Le "Printemps arabe" : analyse des conséquences, 7 ans après
Le tout dernier ouvrage qui vient d’être publié par l’OCP Policy Center, intitulé « Mutations politiques comparées au Maghreb et au Machrek, 7 ans après le ‘’Printemps arabe’’ », a fait l’objet d’une présentation au public, organisée le 27 juin 2018, à la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales de l’Université Mohammed V-Agdal- Rabat. Mr Abdallah Saaf, qui a supervisé l’ouvrage, a ainsi partagé avec l’assistance de l’Amphi I la raison d’être de cette nouvelle publication et, surtout, l’esprit qui a présidé à son élaboration. Et le résultat est « une mine d’information », mais aussi et surtout, d’analyses signées par la pléiade d’experts et d’analystes qui ont pris part à l’oeuvre.
Le contexte, l’approche et l’esprit
Le projet est né d’une réunion fondatrice au mois de décembre 2017, soit six ans après le début du ‘’Printemps arabe’’. Depuis, les contributeurs ont pris le temps pour « réfléchir » sur le ‘’Printemps arabe’’, en mettant à distance les événements, une distance temporelle à a faveur de laquelle « les passions se sont apaisées » et « la fièvre est retombée », pour reprendre les formules de Abdellah Saaf.
Et celui-ci d’affiner, en soulignant que le point de départ aura été une série de questionnements : peut-on identifier, capter, saisir et, enfin, analyser ce qui s’est passé ? Qui, plus est, avec la distance et l’objectivité nécessaires ? « Il s’agissait, pour nous, de nous pencher, non seulement sur les processus de contestation mais, aussi, sur les conséquences et les mesures d’ajustement que ces événements ont suscitées », dit-il, avant d’en évoquer quelques-unes, comme le changement de personnels, les restructurations institutionnelles, les réformes constitutionnelles, la tenue d’élections, la mise en place de mesures sociales avec, parfois, un redéploiement de nouvelles stratégies sociales, sans oublier la naissance d’un mouvement social et son exacerbation, ainsi que l’héritage d’une double culture, à la fois de contestation et de contre-contestation. L’ouvrage est ainsi conçu comme un gros plan sur des expériences différentes regroupées sous le vocable du ‘’Printemps arabe’’.
Large spectre d’expériences et diversité de prismes
Abdelhamid Benkhattab, professeur de Sciences politiques à l’Université Mohammed V de Rabat, a ainsi travaillé sur l’expérience Saoudienne dans un chapitre intitulé « L’Arabie Saoudite face au coût de ses ambitions régionales’’. Après avoir identifié et décliné cinq scénarios de gestion du printemps arabe à travers la région, il explique comment et pourquoi « les autorités saoudiennes n’ont pas été amenées à opérer des changements institutionnels ou politiques ». C’est l’une des différences avec les autres pays du monde arabe touchés par la vague de contestation, qui ont dû, eux, opérer ces changements. C’est le cas, entre autres, de l’Egypte et de la Tunisie, où les régimes ont été remplacés par d’autres, ou encore de la Syrie, de la Libye et du Yémen, qui ont connu une ‘’transition chaotique’’ se soldant par des guerres civiles, ou encore de pays qui ont connu ou connaissent une ‘’transition contrôlée’’, comme le Maroc ou la Jordanie.
Avec le cas de la Libye, c’est une expérience toute différente que l’une des contributrices à l’ouvrage, Ihssane Guennoun (Program Officer à OCP Policy Center) présente, en expliquant pourquoi ce pays, alors que ses indicateurs économiques étaient au vert, la manne pétrolière aidant, n’a pas échappé à la vague de contestation. Une sorte de paradoxe qu’elle expliquera par le fait « qu’à côté d’une économie prospère, le pays connaissait une vie politique plutôt agitée ». Parmi les facteurs principaux à l’origine de cette agitation, elle cite ‘’ la mosaïque identitaire’’ qui caractérise la Libye, allusion faite à son système tribal. Un élément pèse énormément lorsqu’on sait que ce pays se compose de près de 2000 tribus. A preuve, étaye-t-elle dans sa contribution, une fois l’autorité centrale de l’ancien homme fort de la Libye disparue, suite à son assassinat en 2011, « les fractures sociales et identitaires se sont ébranlées, et les affrontements tribaux se sont multipliés », se poursuivant jusqu’en 2016, insiste-t-elle.
En dépit des incertitudes qui persistent quant à la reconstruction de l’Etat, elle estime que l’espoir est permis en ce qui concerne l’avenir du pays. A l’appui de son affirmation, elle évoque des indicateurs comme la nomination, en janvier 2018, d’un nouveau gouverneur à la tête de la Banque centrale de Libye, et la reprise, quelques mois auparavant, de la production pétrolière, ou encore les démarches libyennes auprès des autorités chinoises pour l’obtention de crédits pour le financement, justement, de la reconstruction du pays.
Abdelhak Bassou, Senior Fellow à l’OCP Policy Center, abordera le ‘’Printemps arabe’’ sous l’angle de la sécurité. Il s’est plus précisément intéressé aux données sécuritaires et géopolitiques, en se demandant si les changements intervenus après les vagues de protestation étaient structurels ou, plutôt, de simples mesures d’adaptation. A la lumière de la réaction qu’ils ont réservé aux protestataires, les régimes se classent en 7 catégories, en tête desquelles l’auteur place les pays comme le Maroc et la Jordanie, dont la réaction a consisté en « une combinaison intelligente de hard et de soft power qui a permis de laisser les armées dans leurs casernes et de limiter les interventions dans la gestion des crises aux autorités politiques et civiles ». Dans d’autres pays, comme le Soudan et le Bahreïn, les pouvoirs en place ont fait le choix de recourir à la pression pure et dure. La troisième grande tendance renvoie aux pays comme la Syrie et le Yémen où l’opposition s’est transformée en force violente par l’intervention de groupes extrémistes ou de puissances régionales et étrangères.
Abdelhak Bassou considère, par ailleurs, que le ‘’Printemps arabe’’ a généré des conséquences aux niveaux national, régional et international. Pour illustrer les deux premiers niveaux, il donnera l’exemple de ce qu’il appelle « la fin de l’invulnérabilité des régimes politiques », et l’émergence d’acteurs régionaux nouveaux nourrissant des ambitions régionales (ex : l’Arabie Saoudite/ Yémen et Iran/Syrie). Au niveau international, selon lui, l’épisode a permis le retour de la Russie dans la région arabe.
« Processus dormant »
L’une des autres questions qui a focalisé l’attention des contributeurs/conférenciers est celle de savoir si le processus de contestation s’est éteint ou, à l’inverse, s’il est entré dans une phase de repos. C’est ce qui explique, d’ailleurs, l’entame de l’introduction de l’ouvrage par une série de questionnements révélateurs : le ‘’Printemps arabe’’ est-il amorti aujourd’hui ? Ses événements auraient-ils fait long feu ?..., ou encore, le ‘’Printemps arabe’’ a-t-il un avenir ?
Sept ans après le déclenchement des vagues de protestation, le Pr. A. Saaf n’hésite pas à constater que nous sommes dans « une indétermination » à affirmer si le processus demeure ouvert ou, au contraire, s’il s’est refermé. L’universitaire Abdelhamid Benkhattab s’inscrit, lui aussi, dans la même posture, en estimant que nous ne sommes pas en présence de « faits achevés et accomplis », ce qui l’autorise à affirmer que le « ‘’Printemps arabe’’ est un « processus qui se prolonge dans le temps et, par conséquent, on ne peut pas parler de fermeture ». A.Bassou considère, lui aussi, que le ‘’Printemps arabe’’ est un processus qui n’est pas encore fermé, et ce aussi bien du côté des populations protestataires que des pouvoirs publics.