kaniasso.
A peine a-t-on eu le temps d’oublier l’attaque du Grand Bassam, en 2016, que les groupes terroristes reviennent pour rappeler, non seulement à la Côte d’ivoire, mais, à travers elle, à toute l’Afrique de l’Ouest, que le terrorisme que l’on se limite parfois de qualifier comme sahélien est en fait une entreprise ouest-africaine dans ses ambitions.
Le 14 mai 2020, il y a un mois, pratiquement jour pour jour, les Forces de Défense et de Sécurité ivoiriennes avaient initié, avec leurs homologues du Burkina, une opération antiterroriste conjointe baptisée
‘’Comoé’’ pour neutraliser les groupes terroristes armés des localités frontalières des deux pays. Les communiqués officiels des deux pays ont fait état d’un succès sur les terroristes dont plusieurs
combattants ont été neutralisés près de la localité de Kafolo, objet de l’attaque précitée. Les représailles ne se sont, donc, pas fait attendre. Une stratégie à laquelle tiennent les groupes terroristes pour dissuader les Etats qui tentent de participer à un effort commun contre leur prolifération.
Selon les premières informations, et sous réserve des résultats des enquêtes en cours, c’est une cellule satellite de la Katiba Macina, basée à Alidougou, au Burkina Faso, et comptant parmi ses combattants des Ivoiriens qui circulaient entre les deux pays, qui avait subi le plus de pertes durant l’opération ‘’ Comoé’’ ; les rescapés seraient allés chercher des renforts avant de revenir perpétrer l’attaque contre la caserne de Kafolo en Côte d’Ivoire, qui abrite des militaires et des gendarmes. Quelle que soit la version, il ne peut s’agir que de deux formules :
- Les rescapés sont revenus venger leurs morts après être allés chercher des renforts hors de la Côte d’Ivoire, certainement au Burkina Faso, ce qui signifie que ce pays est devenu un espace où les terroristes circulent librement du Nord au Sud. Le verrou burkinabé aurait donc définitivement sauté.
- Les assaillants du poste militaire sont des cellules locales, qui se sont terrées lors de l’opération ‘’Comoé’’ et qui se sont réorganisées une fois la vigilance retombée. Dans ce cas, la question est grave, car cela signifie qu’il y a déjà implantation organisée au Nord de la Côte d’Ivoire, ce que les autorités ivoiriennes nient jusqu’à présent.
Dans les deux cas, Il est très difficile de percevoir l’opération djihadiste comme une simple vengeance contre l’opération ivoiro-burkinabaise, mais plutôt comme un message adressé à tout le voisinage ouest-africain espérant le pousser à s’abstenir contre toute opération du genre de ‘’Comoé’’.
…c’est l’Afrique de l’Ouest qui est l’objectif ultime
Durant les deux dernières décennies, le terrorisme qui a commencé au Nord du Mali et qui, en vingt ans, est aux portes du Benin, du Togo, du Sénégal, de la Guinée et de la Côte d’Ivoire, a souvent été lié à Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) et, plus récemment à l’Etat Islamique sous le nom de Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS). Cette perception lie deux espaces au terrorisme de la région, le Maghreb et le Sahel. Cependant, plusieurs autres signaux révèlent le véritable objectif des groupes de l’extrémisme violent. C’est l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, notamment la côte atlantique et la zone du Golfe de Guinée :
- L’un des premiers groupes dissident d’AQMI, fait référence dans son enseigne à l’Afrique de l’Ouest. C’est le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité et le Djihad en Afrique de l’Ouest ) ;
- Au moment de la scission au sein du groupe Al Mourabitoun, en 2015, et la formation de l’Etat Islamique au grand Sahara par Adnan Abou Walid Sahraoui, Mokhtar Bel Mokhtar baptise son groupe Al Qaeda En Afrique de l’Ouest et ;
- Dans une interview accordée à un journal Yéménite, en 2017, après la constitution du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans, Iyad Ag Ghali cite nommément comme ennemi des pays africains qui, tous, à l’exception du Tchad, appartiennent à l’Afrique de l’Ouest. Le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Niger viennent en tête.
- Boko Haram se fait également appeler ISPWA acronyme anglais de Province de l’Etat Islamique en Afrique de l’Ouest. Son champ d’action est d’ailleurs l’un des plus grands pays de l’Afrique, leader de l’Afrique de l’Ouest, le Nigeria.
- Sur la carte publiée par Daech aux premiers jours de sa proclamation, Maghreb et Afrique de l’Ouest sont désignés par la même appellation ‘’AL Maghreb’’, une conception adoptée par les groupes terroristes de la région, toutes tendances confondues, qui doctrinairement placent leurs actions dans un large espace correspondant à l’Afrique du Nord-Ouest incluant le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest et une partie de l’Afrique Centrale (Voir carte ci-joint).
Agir maintenant ou se taire à jamais
La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), passe pour être aux yeux de tous, l’organisation d’intégration la mieux réussie parmi les Communautés économiques régionales africaines. Sa réussite s’exprime dans plusieurs domaines, y compris celui de l’Architecture africaine de Sécurité. Son bataillon est le plus opérationnel parmi les cinq prévus. Les élections s’y passent aujourd’hui dans de meilleurs climats, comparés au passé et le processus démocratique y prend son chemin. La région dispose, donc, de plusieurs atouts qui lui permettent d’être à l’avant-garde de la lutte contre le terrorisme.
Force est cependant de constater que face à ce phénomène, l’Afrique de l’Ouest n’arrive pas à agir et subit l’avancée du fléau qui la menace dans son existence. La perception du terrorisme ne semble pas encore suffisamment partagée et commune pour provoquer un élan collectif dirigé contre les violences extrémistes. Si les solidarités s’expriment à l’occasion de certains attentats sous forme de condoléances ou de promesses de soutien, l’action concrète sur le terrain tarde à se faire de la place.
La CEDEAO doit, au plus vite, inscrire parmi ses priorités un plan d’urgence destiné à combattre le terrorisme :
- Ce plan doit intégrer toutes les autres initiatives pour assurer plus de cohésion dans la lutte et éviter la dilapidation des énergies et des fonds. Il doit également concerner tous les Etats d’Afrique de l’Ouest. Ces Etats doivent recourir à des stratégies nationales anti-radicalisation efficaces, notamment par une meilleure prise en main du champ religieux qui doit être régulé ;
- L’ensemble des Etats doivent gagner les cœurs de leurs peuples et éviter tout comportement qui puisse affaiblir leurs nations et se transformer ainsi en brèche pour la pénétration du terrorisme. Les zones frontalières de ces Etats doivent être l’objet d’un programme qui immunise les populations contre l’attrait de l’extrémisme religieux ;
- Actionner, en coordination avec le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine (UA), le bataillon ouest-africain de la Force Africaine en Attente (FAA) après l’avoir adapté à la lutte contre le terrorisme ;
- L’Initiative doit être ouest -africaine d’abord, africaine, ensuite, et internationale, enfin. La Communauté internationale doit aider à exécuter la vision africaine et ouest-africaine de la lutte contre le terrorisme en Afrique et non pas la concevoir en lieu et place des principaux intéressés. L’effort doit également être africain d’abord ; le monde sera plus disposé à soutenir s’il constate la volonté des pays concernés et les efforts qu’ils déploient de manière coordonnée, collective et solidaire. Des pays amis de l’Afrique de l’Ouest agissent dans la région, mais ne peuvent aller au-delà de ce que permettent les limites financières et organisationnelles d’opérations extérieures. Leurs efforts resteront vains si une nouvelle pulsion africaine n’est pas mise en œuvre.
Il est temps pour l’Afrique de l’Ouest d’agir de manière concrète, il est temps de s’exprimer aujourd’hui ou de se taire et subir à jamais. Les retards apportés à une action collective, organisée et coordonnée, avec la participation de tous les pays de la Communauté économique régionale d’Afrique de l’Ouest, ne seront que préjudiciables à la sécurité de toute la région, et, au-delà, à celle de toute la façade africaine de l’Atlantique.