Masters of the Algorithms: From Ford to Google, Geopolitics of the Digital Economy
by Alfredo G.A. Valladão, Professor Sciences Po Paris
17:30 - 19:30, OCP Policy Center, Rabat
Dans le cadre des seminar series organisés conjointement avec le GMF, OCP Policy Center a abrité le jeudi 11 septembre un séminaire sur la géopolitique de l’économie digitale, animé par Alfredo G.A Valladão, Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.
En présence de professionnels du secteur de l’économie digitale, la discussion a porté principalement sur les éléments suivants ;
Le modèle des années 90
Depuis la période du fordisme, la chaine de montage issue de l’Organisation Scientifique du Travail était soumise à un commandement « quasi-militaire ». Il fallait en effet contrôler l’ensemble des étapes de cette chaine, nécessitant une expansion continue du nombre de consommateurs, soit dans une finalité de conquête de nouveaux marchés ou de fabrication de produits moins chers.
Pour survivre, cette configuration économique a dû chercher à rationaliser en permanence la production afin d’accroitre l’innovation, l’investissement, la distribution des crédits et accompagner une économie financière de plus en plus sophistiquée.
Les dirigeants européens étaient réticents au départ à l’idée d’adopter un modèle axé sur une production et une consommation de masse ; ce sont les Etats-Unis qui ont suggéré la théorie selon laquelle seule la prospérité empêcherait les guerres, avec le soutien du plan Marshall.
Ce modèle nation production de masse - consommation de masse s’est adapté en globalisant les chaines de valeurs et s’est d’autant plus renforcé au lendemain de la guerre froide, qui a mené à l’augmentation massive des flux de travailleurs dans le monde.
Une configuration émergente
Durant ces dernières années, ce modèle a touché à ses limites en raison du vieillissement de la population ; le nombre de consommateurs solvables étant de plus en plus faible dans certaines régions du monde ; de la rigidité du travail, mais surtout en raison de blocages issus des élites politiques qui craignent l’autonomisation croissante des individus. L’exemple donné est celui de la Chine, qui maintient le ratio de sa consommation interne rapporté au PIB autour de 35%, et tente ainsi d’éviter la libéralisation du crédit afin de renforcer la légitimité du parti communiste sur le plan économique.
En outre, les anciens modèles ont pu survivre grâce au développement des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), ayant permis la gestion des chaines de valeurs et circuits logistiques globaux, l’intervention de plus en plus indispensable du Big Data, la création d’imprimantes 3D etc.
D’autre part, la gestion en temps réel des clients et des informations provenant des flux de production ont permis une amélioration continue des prototypes immédiatement mis sur le marché, rendant ainsi les processus de production plus flexibles.
A ce titre, les imprimantes 3D permettent de générer des processus d’innovation permanents et rendent possible une réponse continue à l’expression des nouveaux besoins des clients, entraînant ainsi une baisse des coûts de production de certains produits.
Un autre exemple est celui de l’entreprise Apple, qui ne fournit que design, concept et merchandising mais ne produit « rien ». Sur le plan de la capitalisation boursière, c’est la plus grande entreprise au monde. Toutefois, Apple a besoin de Google et est tout aussi dépendante de plusieurs autres petites entreprises, inscrites dans une chaine de valeurs mondialisée.
On assiste alors à une nouvelle organisation de la production et de la consommation, avec une fragmentation de plus en plus forte des chaines de valeurs globales, accompagnée d’une personnalisation de la consommation.
Cette nouvelle configuration nécessite une interaction plus importante avec les parties prenantes rendue possible grâce aux NTIC et internet, accroit le pouvoir financier et politique des clusters vis à vis de leurs Etats Nationaux et permet l’apparition de mini multinationales qui créent des produits fortement intégrés au marché global.
Par ailleurs, cette réorganisation a réussi à démontrer l’importance de lier la production au service et de garantir la liberté de connexion et d’opinion ainsi que la disponibilité d’une infrastructure de connexion forte et accessible.
Nouvelles approches du commerce mondial
Du fait de ces bouleversements, le commerce mondial a radicalement changé et l’on tend à produire aujourd’hui des données et analyses qui reflètent une image plus fidèle des échanges dans le secteur de l’industrie à l’échelle mondiale.
En 2013, une initiative conjointe de l’OMC et de l’OCDE a permis pour la première fois une analyse du commerce mondial différente : la mesure des échanges en termes de valeur ajoutée (Trade in Value Added - TiVA) qui s’intéresse à la valeur ajoutée par chaque pays impliqué dans la production des biens et services destinés à la consommation mondiale.
En avril 2014, le Boston Consulting Group a publié un rapport de classement des 25 plus grands pays exportateurs industriels mondiaux, selon l’indice de Cout-Compétitivité, dont le principe est de cumuler le coût à la sortie de l’usine, sur la base de 4 dimensions: les salaires manufacturiers, la productivité du travail, le cout de l’énergie et les taux de change. Selon ce dernier indice, une nouvelle carte mondiale se dessine.
Dans la catégorie des pays développés, la star de la compétitivité sont les USA et le Mexique est de 13% plus compétitif que la Chine. Notons que considérant cet indice, la proximité vis à vis du marché américain jouerait un rôle important dans cette nouvelle configuration. La Chine quant à elle stagne dans sa position et est de 5% plus chère que les USA. Par conséquent, pour de nombreux produits, il ne vaut plus la peine de produire en Chine !
En Europe, ce sont les Royaume Uni et les Pays bas qui se révèlent être les plus compétitifs.
Il en résulte que les avantages des pays à bas coût de main d’œuvre s’érodent puisque la production est de plus en plus intégrée, régionalisée et la valeur ajoutée plus globalisée que jamais.
Des gagnants et des perdants
La question qui est posée dans le contexte économique actuel est alors : qui sont les gagnants et les perdants à ce « jeu »?
Apple nous montre que les entreprises les plus innovantes sont celles qui sont les plus connectées, qui sont installées dans des sociétés où les libertés d’opinion et d’entreprenariat sont les plus garanties et où l’État renforce et encourage en permanence un écosystème d’innovation. Il s’agit de sociétés généralement installées dans l’Atlantique nord qui ont une base historique et l’on parle de «path dependence», où l’importance des choix effectués dans le passé et celui des institutions politiques pèserait sur les décisions présentes.
Par ailleurs, les pays qui poursuivent dans le modèle production de masse - consommation de masse s’accaparent une valeur ajoutée de moins en moins globale.
Ainsi, selon le Professeur Valladão, les gagnants sont (par ordre décroissant)
- «Les maitres des algorithmes»: Les entreprises qui sont devenues indispensables au Hard et Soft des communications globales et leur cohorte de designers, ingénieurs etc. Il s’agit entre autres de Google.
- Les mini multinationales et clusters ;
- Les élites autoritaires des Etats qui veulent se maintenir au pouvoir et se contentent de fabriquer et d’exporter des produits de grande consommation;
- Les producteurs des matières premières bien que les tendances soient circulaires plutôt que linéaires. L’exemple donné est celui du Brésil qui dépend de la Chine dans l’exportation du minerai de fer et observe le phénomène du «Chicken flight», autrement dit, le secteur s’embrase lorsque les cours mondiaux augmentent et connait un désenchantement dès que ceux-ci baissent.
- «Les miséreux» qui sont des pays faiblement intégrés et qui souffrent de ce processus au niveau de l’emploi et de la paix sociale.
Par ailleurs, le Professeur Valladão a émis des réserves quant à l’accentuation du monitoring et du contrôle de la production et de la consommation ainsi que sur le recul potentiel des libertés individuelles, lié à la nouvelle façon d’utiliser les produits.
Quid du Maroc?
Il est nécessaire de remettre en cause l’idée qu’on a toujours eue du développement : le rattrapage. Or, L’économie étant globalisée et les chaines de montage de plus en plus fragmentées, la théorie du rattrapage et l’idée d’un protectionnisme éducateur se révèleraient obsolètes dans le contexte actuel.
Dans ce sens, le Brésil aurait pris dix années de retard dans le domaine des télécommunications lorsqu’il s’est renfermé, contrairement à la Corée du Sud, dont l’ouverture a permis le transfert d’un flux important d’ingénieurs et des connaissances.
En ce qui concerne le Maroc, Il est important de mentionner que le Royaume dispose d’atouts certains parmi lesquels on cite:
- La proximité avec l’Europe et l’Atlantique qui forment à eux seuls les deux tiers de la consommation mondiale;
- Une politique qui a pour ambition de se rapprocher de l’Afrique et de s’inscrire dans un pôle régional plutôt que national;
- Le savoir-faire développé dans le domaine des phosphates et engrais capable de développer des clusters et drainer des chaines de l’innovation et de la productivité;
- Le développement du Maroc dans le secteur des télécommunications et son implantation en Afrique;
- L’avancée observée dans le domaine des énergies solaires.
En somme, afin de réussir à tirer profit de la nouvelle donne du commerce mondial, la tendance est de s’inscrire, par le biais de clusters, de mini multinationales et de pôles régionaux dans la chaine de valeurs globale qui existe aujourd’hui.
Related publication : Masters of the Algorithms: The Geopolitics of the New Digital Economy from Ford to Google
Keep me informed
-
Alfredo G. A. Valladão
Dr. Alfredo G. A. Valladão is a Brazilian-born political scientist. From 1999-2010 he was the Director of the Mercosur Chair at Sciences Po, focused on European Union-South America relations, and was the Editor of twenty collective books on regional integration and bilateral trade negotiations, as well as eight books and reports on bilateral defense and security issues. He was the Coordinator of the Working Group on EU-Mercosur Negotiations, and he launched and coordinated – in partnership with the Brazilian representation of the Konrad Adenauer Stiftung – the Annual International Conference of Fort Copacabana on “Defense and Security European-South American Dialogue”.
From 2009-2011 he was a Professor at the ESSEC Business School (Paris) teaching “Latin American Markets”. From 1991-1999 he was a Professor at Sciences Po Paris teaching “World Politics” and has been an invited Lecturer at the University of Antwerp, the Institut de Hautes Etudes de Management (HEM – Morocco), Universidad Externado de Colombia. From 2006-2011, he was Senior Research Associate of the European Union Institute for Security Studies (EUISS – Paris)
Since 1995, Dr. Valladão has a weekly radio op-ed column at Radio France International (RFI – Brazilian Service), and from 2005-2010 he was a regular commentator for the BBC Brazilian Service. From 1981-1993 he was Columnist and Diplomatic Correspondent for the daily newspaper Libération (Paris). From 1985-1994 he was a member of the French Diplomatic Press Association (APDF). Between 1989-1995, he co-directed six documentary films for French television networks (FR-3 and Arte).
From 1982-2002, he was Co-Founder, Co-Director and Member of the Editorial Board of L’Etat du Monde – Economic and Geopolitical Yearbook (La Découverte – Paris). He was also one of the supervisors of many publications of Editions La Découverte such as “The State of the United States”, “The State of World Religions” or the “The New State of the World: An Assessment of the 1980-1990 Decade”. He was also a Member, from 1986-1990, of the Editorial Board of the bimonthly Dokumente-Documents – Revue des questions allemandes dedicated to strengthening Franco-German friendship.
Since 2010, Dr. Valladão is President of the Advisory Board of the EUBrasil Association (Brussels) dedicated to encouraging business and political decision-makers dialogue between Brazil and the Brussels institutions of the European Union. As an independent consultant, he has done a great number of conferences, training courses and consulting work for private companies and international institutions He has participated in numerous European Parliament Hearings.
He is frequently called upon for interviews on radio, television, and old and new media. He is also a regular speaker in high-level conferences and workshops on global governance, international trade, regional integration, global diplomacy and security, Brazil and Latin America affairs.
Dr. Valladão is a Member of the Board of Trustees of the UN institute UNITAR, of the Scientific Committee of the Initiative for an Atlantic Community (Rabat – Morocco), of the Advisory Council of Janus.net e-journal on International Relations (Portugal), of the Board of Maison du Brésil – Cité Universitaire de Paris, and member of the “Emerging Countries Group” of the Institut Montaigne (France).
Dr. Valladão has just been nominated by the UN Secretary-General Ban Ki-Moon for a third term as Member of the Board of Trustees of United Nations Institute for Training and Research (UNITAR).